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D’autres films du Festival de Cannes, points de vue des femmes

Dans chacune des sélections du Festival de Cannes 2023, a été atteint une proportion record de réalisatrices. Un grand nombre d’entre elles y présentaient leur premier film. Il s’ensuivit un foisonnement de films abordant des problèmes sociaux d’un point de vue féminin, réalisés ou non par une femme.

Nous avons donc choisi de sélectionner six d’entre eux en raison de l’intérêt du thème traité. A savoir :

– Peut-on avoir une vie de couple sereine quand le plus âgé des deux n’est pas l’homme mais la femme ?

– Une femme ayant un handicap physique stigmatisant, peut-elle vivre comme n’importe qui ?

– Pour hériter de son mari, une femme doit-elle obligatoirement être mère d’un fils ?

– Quelle est la place de l’amitié ou de l’amour quand naît un enfant ?

– Qui décide et sur quels critères, une femme peut-elle être qualifiée de mauvaise mère ?

– A-t-on le droit d’être amoureuse quand on est une femme d’un certain âge vivant en zone rurale ?

« May December » de Todd Haynes Copyright May December Productions 2022 LLC

« May December » de Todd Haynes est l’un des grands oubliés du palmarès. Sa mise en scène très fluide et la performance de ses deux actrices auraient justifié qu’il reparte avec une récompense.

Le film se situe de nos jours dans une banlieue résidentielle d’une ville de la côte de la Géorgie (USA). Toute la famille élargie est réunie autour de Gracie (Julianne Moore) et son mari Joe (Charles Melton). Elle est quinquagénaire et cheffe d’une entreprise de panification. Il est trentenaire et directeur d’une pépinière. Vingt ans auparavant, leur relation amoureuse avait fait scandale. Il était lycéen et avait treize ans. Elle était mariée, mère de famille et avait trente-six ans. Elle avait connu la prison pour subornation de mineur mais cela ne les avait pas découragés. Après son divorce, ils s’étaient mariés et avaient eu trois enfants dont une fille née en prison.

Aujourd’hui, ils organisent un barbecue en l’honneur du départ pour l’université des enfants cadets. Une visiteuse débarque au milieu de la fête. C’est Élisabeth (Natalie Portman), actrice d’Hollywood, engagée pour jouer le rôle de Gracie dans un film sur le début de leur relation. Le comportement intrusif et passablement indiscret d’Élisabeth agace Gracie.

L’essentiel du film devient l’affrontement de deux « femmes puissantes », sans que ni l’une ni l’autre ne se départisse de ses bonnes manières. Tout le talent de Todd Haynes est de réussir à passionner les spectateurs en évitant deux écueils : la caricature et le mélo sentimental.

« Rosalie » de Stéphanie Di Giusto Copyright Stéphanie Di Giusto

« Rosalie » de Stéphanie Di Giusto, jeune cinéaste française. Ce film a un point commun avec « May December » , la description de la vie d’un couple ayant fait scandale. Ici, il s’agit de celui que forment Rosalie, la femme à barbe, interprétée par Nadia Tereszkiewicz et son mari Abel (Benoît Magimel). Avant de former un couple, ils devront subir quelques épreuves et humiliations.

Abel, patron du café d’un village dans la Bretagne des années 1870 épouse Rosalie pour sa dot. Ignorant qu’elle était atteinte d’hirsutisme, il la rejette quand vient le moment de consommer le mariage. Dans l’impossibilité de restituer le montant de la dot ayant servi à rembourser des dettes, il ne peut qu’accepter sa femme telle qu’elle est. Puis progressivement, il se met à l’aimer. Ensemble ils montent une affaire prospère. Le café d’Abel devient le lieu où l’on peut voir la femme à barbe et y acheter une photo d’elle. Ceci n’est pas du goût de l’Église et de Barcelin (Benjamin Biolay), hobereau local et patron de l’usine employant nombre de villageois.

A l’inverse des films ayant traité le thème du rejet et de l’exploitation d’une personne jugée monstrueuse (« Elephant Man » de David Lynch, « Venus noire » d’Abdellatif Kechiche), Stéphanie Di Giusto refuse tout dolorisme. Elle ne se borne pas à illustrer un plaidoyer pour l’acceptation de la différence mais décrit l’évolution d’une relation débutant par le rejet mutuel et se terminant dans la fusion totale.

Pour cette raison, Rosalie est l’un des plus émouvants films d’amour proposé par le Festival de Cannes.

« Inshallah un fils » d’Amjad Al Rasheed

« Inshallah un fils », premier film jordanien du jeune réalisateur Amjad Al Rasheed a été présenté à Cannes dans la sélection de la Semaine de la critique. C’est son premier long métrage.

L’argument du film tient dans son titre : Que Dieu fasse que j’ai un garçon !

Il raconte l’histoire de Nawal (Mouna Hawa), femme de trente ans ayant perdu brutalement son mari. Comme elle n’a qu’une fille, la plus grande part de son héritage risque de passer entre les mains de sa belle-famille, selon la coutume en vigueur en Jordanie. Pour éviter d’être jetée à la rue elle n’a qu’une possibilité, être enceinte et accoucher d’un fils. Le film est la description de toutes les manœuvres qu’elle tente.

Amjad Al Rasheed ne se contente pas de dénoncer les lois injustes régissant la vie familiale dans les sociétés patriarcales du sud méditerranéen et d’ailleurs, il scrute sans complaisance d’autres aspects de la vie à Amman.

Si l’infortunée Nawal bénéficie de peu de soutien de sa famille, elle n’en trouve pas d’avantage chez ses employeurs, une famille chrétienne aisée auprès de laquelle elle est employée comme aide-soignante. Le réalisateur aborde alors un autre aspect de la société jordanienne, celui d’un régime féodal dans lequel l’aspiration des femmes à d’avantage de liberté est étouffée qu’elle que soit leur position sociale ou leur religion.

« Le ravissement » d’Iris Kaltenbäck Copyright Mact Productions

« Le ravissement », présenté à la Semaine de la critique est le premier long métrage d’Iris Kaltenbäck. Il traite du désir d’enfant chez la femme comme chez l’homme. Confondre cette aspiration avec l’amour peut avoir des conséquences néfastes. C’est ce qui arrive à l’héroïne de ce récit, Lydia (Hafsia Herzi).

Le film débute comme une comédie sentimentale dans le milieu des bobos parisiens. Lydia et Salomé (Nina Meurisse) sont inséparables. Tandis que Salomé mène une vie rangée avec son compagnon, Lydia compense le stress de son métier de sage-femme par une vie sentimentale agitée. Salomé tombe enceinte et Lydia l’accompagne pendant sa grossesse et l’accouchement. Peu de temps après la naissance, Lydia promène le bébé dans la maternité. Elle y rencontre un de ses ex, Milos (Alexis Manenti). Ce dernier pense qu’elle est la mère du bébé. Celle-ci, par jeu ou par vengeance lui laisse croire qu’il pourrait en être le père. Comme dans la trilogie de Pagnol, il veut désormais la femme et l’enfant. Dès lors Lydia ne maîtrise plus la situation…

Ce récit subtil et bien rythmé peut être vu comme un thriller. Son intérêt principal est la fine description de la modification des comportements de chacun des protagonistes après l’apparition du bébé. Iris Kaltenbäck ne tombe jamais dans le moralisme et reste toujours proche de son héroïne, aussi paumée soit-elle. Au passage, elle donne une description très sombre d’un Paris toujours gris et pluvieux, celui de la fatalité, celui du cinéma français d’avant-guerre.

« Rien à perdre » de Delphine Deloget Copyright Curiosa Films

Dans un registre voisin du précédent, la description de la réalité sociale contemporaine, « Rien à perdre » de Delphine Deloget a été sélectionné par Un certain regard. Pour son premier film, cette jeune réalisatrice règle quelques comptes avec les services sociaux et judiciaires traitant de la petite enfance.

Sylvie (Virginie Efira), femme célibataire élève ses deux enfants Jean Jacques, adolescent et Sofiane, âgé de huit ans. Quand elle est dans la boite de nuit où elle travaille, Sofiane est placé sous la surveillance de l’aîné. Une nuit, le cadet laissé seul par son frère aîné, se brûle au torse en tentant de préparer des frites. Dès son retour à la maison, Jean Jacques conduit son frère à l’hôpital, sa mère étant injoignable. C’est ainsi qu’une implacable machine administrative se met en route. L’enfant est enlevé à sa mère, envoyé dans un établissement spécialisé puis placé en famille d’accueil. Sylvie lutte, se débat, essaye de faire ce qu’on lui demande mais rien n’y fait, la justice est sourde. Elle est niée en tant que mère, infantilisée et réduite à l’impuissance.

Ce film est, selon les propos de la réalisatrice, « un western social et familial ». Il emporte l’adhésion des spectateurs.

« Blackbird Blackbird Blackberry » d’Elene Naveriani Copyright Alva Film / Takes Film

Présenté à la Quinzaine des cinéastes, « Blackbird Blackbird Blackberry », troisième long métrage de la cinéaste géorgienne Elene Naveriani a été l’une des comédies les plus appréciées à Cannes. À la manière de Kaurismaki et Tati, la réalisatrice a su jouer sur le décalage entre ce que le spectateur sait et ce que font les personnages.

À quarante-huit ans, Ethéro (Eka Chavleishvili) n’a jamais fait l’amour. Elle vit seule et gère une petite droguerie dans un village géorgien. Son loisir principal est d’aller dans la campagne observer les merles et cueillir des mures. Lors d’une de ses sorties, elle glisse et manque de tomber dans un ravin. Cet incident sans dommages physiques la perturbe profondément et l’incite à changer quelque chose dans sa vie.

Le premier changement est la perte de sa virginité. Pour cela, elle bénéficiera de la participation active de Mourmane (Teimuraz Chinchinadze), l’homme qui lui livre les produits de son magasin

Bien que son idylle prenne une tournure de plus en plus romantique, elle n’en parle à personne même pas à ses amies, un groupe de commères, ses fidèles et rares clientes. Femme amoureuse bientôt abandonnée par son amant parti travailler sous d’autres cieux, elle poursuit sa mue, toujours aussi peu loquace mais riche désormais d’une lumière intérieure lui permettant d’aborder les péripéties de la vie avec détachement et sérénité.

Grâce à la profonde empathie d’Elene Naveriani pour son héroïne, elle peut se permettre de filmer avec respect et distance les scènes intimes entre Ethéro et Mourmane. Jusqu’à la fin, la réalisatrice maintient le cap entre naturalisme (la vie d’un village géorgien) et les rêveries d’une femme d’un certain âge.

Cette chronique sur le Festival de Cannes ne peut ignorer deux films programmés par la Quinzaine des cinéastes n’ayant rien de commun avec ceux cités plus haut mais qui, à nos yeux, sont des découvertes méritant d’être connues et diffusées.

« Grâce » d’Ilya Povolotsy

Le premier est un film russe d’un jeune cinéaste, Ilya Povolotsy : « Grâce ». Il décrit le périple en van d’un père (Gela Chitava) et sa fille (Maria Lukyanova) en Russie, du sud au nord entre la frontière de la Géorgie et les rives de la mer de Barents. On ne sait rien d’eux. Ils ne communiquent pas beaucoup entre eux et on imagine qu’ils vivent leur dernier voyage ensemble. Leur activité alimentaire est d’organiser des séances de cinéma ambulant dans les villages qu’ils traversent. À cette occasion, ils vendent des boissons, des confiseries et des copies de films pornos.

Le pays qu’ils traversent est tantôt grandiose tantôt abîmé par des constructions inachevées ou des friches industrielles. Dans les villages la vie semble figée et leurs rapports avec la population locale sont strictement commerciaux et quelquefois hostiles.

Ce film, tourné en 2021, pose plus de questions qu’il ne donne de réponses mais constitue néanmoins un précieuse description d’un peuple resté pour nous largement énigmatique.

« Un prince » de Pierre Creton

Le second, « Un prince », est le long métrage d’un cinéaste chevronné, Pierre Creton qui se proclame autant réalisateur qu’ouvrier agricole. Jusqu’ici, il n’avait jamais été sélectionné à Cannes. Ce qui ne l’a pas empêché de bâtir une œuvre d’autofiction dont les deux composantes principales sont l’amour de la terre et celui des hommes au sens physique du terme. Autour de ces deux pôles, Pierre Creton et son équipe de fidèles collaborateurs déroulent un récit sur une trentaine d’années parlant de rencontres, de vocation et surtout de la nature. Il invente une forme narrative ou l’image muette est commentée et parfois contredite par une voix off. Une fois habitué à ce procédé, on est séduit puis charmé par l’univers tout autant philosophique que poétique de ce créateur profondément original.

Bernard Boyer

Dates de sortie des films cités

Toutes inconnues sauf « Inshallah un fils » de Amjad Al Rasheed : 31/01/2024