Brèves de lecture

Alain Roussel : Le Texte impossible

Il ne s’agit ni d’un roman, ni d’un essai, ni… S’il est impossible de le nommer en un genre classique, possible peut-être de le dire texte ? Nous pourrions dire une écriture sur l’impossible de mettre en écriture le monde, l’impossible écriture qui fait texte. Comprendront ceux qui tentent l’écriture passionnée, sérieuse, sincère, honnête et donc forcément inquiète, pendant des années, la durée de toute une vie. Nous dirons plus simplement la transcription approximative, toujours approximative, d’une méditation subjective avec un regard objectif – ou qui se voudrait tendant vers objectivité ?

Stéphane Mallarmé déclarait que « Le monde existe pour aboutir à un livre. » Petit artisan, il en a bredouillé quelques pages. Manque de temps. Mais, serait-il devenu centenaire…

En 1974, se débattant avec les mots dans une errance arlésienne, Alain Roussel exprime le désir ou la tentation que le monde soit un Livre. Reste cependant beaucoup de livres à lire, et surtout, il l’explicite souvent sur le mode lyrique, que bien vécue la chair n’est pas triste. Quoi que : « Pourtant, les plus beaux accents, à quelques exceptions près, jaillissent quand l’amour se perd ou qu’il est impossible, comme souvent chez les troubadours. »

« Cette femme que j’ai croisée, aussi réelle qu’elle fût, je l’ai revêtue d’écriture. J’ai tissé autour d’elle une parure qui ajoutait à sa beauté l’éclat du verbe. » Mais « cette matière quelque peu évanescente m’est étrangère. Je l’ai dit : ça me traverse seulement. » Une musique que j’interprète. Votre Je, comme mon Je, le pourra aussi. Nous savons qu’une arlésienne (personnage attendu invisible ou fantôme) est un type de personnage de fiction qui est décrit ou mentionné et donc quelque part existe, mais qui n’apparaît jamais en réalité. Donc toutes ces pages pour tenter de transmettre qu’écrire consiste à monter notre bloc de roc au sommet de la pente par laquelle il va inévitablement rouler en fond de vallée. La réalité est têtue, elle s’impose bien que… Il faudra donc éternellement recommencer à restituer notre poids de réalité, comme Sisyphe son rocher, avec notre si fragile plume pourtant lourde à soulever sous le poids potentiel de tous les mots possibles. « … ce silence qui rôde autour et dedans, cet impossible à dire et qui pourtant existe. »

Dans « Œuvre » (Page 867. Pléiade) Mallarmé disait : « Dans le genre appelé prose, il y a des vers, quelquefois admirables, de tous rythmes. Mais en vérité il n’y a pas de prose : il y a l’alphabet et puis des vers plus ou moins serrés : plus ou moins diffus. Toutes les fois qu’il y a effort au style, il y a versification. »

Dire avec des mots qui existent dans un dictionnaire pour dire pas exactement ce que disent les mots pareils, d’un autre locuteur, qui existent dans un pareil dictionnaire, un mot sur un autre, mot après mots, comme avec des pierres un mur de mots qui nous arrête, et nous voici faisant un pari bien absurde.

Cependant le sujet principal reste le désir d’écriture – pourquoi cette poursuite victorieuse qui à peine distancée pourra tourner inévitablement à la vanité de cette action : « Dès qu’une certaine limite est atteinte, la corde me retient, à cet instant peut-être où le non-dit, l’impossible à dire allait se dire enfin, et je reste prisonnier du visible, voire du banal. »

Peut-être victime de trop de lumière occitane, Alain Roussel peut en passant écrire : « À ce stade, l’obscurité m’envahit. J’avoue humblement ne pas très bien comprendre ce que j’écris. C’est bien ce que je pensais : les mots n’aident en rien à la communication ; Ils compliquent tout à souhait. » Mais il continue l’écriture.

Une seule solution : lire directement ce livre au « texte impossible » pour dire en lisant avec des mots qui existent… « qu’ils compliquent tout à souhait. » Telle est la partition, à chaque lecteur d’en faire à l’intérieur de l’ordinaire clôture osseuse de notre crâne une originale mise en scène. Tout en ajoutant, à plaisir égal, en dégustant un jour de soif un bock de bière, un peu de réel …

Marcel ALOCCO

Alain Roussel

Le Texte impossible

suivi deLe vent effacera mes traces

Éditions Arfuyen, collection « Les Vies imaginaires »