Artistes

Michel Deguy 1930-2022

Michel Deguy, qui est décédé le 16 février a souvent été évoqué ici; de ces présentations je reprends quelques lignes, en signe de déférence.

Sauf à trahir sa complexité essentielle, il est évidemment l’impossible de réduire un auteur de cette immensité à quelques lignes. À peine soulignera-t-on la souveraineté avec laquelle Deguy a tenu l’intenable situation de poète-philosophe, au point de rendre cette désignation duelle, obsolète, quand pensée et poème s’entremêlent en une indistinction suprême, finalement innommable.

Tout pourtant s’unifie dans la finesse et l’élégance d’une écriture savante, française, pourrait-on dire, en enlevant toute connotation nationaliste quand justement l’assurance d’une irréductible identité ouvre un cosmopolitisme lucide. Et l’on sait combien Deguy fut généreusement attentif aux voix venues d’ailleurs, s’engageant à la fois comme traducteur, éditeur, diffuseur.

La quête obstinée du mot juste (son et sens), volontiers inaccoutumé, et la construction de la phrase fusionnent l’éminence d’une histoire de la langue et la forme la plus risquée de la modernité; fusionnent aussi le lyrisme et raison critique, gravité et ironie, dans un écart de l’auteur à lui-même permettant la lucidité ( « la restriction du moi est la voie de la sagesse », dit-il, déplorant au passage la propagation d’une tendance inverse).

Deguy, s’investit toujours avec clairvoyance et compassion, dans la marche du monde, ses drames, ses splendeurs; toute son écriture est parcourue par cette implication qu’il nommait, dans le sens originel du mot,« écologique », nouant le mot « écopoètique »: la proposition poétique dit son aversion pour la tautologie.

Lire Deguy commande aussi l’effort d’élever sa lecture à la hauteur de l’exigence de sa pensée, dans une élaboration des figures de la phrase, un sens du style où se déploient toutes les ressources d’une langue pour célébrer sa distinctive identité, qu’enrichit la sophistication de son être-culture, propre à décourager tout survol hâtif.

Élitiste, assurément, (discrédit absolu en ces temps s’accommodant plutôt du trivial) quand l’ambition de culture oblige une « transcendance », pour éviter le naufrage dans l’action culturelle.

« Quand j’écris une chose pour moi, elle est aussi destinée à quelquun qui pourrait la partager. Le lecteur, cest lautre en soi-même. », réplique-t-il.

Un grande voix s’éteint, au-delà de la tristesse de ce silence, de l’homme-ami dont on ne dira rien ici, reste l’œuvre, considérable, à méditer infiniment.

Alain Lestié