À propos de Bernar VENET, poète ?
Le texte page 179 s’intitule La Question… se pose-t-elle ? La première ligne est (l’usage voudrait que nous disions « premier vers » mais ce serait ici je suppose plutôt… déplacé) la première ligne est donc : La question de l’irréversibilité se pose-t-elle ? Dix questions, puis en dernière ligne : Toutes ces questions se posent-elles concernant leur relation poétique ?
La question est donc de savoir si les questions qui questionnent se posent – vaste question. Le titre de l’ouvrage est simplement : Poétique ? suivi d’une série de sous-titres, interrogatifs bien entendu, demandant si c’est : Positivement, définitivement, fermement, catégoriquement, avec certitude, absolument, virtuellement, conclusivement… poétique. En anglais page gauche, en français à droite. Car l’ouvrage est entièrement traduit, difficile de dire si c’est de l’anglais au français ou l’inverse. Lorsque l’écriture est totalement ou presque en langage scientifique, se font face l’original et son image totalement ou presque semblable. Le poème devient donc langage presque universel, comme le serait une œuvre plastique. Car, pour l’amateur non-spécialistes-en-tout, souvent de culture du discours plus que des sciences actuelles, la proposition peut laisser perplexe. Vous pourrez soutenir que tous les poètes ne sont pas clairs, ou bien que comme Stéphane Mallarmé ils sont d’une lumière si éblouissante qu’elle nous rend partiellement aveugles. Dans cet ouvrage, construit nous dit-on de textes non-datés bien que posés dans l’ordre chronologique, « Anthologie de 1967 à 2017 », le plus important réside en la continuité des détours et des retours, en l’impact massif et diversifié de l’ensemble des propositions.
Il y a poésie dès que ça peut. Que ça peut dire fortement. Oui, poétique va aussi avec point d’interrogation. J’ai écrit jadis que ce qui définit l’homme n’est pas le rire mais l’invention du point d’interrogation. Que tout fait est à comprendre, et le monde, de fait en fait, pose questions aux questions qui se déboîtent comme les poupées russes, mais plus virtuellement sans doute, puisque, semble-t-il, sans limite de temps ou d’espace.
À voir simplement en marge les références, les préfaces s’annoncent d’une densité qui mérite une lecture attentive. En feuilletant l’ouvrage, j’aperçois l’ensemble les thèmes racines agités par la pensée de notre second demi-siècle du vieux vingtième, parcours forcément schématique, en plus absolus, ou plus systématiques. Il n’est pas possible en 300 pages aussi « poétiques » qu’elles soient d’épuiser et de conclure, ce que ne parviennent pas à faire des milliers de bibliothèques depuis quelques milliers d’années.
C’est un peu ce que dit, autant que je puisse le comprendre, mais de façon fort savante, la préface de Véronique Perriol. J’y retrouve les noms de Umberto Eco, Roman Jakobson, Norbert Wiener, Félix Guattari, Roland Barthes, Gilles Deleuze, etc dont nous faisions écho, en littérateurs et de manière disons plus lyrique, dans nos textes des années soixante. Le vécu des moyens intellectuels et matériels possibles en une époque intervient aussi : Les « saturations », je les ai vues dans les imprimeries, en feuilles de passe, quand je mettais en pages ma revue Identités. Du temps où avec les typographes nous travaillions nos publications « sur le marbre ». Nous parlions de macules. D’autres, autrement, exploraient aussi des voies semblables. À la limite les textes de signes ou de macules ne sont plus lisibles, mais ils restent visibles comme intentions de textes. Le texte persiste comme objet, objet de potentielle lecture. Objets différents, démarches autres, institutionnelles, spéculatives ou ironiques, mais mêmes racines : on n’échappe pas à son temps.
Ce fut un siècle où, de façon différente mais comme dans les siècles précédents, une fois encore tout explosait : 14-18 et Dada et le Surréalisme, 39-45 et le Lettrisme, la Poésie Concrète, la Poésie Spatiale, et Gutaï et Fluxus. L’Art chose mentale devenait conceptuel, l’ère se prétendait d’un savoir scientifique. C’était rigide ou délirant comme toujours en ce domaine indéfinissable que l’on dit par défaut poétique, lieu des structures et des débâcles, lieu où se dit la raison et l’inconscient. Oui, je dis bien prétention. Car après-coup, après les Sigmund Freud, les Albert Einstein, les Hugo Ball et Richard Huelsenbeck, les Tristan Tzara, les Raoul Hausmann, les André Breton, Marcel Duchamp, Jacques Lacan, John Cage, George Brecht et nous pourrions tous (comme tous nous l’avons fait un jour, cherchez bien) tous nous pourrions produire aussi notre personnel poème « Hommages » prononçant une page et davantage de noms, de mouvements et de personnes, car après-coup nous voici bien obligés de constater que comme avant nous tout reste à dire et à faire, en concepts ou en objets.
Ça disait, ça dit peut-être que quelque chose était (ou est) en train de craquer : La passerelle sur le vide ? Ou bien le corset ? Tant que l’humain survivra, nous détruirons, nous re-corsèterons, et nous reconstruirons des ponts encore plus hauts, encore plus longs… Là sont encore les questions.
Marcel ALOCCO
Bernard Venet
Poétique ? Anthologie 1967 – 2017
Jean Boîte éditions, Paris 2017