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« OREKHOV » AU TOURSKY – D’APRÈS UN DISSIDENT DU KGB DE NICOLAS JALLOT

Librement inspirée de l’histoire réelle exhumée par le journaliste d’investigation Nicolas Jallot. Après dix ans d’enquête sur l’ex-capitaine du KGB, Viktor Orekhov exilé aux États-Unis qui, à l’époque de l’URSS, surveillait principalement l’écrivain russe Alexandre Soljenitsyne porte-parole du goulag, découvrant l’œuvre bouleversante « l’Archipel du goulag », prix Nobel de littérature parue en 73 à Paris, avait gravi lentement les marches de la dissidence, alors qu’il était chargé de traquer, et d’envoyer tout dissident au goulag.

Un cas unique dans l’histoire du KGB, ou le pouvoir de la littérature comme « Éveil de la conscience » et la solitude extrême d’Orekhov, subliment un acte magistral de résistance. Une œuvre adaptée et proposée par « Ainsi de suite » avec un style de théâtre particulier aux accents très cinématographiques, qui nous plonge au cœur du système Stalinien. Une comédie dramatique, mise en scène par Claude Pelopidas, « cruelle, drôle et émouvante.» Il fallait être à la hauteur de ce puissant récit , chargé d’une confrontation entre un régime totalitaire et les antagonistes principalement écrivains, intellectuels, artistes, politiques considérés ennemis du peuple. Une histoire fondée sur le drame humain.

Une réplique d’Orekhov dénoncé par l’un de ces dissidents qu’il tentait de protéger Mark Morozov, à son supérieur Passé de l’autre côté du miroir, tout en restant au cœur du système sans trahir sa patrie comme certains agents partis espionner à l’Ouest et qui sont passés à l’ennemi ; cet ex-brillant officier voué à une belle carrière, jouant ce double jeu périlleux, pendant plus de deux ans, s’est vu son destin brisé.

Arrêté par ses collègues en 1978, dans les locaux de la Loubianka, il subira le même sort réservé aux dissidents. Condamné à huit ans de réclusion dans un camp de régime sévère, il connut à son tour « l’Enfer du Goulag » pour avoir failli dans ses fonctions, en aidant et protégeant souvent à leur insu, ceux qui se battaient pour les Droits de l’Homme et la Liberté.

Libéré en 1986, c’est l’entame de la Perestroîka par Gorbatchev. Une libération de courte durée. Poursuivi par la haine de ses anciens supérieurs jusque dans les années 90, c’est-à-dire même après la disparition de l’URSS, il fût à nouveau condamné aux travaux forcés pour un motif fallacieux. Après avoir purgé cette nouvelle peine d’une année, se sentant toujours menacé ; en 1997, il consent à l’exil aux USA. Sans oublier sa chère patrie, déchu de tous ses droits, sans papiers,sans téléphone, Viktor Orekhov, septuagénaire, vit de façon précaire sous une autre identité.

Olivier Cesario, protagoniste de ce «Spotlight » de Nicolas Jallot et adaptée de faits réels, dans la veine d’Orekhov, interprète ce rôle d’une façon éblouissante, avec sobriété, humilité, dont la modestie fait le charme et l’intérêt de cette prise de conscience par le public suscitant de surcroît empathie multidimensionnelle.

Le rideau se lève…

Nous sommes dans le fameux bureau de l’ex kGB, dans les étages sombres de la Loubianka ou chaque suspect est interrogé, assis sur une chaise en bois, les mains sous les fesses, dos à une immense bannière rouge avec une étoile symbolisant les cinq continents à l’effigie de Lénine et Marx, synonyme d’austérité, entre Viktor Orekhov et son subalterne.

Un décor sobre et très représentatif. Disposant des rideaux noirs du théâtre, il a suffit de peu de moyens pour se retrouver plongé dans les années 70. Deux bureaux et deux chaises en bois, deux téléphones, une machine à écrire, une table d’écoute, un code pénal et, la copie du fameux livre «L’archipel du goulag » tournant de l’histoire, imprimée en décembre 73 à Paris en version Russe, ainsi qu’un disque des Beattles, pièces à charge.

Un éclairage très subtil donnant force à la scène. Trois lampes suspendues, dont l’une au centre plus haute et en retrait pour éclairer le centre et surtout la bannière, les deux autres aux dessus des bureaux.

Côté « cabaret »

Jacques Brossier, chargé des décors, toujours dans la subtilité conservant le mobilier en bois, modifie quelque peu celui-ci, en apposant en lieu et place de la bannière rouge, une bannière blanche à l’effigie d’Alexandre Soljenitsyne, symbole de la liberté. Pour donner un côté cabaret, les tables et chaises étaient disposées autrement, seule la lampe centrale éclairait la piste et la bannière. Un piano placé en amont à gauche de la scène, venait compléter le décor. Dans la demi–pénombre, Dasha Baskakova au piano avec sa chaude voix slave nous embarque dans ses chants et mélodies de la «belle Russie », qui contrastent avec la froideur de la musique du régime soviétique.

C’est là que se côtoyaient dissidents et agents du KGB infiltrés. Viktor Orekhov s’était fait passé pour un professeur de mathématiques. Fortement impacté par une mission précédente au Japon, ou il était chargé de surveiller les danseurs du Bolchoî afin d’éviter tout contact avec les « capitalistes mécréants » ; au fur et à mesure de son enquête, cet homme inflexible, épris des livres interdits, de la musique des « Beattles », au contact avec les ennemis dans ce cabaret où l’on chante, danse, chavire son esprit, comprend que ce n’était point des révolutionnaires ou des conspirateurs, mais tout simplement des gens qui ne manifestaient nulle haine de leur pays, défendant âprement les droits de l’homme, la démocratie contre le totalitarisme. Réalisant l’imposture du régime, Orekhov bascule dans la dissidence.

Côté « goulag »

Recréant l’ambiance sibérienne du goulag où est envoyé Viktor Orekhov ; la mise en scène est remarquable, avec son décor, ses jeux de lumière jaillissants créés par Jérémie Pinna. Dans la pénombre, on entrevoit des prisonniers dits «zeks» vêtus de longs manteaux jusqu’aux chevilles et coiffés de bonnet. plutôt des êtres humains réduits en l’état de morts-vivants déambulant ou tentant de se réchauffer.

Le but recherché du régime était double : constituer un minimum d’état de droit à l’intérieur du régime soviétique et améliorer l’image internationale de l’Union Soviétique en réduisant au silence toute opposition.

Cet émouvant témoignage du «Juste » Orekhov qui nous offre une leçon de vie, exhumé de l’auteur en 2010 et admirablement relayé par toute l’équipe artistique et technique de cette petite compagnie théâtrale à budget modeste « Ainsi de suite » d’Aix-en-Provence ; entre amour, humour et tragédie ne fait que nous remettre dans l’actualité.

Que cette pièce créée fin 2014 et jouée le 15 mars dernier pour le 21ème Festival Russe au Théâtre Le Toursky , l’emblématique Richard Martin qui prône la liberté et la fraternité entre le peuple russe et son fidèle public, ne pouvait qu’accroître l’intensité de cette œuvre sublime riche d’émotions.

Une belle soirée théâtrale qui s’est prolongée avec un cabaret russe à « l’Espace Léo Ferré » pour nous remettre de nos émotions.

Pierre Rotolo

Cie Ainsi de Suite – OREKHOV Teaser

LIEN VIDEO

https://youtu.be/jLqkGXU5saA

D’aprèsUn dissident du KGB, de Nicolas Jallot

Mise en scène : Claude Pelopidas

Décors : Jacques Brossier

Musique : Martial Paoli, Jean-Christophe Gairard, Dasha Baskakova

Avec Dasha Baskakova, Olivier Cesaro, Jean-Michel Guilmet, Jacques Maury, Matthieu Philippon, Claude Pelopidas, Émilie Roudil.

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