Les clairs obscurs de la vie de Gilbert Pedinielli
Entre amour et colère Gilbert Pedinielli, niçois de cœur et de naissance, présente actuellement Vivons la Ville, jusqu’au 16 mars 2024, au 109 à Nice, une cinquantaine de peintures récentes, certaines figuratives pour la première fois, avec une technique et un traitement de la toile et des empreintes de peinture, original. Une exposition à découvrir et apprécier.
En utilisant le nombre d’or comme il en a coutume, avec la précision minutieuse qui lui est due, il donne chair à ses croquis, à ses calculs, les enchante de ses désappointements, de ses colères, de ses éblouissements, architecture les moments forts de sa vie, ses espoirs pour transmettre des messages politiques et artistiques.
Avant l’œuvre finie, l’artiste impose à la toile un rituel de lavages et essorage à la machine. Laver pour libérer l’apprêt du lin, puis sécher, repasser, coudre le pourtour, teindre la toile à la machine puis réaliser ses tracés méticuleux qu’il soumet à un cycle d’essorage, ainsi maltraitée dans le tambour, il ne reste alors que les marques allégées du surplus de peinture, qu’il repeint et termine. Ainsi mise à l’épreuve, la peinture est impliquée au cœur de la toile, ancrée dans son propos.
Outre ces explications, ce puriste expose souvent à coté de l’œuvre, le croquis très rigoureux, la grille de l’encre de ses calculs, la construction selon le nombre d’or où il insère l’image puis ensuite la perspective, avant l’essorage à la machine, et la réalisation finale.
Gilbert Pedinielli annonce une exposition figurative, il l’a dotée de titres précis, bien choisis, avec de brefs souvenirs de jeunesse le camp d’aviation où travailla son père, sa première signature avant d’être l’artiste engagé qui propose un monument au militant inconnu. Suivons l’animation de cette histoire d’une vie.
L’ensemble des œuvres rappelle ses luttes.
L’ensemble des œuvres rappelle ses luttes d’idées et ses combats alors qu’il militait avec une dizaine d’artistes de création différente, mais d’affinités politiques et amicales communes à la Galerie Calibre 33.
Toujours fidèle à ses engagements politiques, certaines œuvres chantent la mélancolie des lendemains qui n’évoluent pas. L’artiste fixe à jamais sur la toile titrée Gare SNCF à midi après cinq jours de grève, la morosité ambiante autour d‘un train abandonné de ses passagers, pointant en perspective vers une lumière. Décalée. L’avenir incertain. Ombres et fumée, valeurs de teinte noir gris blanc… fumée. Une très belle œuvre.
Proche du manifeste, les œuvres foisonnent de messages politiques, féministes, de références historiques, littéraires, artistiques, pour qui sait les lire et de projets architecturés. L’artiste s’intéresse aux progrès techniques, on appréciera le tunnel et sa perspective vers la lumière de la ville qui souligne la prouesse de l’ouvrage, de même que des lieux improbables, qui lui conviennent bien, un Caniveau qu’il illumine d’un poème, un Parking transformé en terrain de jeu qu’il fait sien.
Tiraillement, emprunter une passerelle tout en s’émerveillant des perspectives du pont de Brooklyn ?
Pedinielli citadin et homme d’humeurs, s’il décrie une ville qui a perdu de son charme, la tendance minérale de la ville, et certaines constructions, blockhaus, s’il signe une œuvre l’artiste floral est apolitique, c’est autant un message adressé à la ville qu’aux artistes engagés qui baissent les armes en créant des œuvres florales exposées dans les musées municipaux. L’âge et la reconnaissance de son engagement le lui permettent avec simplement une règle, un compas, et une équerre.
Tout à coup m’arrive comme un flash, une interprétation peut être risquée … les lignes et triangles, soigneusement calculés par l’artiste, les grues du port prennent vie et forme humaine ..comme dans un film d’animation, un Être peut- être sorti de mer, fruit de calculs précis et de tourments, se profile dans une tentative d’intégration, il se heurte comme un papillon de nuit, contre les murs d’une ville qui lui refuse hospitalité. Incertitude de son destin., valeurs gris noir blanc.. Cet homme sans visage sera- t-il accueilli comme dans la belle toile titrée Intégration, ou définitivement rejeté no pasaran. Séparées ou groupées, ces œuvres rythment, frappent la scénographie de l’exposition. Ce graphisme récurant de plus en plus puissant transmet des messages de soutien à la cause des émigrés ou se positionne à l’écoute de la femme, avec le réalisateur Jean-Louis Godard, deux trois choses que je sais d’elle qui évoque la prostitution occasionnelle des femmes pour nourrir leurs enfants et les banlieues paupérisées qui gagnent la ville
En utilisant toujours le nombre d’or, au fil de la création, l’artiste élabore petit à petit une transformation, la femme prend corps et chair, le temps est venu de parler du rôle de l’art avec elle dans la vie des hommes.
Le père Wresinski dans les années 50, revendiquait lui aussi la nécessité de l’art dans le camp pourtant des plus démunis de Noisy le Grand *
Sans oublier le ton de la polémique, Pedinielli explore l’espoir et tente l’expérience de l’art, avec la danse de la femme dans la ville où l’art est partout.
On pense à Pietragalla, danseuse étoile de l’opéra de Paris, qui après avoir brisé le carcan des codes traditionnels, chorégraphie la pluralité d’expressions de la danse, y joint l’oralité, la poésie et l’indicible de son métier et de son art. Pietragalla La femme qui danse, exprime une notion d’humanité et d’ouverture au monde, qui a quelques similitudes avec la femme qui danse la ville et témoigne de Pedinielli.
L’expérience de la danse proposée par l’artiste n’est pas un parcours tranquille, elle lui permet des jeux de clichés, d’exprimer ses révoltes, des colères et des émotions, sa position par rapport aux luttes féministes.
Cependant au passé comme au présent l’artiste montre son ancrage à Sa Ville, Nice Ville devenue cosmopolite, dont l’histoire se continue avec d’autres langues, US go home, des rappels du Bauhaus, des inscriptions dans l’œuvre Kultur ist ordnung ou Schlage das internationale Kapital.
L’ exposition poursuivra son chemin hors les murs de Nice, cet automne à Bruxelles. Fidèle à ses combats, inscrire « Democracy is just a trick, » à son parcours serait presque une blague de fin de soirée, du registre de l’humour provocateur, si ce slogan n’était écrit sur le corps d’une femme qui sombre, poussée dans les ténèbres, ce qui laisse un goût amer. Dur tribu à payer.
Ce parcours de vie est empreint de mélancolie par ses teintes incrustées dans les œuvres, de lassitude aussi face aux constats qui entravent l’idéal dont rêve l’artiste. L’architecture qu’il affectionne est constamment présente, avec des murs qui oppressent et l’urgence du temps, moteur de cette abondante création de 2022/ début 2024.
La Ville de Nice symbolise t- elle la femme ou la femme révèle-t -elle la ville pour l’artiste, c’est toute l’histoire de l’œuvre Dansons la Ville et sans doute la réponse. Elle porte à elle seule les combats de Vie de Gilbert Pedinielli qu’il transmet au public au rythme du rap, entre hip hop, danse et graffitis, à sa manière et avec émotion. L’art dénonce et véhicule des idées ….l’artiste concède c’est difficile de construire une ville, sans doute comme de faire défiler des pans de vie d’un militant en quelques tableaux.
*Autre époque, autre sensibilité, Le père Joseph Wresinski né en 1917 fondateur du mouvement (aide à toute détresse) ART Quart Monde, avait déjà revendiqué la nécessité de l’ART même pour les plus démunis du camp de Noisy le Grand Il avait commandé des vitraux pour la chapelle à Jean Bazaine, et demandé à Catherine de Seynes de donner des cours de théâtre aux enfants, elle les passionna et monta Antigone avec eux.
BRIGITTE CHERY
Vivons la Ville exposition au 109, Pôle de cultures contemporaines, anciens abattoirs de Nice, présentée par la mairie de Nice du 16 février au 16 mars 2024 ouverture du mercredi au vendredi et quelques samedis de 11H /18H
Centre d’Arts Pluriels AUTONOMIE à Bruxelles du 27 septembre au 27 octobre 2024
Image de couverture photos Béatrice Heyligers:
de gauche à droite
Cours , Camarade, le vieux monde est derrière toi
Les Ponchettes,
Cette femme est fantastique