Brèves de lectureOpinion

ARTICLE BIEN FAIT= MAL FAIT= PAS FAIT autour de ROBERT FILLIOU

Poèmes, scénarios, chansons

Un recueil de textes de Robert FILLIOU (1926-1987), artiste plasticien et poète, sous la direction et présenté par Emma GAZANO, autrice d’une thèse en littérature sur son œuvre.

Cette publication nous a été heureusement signalée par Christian ARTHAUD, sur Facebook :

[ Robert Filliou bouddhiste

Aimer est la destruction de l’amour.

Vivre est la destruction de la vie.

Créer est la destruction de la création.

… alors je vais aller boire un verre, maintenant,

Et détruire ma soif.

Filliou est hanté par cette question de la provocation à l’action. Idéalement, il voudrait que la participation soit induite, que la consigne reste inexprimée. Lorsqu’il vise le non-agir ou la non-pensée (qui passe ici par la destruction), l’injonction lui apparaît comme une aporie, voire une dangereuse contradiction méthodologique, une aberration ! Il ne s’agit pas de « ne rien faire » mais de faire « rien ». (E.G.)

Robert Filliou : Poèmes, scénarios, chansons. Édition établie par Emma Gazano. Les Petits Matins, 2024. Page 150. ]

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Je ne me lancerai pas dans un compte-rendu de ce livre devenu nécessaire, même si je connais depuis 65 ans le principe d’équivalence – bien fait = mal fait = pas fait – d’autres l’ont fait mieux que je ne saurais le faire.

Par exemple Jacques BARBAUT écrit :

[ Dans une introduction empathique d’une vingtaine de pages, après avoir déploré qu’aucun livre de Robert Filliou n’était plus disponible en librairie, Emma Gazano, la conceptrice de l’ouvrage qui a établi la liste des textes sélectionnés, présente celui « qui faisait de tout », en tant que performeur, artiste multi- et transdisciplinaire — « poète, méditant, acteur, inventeur, maître spirituel, pédagogue, mais aussi, selon ses termes, harmonisateur, animateur de pensée, transmetteur… »]

ou bien  Tiphaine SAMOYAULT:

Écrits nomades, dans Le Monde des Livres.

[ Qu’est-ce qui distingue un artiste­écrivain et un écrivain artiste ? […] Comme Robert Filliou a toujours refusé les assignations, ces questions de cases n’ont aucune importance. Ses textes insistent sur la nécessité de renoncer aux évaluations, à l’autorité de la norme, au sérieux de la littérature ou de l’art.]

Robert Filliou, l’ami insaisissable … Toujours surprenant. Au printemps 1965 nous avions été avec Ben à Villefranche pour enregistrer un entretien avec George Brecht que je titrerai dans ma revue « identités », (n°11/ 12, été-automne 1965) « Conversation sur autre chose ». Robert Filliou m’avait à cette occasion proposé ses traductions en français de trois jeunes poètes japonais, dont il écrirait une présentation, (sans m’avertir que son texte serait en japonais et qu’il ne me donnerait pas la version en français). L’ensemble était accompagné d’une longue introduction en français signée Taigiro Amazawa*. À première lecture je me suis demandé si Robert n’avait pas écrit ces poèmes : il était fort capable de (bien) le faire. Pas d’internet à cette époque pour vérifier ! Mais l’introduction de Taigiro Amazawa m’a convaincu, et de toutes façons j’aurais publié (Revue « identités » n° 13/14, printemps 1966). Une quarantaine d’années plus tard j’ai pu grâce à internet confirmer l’existence de Taigiro Amazawa (et des trois poètes) et même le contacter.

Poème de Robert Filliou en ouverture du catalogue précédant ma préface (1965) pour l’exposition de BEN à La Cédille qui sourit (1966). Sur la couverture du catalogue ne figure que le tampon de la Cédille.

La pensée Filliou. Une pensée capable de vous paniquer. C’est une piscine sans fond, impossible de donner le coup de talon… Quand on retourne la chaussette, (Bien faite ou mal faite ou pas faite, comme celles de la collection du Musée Pompidou) toutes philosophies (toutes œuvres pensées) dansent sur l’aporie… Un jour, dans un débat, un critique (un évidemment plutôt médiocre) m’a demandé depuis quand j’étais peintre. Surpris, car je crois qu’aucun peintre ne peut répondre à cette question, j’ai cité quelques moments de « reconnaissance », dit que j’avais aimé patauger dans les couleurs comme tous les enfants, puis en conclusion ironisé : « Probablement peintre depuis le jour de ma naissance.»

Comme nous ne naissons pas au moment de l’enregistrement en mairie de l’acte de naissance (constat social), la qualification de peintre qu’elle soit autoproclamée, ou dite par des connaisseurs, ou écrite dans les imprimés sécu comprise, n’est confirmée que par l’œuvre fait (bien ou mal, mais fait – quoi que jamais terminé. Toujours des suites possibles… Serait-ce par d’autres. Nous ne marchons jamais sur l’horizon. Quand naissons-nous ? De la rencontre de deux cellules de vie chez nos parents, ou de nos grands-parents, ou de nos lointains ancêtres, ou avec la première cellule de vie quelque part dans l’infini de l’espace et du temps ? Cette idée de limite impossible a constitué la structure porteuse autant car inséparable, de mes démarches en écritures qu’en œuvres plastiques. Travaux d’archéologue autant que de prévisionniste. Le temps et les matières sans avant et sans après fini déterminent un texte sans début connu, où j’existe déjà au temps d’Homère et aussi avant Homère, rappels avec mes Tiroirs aux Vieilleries pour les contenus « d’avant », mes Fragments du Patchwork, symboliquement héritiers de toute l’histoire de l’art, qui constituent un seul Patchwork toujours en progression, toujours ouvert à d’autres fragments, que je ne pourrai jamais achever, pourrais-je y coudre à tous les « rêvés » toute la « réalité » qui nous entoure. Un avant bien fait, un présent mal à faire, un à venir pas fait quoi qu’ébauché depuis toujours. Le vertige de l’infini.

* NOTE POUR CONCLUSION – où ce qui se disait en 1965 avant-garde devient académique –  cet extrait de l’article Taigiro Amazawa en Wikipédia :

« De 1964 à 1966, il poursuit ses études à l’université de Paris. Amazawa enseigne la littérature française médiévale en mettant l’accent sur l’épopée du Graal et le cercle des mythes autour du Roi Arthur. Il est également traducteur de la poésie française médiévale, entre autres de Chrétien de Troyes, Marie de France, Jean Renart, Rutebeuf, Adam de la Halle, Robert de Clari, Jean de Joinville, Philippe de Commynes, Charles Perrault, Julien Gracq et François Villon. Il est cofondateur de la revue Kyoku.

Il se fait connaître en 1957 avec un livre sur l’univers poétique du poète Miyazawa Kenji, sur lequel il rédige vers 1968 une étude très appréciée. Il publie deux recueils de poésie dans les années 1960 et se tourne dans les années 1970 de plus en plus vers la poésie en prose. En 1985, Amazawa est lauréat du prix Jun Takami pour Jigoku nite («地獄》にて), en 2001 du prix Yomiuri de littérature dans la catégorie poésie et de l’Ordre du Mérite sur ruban pourpre Yūmei gūrinka (幽明偶輪歌). En 2009, il devient membre de l’Académie japonaise des arts et l’année suivante est décoré de l’Ordre du Trésor sacré. »

Marcel ALOCCO