Brèves de lecture

Donner forme et vie

C’est dans un livre, ce bâti. Cette demeure aujourd’hui est l’œuvre de nos amis Martin Miguel et Raphaël Monticelli, deux complices de près de 50 ans et des éditeurs, Bernadette Griot et Jean Princivalle. Tous les trois assurent le rythme de cette Cavalcade au seuil de l’Eden. Ce livre est le troisième d’une collection des éditions de l’Amourier à l’élégant format 23 x 31 cm et au papier soigneusement choisi pour éviter tout effet préjudiciable de transparence. Son nom :« L’amble » désigne une allure et une manière d’aller ensemble dans laquelle on fait aller ensemble les deux côtés : côté image et côté écriture pour donner de l’allant à un projet. 

Que le travail de Martin Miguel, comme celui de la plupart des artistes modernes et contemporains, ait été profondément marqué par la découverte de l’art paléolithique, c’est évident quand on voit les images de ce livre puisqu’il s’agit du traitement que fait Martin Miguel d’un des chevaux de Lascaux. Ainsi, il n’hésite pas à l’amputer de la tête, histoire de bien marquer le refus de tout mimétisme et de faire en sorte que ce manque tourne plutôt le regard vers le travail effectué sur la matrice. Ce sont donc les 31 répliques plus la cavalcade de 3 figures à la couverture qui rythment ce livre jusqu’à nous obliger à le tourner, retourner pour suivre ces chevaux.

Ce travail de Martin Miguel et sa mise en page par Bernadette Griot sont accompagnés par trois textes tressés par Raphaël Monticelli : un poème, une approche critique du travail de Martin Miguel et des extraits d’un roman de 1925, la fin d’un monde de Claude Anet qui narre les aventures d’un jeune homme et d’un cheval, en pleine période paléolithique.

Tout cela fait strates et millefeuille !

C’est toutefois le poème qui fait roc, assise à ce projet. Spiralé de nombreuses reprises, il chante non seulement le surgissement de l’image mais aussi et surtout la main qui l’a formée et le souffle qui, par projection de pigments préalablement broyés, nous a donné ces images « dans le ciel durci de la grotte ».

Ce livre est magnifique de sensibilité et d’intelligence. Aucun forçage ici, les approches plastiques, poétiques comme historiques restent ouvertes. On peut se glisser dans cette cérémonie – c’est aussi le sens du mot « cavalcade » – qui accompagne cet hier à partir de notre aujourd’hui. On n’est jamais quitte avec le passé. Des potentialités y restent en dormance. Ainsi de cette « main » qui émerge « de derrière la paroi / si la paroi était paroi » et « fait voler les images » qui « nous ouvrent les yeux (…) à nous poussent dans le dos » jusqu’au « seuil de l’Eden », cette « utopie, écrit Raphaël Monticelli, où nous sommes nus face au vivant que nous cherchons à nommer ».

Alain Freixe

Martin Miguel – Raphaël Monticelli

Cavalcade au seuil de l’Éden

L’Amourier éditions, collection L’Amble 2023