Brèves de lecture

Voix du Basilic

(28 entretiens avec  : Olympia Alberti, Marcel Alocco, Marie Claire Bancquart, Jean-Marie Barnaud, Daniel Biga, Serge Bonnery, Michel Butor, Michel Cosem, Daniel De Bruycker, Charles Dobzynski et Colette Deblé, Sylvie Fabre G., Claudine Galea, Michaël Glück, Bernadette Griot, Werner Lambersy, Henri Maccheroni, Jean Mailland et Anna Prucnal, Marcel Migozzi, Martin Miguel, Raphaël Monticelli, Bernard Noël, Florence Pazzottu, René Pons, Leonardo Rosa, Paolo Ruffilli et Fabio Scotto, Michel Séonnet, Yves Ughes, Martin Winckler.)

Soumettre à la question, terme de torture. Poser des questions, au nom de quel savoir présupposé ?

Alain Freixe ne soumet pas à la question pas plus qu’il ne pose des questions. Il cultive bien au contraire une démarche bien à lui ; ses rencontres avec les auteurs prennent naturellement la forme d’entretiens.

On sait qu’Alain Freixe travaille dans le passage, qu’il avance entre poésie et philosophie. Son travail de créateur ne s’accomplit que sous une réflexion concernant le langage, le travail réalisé dans la langue par les textes novateurs, leurs relations avec le monde, l’ordre établi, le désordre des actes créatifs.

Avec ce viatique il part à la rencontre des auteurs de l’Amourier. Qu’on y jette un œil et l’on comprend d’emblée le sens de sa démarche : avant de solliciter tel ou tel auteur Alain Freixe présente des éléments d’approche littéraire, il met en place, par cercles concentriques, des terres à explorer. Sur ces terres, ses balises sont posées non comme certitudes, mais comme repères, éléments à débattre, traces de nature à susciter l’échange fertile.

Au gré des années, le Basilic s’est nourri de ces apports : sur trois ou quatre pages, les auteurs contemporains y ont défini leur travail. Mis en marche par la dynamique de l’entretien, des dizaines et des dizaines d’écrivains ont précisé leurs liens avec la vie, le monde, les rapports établis par les mots. Avec des incursions notables dans le domaine des arts plastiques, dont le livre, émaillé de visuels, porte la trace.

Ainsi, mine de rien, a pris forme un capital de réflexions qui s’offre comme une approche importante de cette littérature qui “ est en train de se faire ”.

Parallèlement à la vie de la maison d’édition s’est élaborée en ces Voix du Basilic une somme critique telle qu’il nous a paru utile d’en constituer une compilation. Pour témoigner de la vivacité de la création littéraire, pour souligner ce qui se noue autour de la petite édition, et rendre palpable cette vie des textes qui transmet richesse et bouleversements.

Les éditions de l’Amourier, comme lieu de précipitations, au sens chimique, de convergences fécondes. Alain Freixe comme agent de ces précipitations, catalyseur respectueux de ce mystère qui pousse à écrire, qui ne sera jamais épuisé, mais vers lequel il faut tendre.

Michel Butor, président d’honneur de l’Association des Amis de l’Amourier, répondait ceci à une question d’entretien : Notre monde, comme dit Saint-Simon, est profondément masqué. Sous les structures apparentes il y a de nombreux réseaux dont les mafias ne sont qu’un exemple qui s’efforcent de confisquer à leur profit l’état, le travail et la vie même d’autrui. Pour reprendre un titre de Balzac, on peut dire que ce que nous appelons l’art, la littérature, c’est aux antipodes de leur exploitation financière, un “envers de l’histoire contemporaine”, l’esquisse et l’expérimentation d’une société enfin habitable, l’utopie même qui se risque à avoir lieu.

C’est à la page 36 de ce recueil, comme une phrase irradiant un ensemble foisonnant, fait de ce que Montaigne appelait de ses vœux, un “ frottement de cervelles ”, humbles dans l’écriture, rendues radieuses par l’écriture.

par Yves Ughes

Entretiens conduits par Alain Freixe
collection voix d’écrits, éd. L’Amourier
Voix du Basilic, 25,00 €