Evénements

Une Fresque en Partage
Elaborée par les élèves et les habitants du quartier
Impasse Léo Ferré -3e arrondissement de Marseille

« La seule façon qu’on a de se sauver tous, c’est quand-même la culture, le partage et de se sentir tous artisans de cette culture. » (Stéphane Oualid)

En ce beau samedi d’un mois de mai brûlant, sur le mur d’un théâtre, quelque part en France, à Marseille plus précisément, un directeur d’école maternelle entouré d’officiels, de parents, d’enfants et de baladins, a inauguré une magnifique fresque en pâte de verre. Une fresque dont les élèves de l’école maternelle et les habitants du quartier sont les fiers et joyeux artisans.

Une fresque en partage « Environnement contre Culture »

« Cette pièce de Richard Martin, dont j’ai humblement écrit les dialogues, part d’une poubelle pour aller, je le souhaite, dans la tête des gens intelligents qui n’ont pas l’outrecuidance de confondre la merde avec le cœur. »

— Léo Ferré, 27 août 1983 (pour l’Opéra des Rats)

By Lotti Pix Photographe Marseille ©2022

Fruit de la volonté farouche de deux hommes, Stéphane Oualid et Richard Martin, fruit d’un collectif unissant les enfants de l’école maternelle et leurs parents, habitants des 2e et 3e arrondissements de Marseille, et réalisée sous la férule de Léonard Léoni, maitre mosaïste et d’Anne-Marie Labonne, une magnifique fresque a vu le jour. Colorée, joyeuse, artistique, poétique même, cette fresque aux rouges coquelicots où se mêlent des poissons, des rats, des bouteilles, laisse éclater ses rayons au soleil de cette impasse Léo Ferré. Mêlant, dans un même regard, à quelques décennies près, la pièce de Richard Martin adoubée par Léo Ferré ‘L’Opéra des Rats’ et la situation du quartier, cette fresque a une histoire, environnement contre culture. C’est en rencontrant Stéphane Oualid que nous allons vous la raconter.

Une école, un directeur et un théâtre… à part !

Il existe à Marseille une école maternelle particulière, c’est l’école maternelle Edouard Vaillant, dans le 3e arrondissement de Marseille, située dans une impasse au nom prophétique de Léo Ferré, face au grand Théâtre International Axel Toursky. Depuis de longues années déjà, son Directeur, Stéphane Oualid, est aussi un directeur à part, comme il en existe dans les quartiers difficiles, un de ces directeurs passionnés de laïcité, de citoyenneté, un de ces directeurs qui a fait de sa charge un but de vie, celui du vivre ‘bien’ ensemble. Contrairement aux idées reçues, il faut peu de courage pour y arriver, mais beaucoup de cœur car les parents et les enfants de son école, quand on les sollicite, sont solidaires et répondent présents.

Il existe également dans ce quartier un théâtre à part, le Théâtre Toursky, un théâtre remarquable à la renommée internationale, un endroit fraternel où l’on peut lire, se détendre le temps d’un café ou d’un sourire, où existent, non seulement des spectacles remarquables, mais une ‘Faites de la Fraternité’ exceptionnelle ; un théâtre avec un directeur particulier, Richard Martin, un poète irrépressible, qui parle avec les mots de tous les jours, qui pense avec ceux de Léo Ferré, et qui laisse la porte ouverte à tous les vents, qu’ils soient mistral ou zéphyr, ouverte à toutes les envies, ouverte à tous.

Stéphane Oualid et Richard Martin sont de la même trempe, de celle qui aime les gens, de celle qui a un besoin fou d’humanité. Tous deux, tendus dans une même volonté, celle de faire vivre la culture, remuent ciel et terre pour la partager en premier lieu avec ceux qu’ils côtoient tous les jours, les habitants de leur quartier.

By Lotti Pix Photographe Marseille ©2022

INTERVIEW

« A gauche, ‘l’Opéra des rats’ et à ma gauche, dans les encombrants, l’opéra des rats »

Danielle Dufour Verna – Comment vous est venue l’idée de la fresque ?

Stéphane Oualid – En attendant qu’une benne vienne retirer toutes les ordures. J’étais en train de réfléchir, je regardais le théâtre Toursky et j’ai pensé à l’Opéra des Rats ; à droite l’Opéra des Rats et à ma gauche, dans les encombrants, l’opéra des rats ! C’était environnement contre culture et je me suis dit, il faut faire quelque chose, il faut essayer de bouger un peu dans cette impasse et essayer de faire changer le regard à la fois sur le théâtre et aussi changer le regard sur notre environnement à nous et savoir comment on pourrait essayer d’imaginer le vivre tous ensemble dans cette impasse. Ça a été le point de départ. Ma fille travaille à La Ruche, à Paris, dans le 15e arrondissement qui connait très bien Léonard Léoni, un mosaïste de renom qui a près de 90 ans. C’est lui qui a fait toutes les mosaïques de la Fondation Maeght à Saint Paul de Vence et tant d’autres choses. Je suis allé le voir en 2019 et je lui ai demandé s’il serait partant pour faire une mosaïque avec mes enfants. De fil en aiguille on a commencé à essayer d’envisager ce projet. Ça a commencé comme cela. Il est venu pendant une semaine à l’école et on a commencé à faire de petites mosaïques avec les enfants, avec des parents, etc. tout le monde travaillait la journée et petit à petit on s’est dit mais en fait, il faut aller plus loin, il faut faire une fresque, d’où cette idée de la fresque. Avec les enfants et les parents, on a rencontré Richard plein de fois. Dans un premier temps pour qu’il nous parle de la pièce, pour qu’il nous raconte ce que c’était cette pièce car il n’y a aucune captation pour l’Opéra des rats et on a vu au fur et à mesure se dessiner des éléments, des objets de cette pièce-là avec les coquelicots, avec la décharge, avec le bateau, avec la mer, avec l’évasion… Petit à petit les enfants ont commencé à faire des croquis de coquelicots, de dessins etc. On a établi un cahier des charges avec Léonard pour qu’il nous dessine la maquette de cette fresque qui devait voir le jour. On s’est finalement arrêté sur un dessin qui est une mise en page des différents éléments que les enfants avaient croqués, dessinés. C’était intéressant car nous étions vraiment dans un travail de réflexion. On ne se posait plus la question si on était avec des petits ou des grands ou des moyens ou des artistes.

DDV –Combien de temps a t’il fallu pour élaborer la fresque ?

Stéphane Oualid -La fresque a commencé en février 2020 pendant les vacances. Juste pour la petite histoire, c’est une fresque en pâte de verre qui coûte beaucoup d’argent. Ce n’est pas de la céramique, c’est vraiment de la pâte de verre. Il y a énormément de matière première, il fallait de l’argent. A ce moment-là, la Métropole de Marseille-Aix mettait en place dans le quartier un budget participatif pour voir se réaliser les projets que les habitants des quartiers avaient envie de créer. J’ai présenté cette réalisation de la fresque, il y a eu des élections dans les quartiers qui se sont faites devant les écoles et nous avons remporté le premier prix pour ce projet. Ce budget a permis de pouvoir monter tout le reste du projet. On a donc démarré en février 2020 et on a très vite fait la moitié de la fresque avec des parents, des habitants des quartiers, des adolescents qui sont venus toute la journée à l’école. Ensuite il y a eu la COVID, tout s’est arrêté et on a tout rangé. On a repris environ un an, un an et demi après. C’est Anne-Marie Labonne qui a pris le relais en qualité de mosaïste.

DDV –Faite par les gens du quartier pour les gens du quartier…

« ça fait changer le statut des individus. On passe d’habitant à habité »

Stéphane Oualid – Exactement, avec cette idée de quelle trace on laisse, avec cette idée que la mosaïque est un des premiers arts populaires. On boucle la boucle. Ça fait changer le statut des individus, on passe d’habitant à habité. Cela modifie la façon d’habiter le quartier. A ce niveau-là, nous n’étions plus des habitants, nous étions des habités. On n’a plus un statut en soi mais on se donne un statut. C’est la même volonté qu’a Richard Martin.

Lors de la 2e représentation de l’Opéra des rats au toursky richard a voulu qu’il y ait des acteurs amateurs habitants le quartier du 3e arrondissement. La même volonté autour de la fresque quelques décennies plus tard, c’est encore un collectif d’habitants et de gens qui se mobilisent dans le quartier pour vivre ensemble, pour partager une expérience commune.

La seule façon qu’on a de se sauver tous, c’est quand-même la culture, le partage et de se sentir tous artisans de cette culture.

Danielle Dufour Verna