Brèves de lecture

Une histoire mondiale des femmes photographes

Le projet est très ambitieux : Faire « Une histoire mondiale des femmes photographes » depuis les débuts du médium (avec Anna Atkins, 1799-1871) jusqu’à la lisière de notre siècle (Newsha Tavakolian, 1981-). L’ouvrage présente un travail collectif réunissant les présentations critiques (accompagnées de 450 images) de 160 contributrices de langues diverses (Anglais, portugais, ukrainien, russe, hongrois, italien, polonais, espagnol néerlandais, allemand… rassurez-vous toutes langues traduites en français !) présentant 300 femmes photographes de 130 origines différentes. Enorme entreprise dont le bilan devrait constituer, avec son cairn de matériaux, l’un des outils incontournables pour poser les préliminaires à tout travail sur l’histoire de la photographie.

Chacune des photographes est présentée sur une page, le propos critique est illustré d’une image. Certaines ont droit sur une page (parfois deux), dans l’un des cinq portfolios qui scandent le livre, à une reproduction en plus grand format. Difficile bien sûr de se rendre compte de la qualité du cliché, sauf à connaître l’original ou à défaut de faire un effort spéculatif d’imagination. S’impose ainsi la tendance figurative de la photographie qui d’origine revendiquait une meilleure objectivité, témoignage qui promettait être plus fiable que la figuration picturale. Si la valeur plastique de l’image est aussi dans la photo une part du propos de la prise de vue l’anecdote s’impose davantage que dans le dessin ou la peinture, et le texte souvent le souligne : la prise est située, datée, témoigne d’un état, d’un événement, devenant consciemment ou pas document historique, ou pour le moins sociologique. À ses débuts par le coût du matériel et la disponibilité nécessaire la photo était élitaire. Elle s’inspirait du peintre, privilégiait le portrait, le paysage, la scène posée… Avec la vitesse de prise de vue arrive l’événement, la saisie de l’instant imprévu.

Le parti-pris ici adopté d’écriture critique exclusivement par des femmes était-il pertinent ? Certes, ces dernières décennies le militantisme féminin s’est proposé l’objectif de redonner aux femmes, dans l’histoire en général, une meilleure visibilité. Existerait-il un regard féminin que traduirait autrement l’art photographique ? À feuilleter le livre sans le lire ce n’est guère évident. Que le discours dans ce livre à propos de certaines images ait une approche un peu différente dans l’interprétation est un autre problème. On peut raconter autrement l’histoire mais on n’en change pas les faits. Les mêmes conditions qui réduisaient la place des femmes artistes leur rendaient difficile la possibilité d’accéder aux arts. C’est que leur place dans la société était conditionnée pour être en tout réduite. Devant la réprobation sociale, moins de possibilité et moins de désir d’accéder à exercer la profession. Donc moins de candidates, et moins de laurées. La photographie, art moderne, a cependant ouvert plus de possibilité, surtout depuis que se sont répandus les appareils incitant à la « photo de famille », à l’exercice en amateur qui peut conduire à la volonté de construire une vision. On peut se demander si construire un espace féminin de la photo est pertinent pour la promotion des artistes. Nous savons que le temps record sur 400 mètres homme est meilleur que celui du 400 mètres féminin… L’inconscient transpose du domaine objectif physique au domaine subjectif de l’appréciation : catégoriser les pratiques en genre risque d’être ressenti comme une mise à l’abri de la concurrence. Un meilleur partage dans une sélection mixte aurait peut-être mieux avantagé les élues. Les mentalités ne changent pas d’un coup de baguette magique, mais par un long minutieux travail. On peut espérer que ce livre participera tout de même à cette avancée. Le plaisir de quelques découvertes sera toujours autant de gagné.

Dans cet ouvrage nous est livré un panorama varié, évolutif, qui aidera sans doute à élargir la perception de la place des femmes dans histoire de l’art photographique, et contribuera à donner au moins en ce domaine quelques amers aux navigateurs, repères utiles en nos temps de prolification tsunamique de l’image.

Marcel ALOCCO

Note du 18 mai 2021 :

4ème édition du Prix des libraires « Jaime le livre dart »

Avec une participation record de 400 libraires et parmi un catalogue prestigieux de 30 éditeurs et 60 titres, le Prix « J’aime le livre d’art » récompense le livre des Editions Textuel

Une Histoire Mondiale des Femmes photographes.

Sous la direction de Luce Lebart et Marie Robert et sous la direction artistique de Studio Dahan…

Une histoire mondiale des femmes photographes

Sous la direction de Luce Lebart et Marie Robert Editions Textuel

25 x 28,8 relié, 504 pages, 69 €