Evénements

Le Nice Jazz Festival raccourci et quatre lampions

Le Nice Jazz Festival s’est déroulé sur quatre jours (du 18 au 21 juillet dernier), dans sa formule habituelle : trois concerts par soir sur deux scènes, et un programme allant de la variété au Jazz contemporain .

Parmi les concerts de Jazz se tenant dans la plupart des cas au théâtre de Verdure, nous en avons sélectionné quatre, un par soir. Ils représentent pour nous ce que la manifestation offrait de mieux.

Le premier, nous a séduit parce qu’il a mis en valeur l’art de l’improvisation, le second nous a permis de découvrir un grand virtuose, le troisième nous a offert l’exploration de nouveaux territoires musicaux quant au quatrième il nous a donné la satisfaction de partager une même culture.

Mardi 18 juillet, quartet de Dave Holland : L’essence du jazz contemporain.

Dave Holland Quartet

Le concert du quartet de Dave Holland a été pour les spectateurs une occasion rare d’accéder à un jazz contemporain de haut vol. À la fois très écrite et très libre, l’interprétation de la demi-douzaine de thèmes a été un enchaînement de solos fluides marqué par la présence vigilante du leader. Quant il intervient c’est pour rappeler le thème, asseoir le tempo et réintroduire un peu de groove quand il fait défaut.

Dave Holland a laissé largement ses musiciens briller. Ainsi nous avons pu apprécier la maîtrise de la jeune pianiste et la grande virtuosité du saxophoniste alto qui a démontré toute l’étendue de son savoir faire dans « Flipside », morceau de sa composition,

David Holland (contrebasse), Nasheet Waits (batterie), Jaleel Shaw (sax alto ) et Kris Davis (piano)

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Mercredi 19 juillet, quartet d’Immanuel Wilkins : Entre Free Jazz et Spiritual Jazz.

Immanuel Wilkins

Immanuel Wilkins, jeune saxophoniste de vingt six ans a connu une rapide ascension. À peine sorti de Juilliard School, il a collaboré avec de nombreux musiciens importants : Jason Moran, the Count Basie Orchestra, Delfeayo Marsalis, Gerald Clayton, Bob Dylan, Wynton Marsalis, etc.

En 2020, il a signé chez chez Blue Notre pour un premier disque, « Omega », remarqué par la critique. Il a été suivi d’un second en 2022, composition d’inspiration mystique en sept parties baptisée « The 7th Hand ».

Depuis quelques mois,son quartet enchaîne les tournées aux États-Unis et en Europe avec pour répertoire essentiel « The 7th Hand ».

Bien qu’il soit une star pour de nombreux amateurs, à Nice il se comporte très humblement. Il entre en scène discrètement, se contente de bredouiller le nom des musiciens et déclare qu’ils vont interpréter « The 7th Hand ». Et nous voici embarqués pour un voyage d’une heure dans un univers pas toujours facile d’accès. Ceux qui connaissent son disque auront pu mieux comprendre sa démarche. Malheureusement, ce disque n’a pas été bien distribué en France.

Dans le premier morceau, « Emanation », les musiciens dialoguent entre eux sur un tempo assez rapide. On peu alors apprécier la fluidité du jeu et le tranchant du saxo alto d’Immanuel Wilkins. Il est suivi par un solo souple et décontracté du pianiste.

Dans le morceau qui suit, « Don’t Break », La rythmique évoque l’Afrique et le saxo sonne plus gospel. On pense alors à Kenny Garrett.

Le climat vire au méditatif dans la troisième partie, « Fugitive Ritual, Selah ». La répétition d’une phrase musicale par le saxo et le piano unis accentue le caractère mélancolique de cette séquence.

« Shadow » et « Witness », quatrième et cinquième morceaux sont tout autant répétitifs et solennels que le précédent. Cependant, ils se développent dans un climat plus funky, celui des années soixante chez Blue Note.

Dans l’avant dernière séquence, « Lighthouse », Immanuel Wilkins se libère des contraintes du groupe. Tandis que sa section rythmique tisse un tapis sonore assez neutre, le saxo virevolte dans de courtes phrases comme un papillon sur un champ de coquelicots.

Vient enfin la conclusion, « Lift ». C’est la surprise du chef! Le saxo, sans préambule, part dans un solo stratosphérique d’une durée de 20 mn où les notes pleuvent par rafales tel un ouragan. Il dure 25 mn dans le disque et a pu atteindre 45 mn dans certains concerts. Cette envolée intrigue, captive ou transporte le spectateur mais, semble-t-il, ne suscite aucun rejet puisque personne n’a quitté l’amphithéâtre.

Cet époustouflant final est un clin d’œil coltranien. Coltrane, dans les dernières années de sa vie, avait l’habitude de faire des solos qui pouvait durer près d’une heure. Depuis sa mort, peu de saxophonistes se sont risqués sur ce terrain. Aujourd’hui ceux qui veulent rendre hommage à ce maître se contentent de reprendre ses thèmes. Wilkins reprend ses solos.

Immanuel Wilkins (sax alto),Micah Thomas (piano), Rick Rosato (contrebasse) et Kweku Sumbry (batterie)

Jeudi 20 juillet, trio Gogo Penguin : Aux frontières du Jazz et de la Techno.

Trio Gogo Penguin

Les amateurs de jazz ont, depuis dix ans, quelque peu négligé l’œuvre de Gogo Penguin qu’ils considèrent comme faisant partie de la musique techno. La venue à Nice du trio a été pour le public une occasion d’aborder cette musique sans préjugé. Nous avons donc pu vivre une expérience peu fréquente, celle d’écouter un groupe dont ne savions rien et nous avons tiré de cette dernière les conclusions suivantes.

Première constatation : ce groupe plaît aux jeunes. Le public juvénile et enthousiaste semblait connaître les morceaux de leur nouvel album puisque souvent il applaudissait dès les premières mesures. Ce qui ne manquait pas de nous étonner car ils semblaient tous identiques.

Deuxième constatation : ils jouent fort, leur son étant non seulement amplifié mais modifié par des procédés électroniques.

Troisième constatation : à l’inverse des trios piano-basse-batterie habituels, il n’y a pas de leader immuable. Tantôt c’est le pianiste qui mène, tantôt c’est le bassiste et rarement le batteur. Nous avons appris depuis que ce dernier est le nouveau membre de la bande.

Quatrième constatation : le groupe fonctionne selon un principe invariable. D’abord est exposé non pas un thème mais une sorte de ritournelle de quelques notes qui est tantôt répétée par les deux autres musiciens, tantôt enrichie de riffs. Le résultat est la création d’un climat sonore entêtant et l’apparition d’une pulsation donnant envie de danser Et puis cela s’arrête brusquement comme si l’on avait coupé le courant.

Cinquième constatation : leur prestation est aussi agréable que chaleureuse. On ne s’ennuie pas à leur concert. Même si l’on pense qu’ils doivent beaucoup à Brian Eno, à EST et à Philip Glass entre autres, leur approche est suffisamment originale pour ne pas leur tenir rigueur de leurs emprunts.

Chris Illingworth (piano), Nick Blacka (basse), Jon Scott (batterie).

Vendredi 23 juillet, Donald Harrison quartet : Le nouveau swing, cour magistral et illustrations.

Donald Harrison quartet

Le saxophoniste alto Donald Harrison, est un illustre inconnu qui a souvent été accompagnateur et rarement leader. Ainsi, il était à Nice en 1983 au coté d’Art Blakey. Il a également accompagné McCoy Tyner, Eddie Henderson, Roy Haynes et Miles Davis. Natif de la Nouvelle Orleans, il a célébré la musique de sa ville avec Docteur John. Il est en outre un pédagogue reconnu. Jonathan Batiste, Christian Scott, Trombone Shorty et Esperanza Spalding ont été ses élèves.

Enfin on apprend qu’il est le chef de file d’un courant baptisé « le Nouveau Swing » tentant la synthèse entre le le swing, le jazz moderne, le hip-hop, le funk et la musique soul.

Pour nous expliquer ce concept, ce fringuant sexagénaire qu’est Donald Harrison a enchaîné les exemples.

Il débute son spectacle en chantant successivement « It Don’t Mean a Thing » de Duke Ellington, puis « I Feel Good » de James Brown  et un morceau de Rap. Puis il a pris son saxo pour rendre hommage tour à tour à Sydney Bechet avec « Maple leaf rag », à Charlie Parker avec « Hot House », à Miles Davis avec « Bye Bye Blackbird » et enfin à John Coltrane avec « Impression ». Chaque interprétation est jouée avec feeling et conviction. Le public est d’abord intrigué puis amusé et enfin conquis. Son panorama de l’histoire du jazz se poursuit avec « Temporal Hurricane » aux couleurs latino et se termine par « Scotch », morceau funky dans le style d’Eddy Harris.

Donald Harrison Jr. (saxophone) Daniel Kaufman (piano) Noriatsu Naraoka (contrebasse) Brian Richburg (batterie).

Avec quatre soirées de concert (elles étaient six à Antibes, dix sept à Marciac et seize à Vienne), le Nice Jazz Festival donne l’impression qu’il est en train de s’éteindre. Après une annulation pour cause d’attentat et une autre en raison de la COVID, on pouvait espérer qu’il allait se relancer.

Au lieu de cela, il perd une journée par an.

Quel est l’avenir de ce festival si chez au cœur des Niçois ? On est en droit de se poser la question.

Bernard Boyer