Brèves de lecture

La rançon du colonialisme

« Voici un livre qui vient à son heure, alors que la distance nécessaire a été prise avec le débat sur la colonisation ». Cette phrase optimiste ouvre la préface que Jean-Yves Mollier donne à l’ouvrage de Sophie Leclercq. Hélas, « Nous entrerons dans la carrière quand nos aînés n’y seront plus » : Si les historiens sérieux commencent à avoir une vision pacifiée du problème, ceux qui, nécessairement subjectifs, ont connu au moins les dernières années de la période étudiée (1919-1962) ne sont pas tous morts. La mémoire historique se construit, cette étude y contribue, mais les souvenirs et les idéologies s’affrontent encore.

En traitant des héritages, l’auteur enracine les surréalistes dans une tradition où se heurtent Rimbaud et Marx, Trotski et Apollinaire. Contre la civilisation occidentale de façon globale, les surréalistes, qui élaborent leur mouvement durant le désastre de la première guerre mondiale et ses suites, ne pouvaient qu’être de « Formidables briseurs de mythes colonialistes » écrit Sophie Leclercq. Le problème est que c’est mythes contre mythes… L’oeuvre génère une esthétique, le politique s’y agite, et le refus en faisant des opposants systématiques, la mesure n’est pas toujours leur qualité première. Ils vivront donc aussi de fortes contradictions : certains dérivent vers des idées extrémistes, de tous bords, tandis que d’autres en oeuvrant aux découvertes des « arts premiers » contribuent paradoxalement à la création d’un marché… Rien n’est simple quand il faut concilier l’idéal culturel aux exigences triviales de l’existence. Il ne s’agit pas que d’idées, mais aussi des désirs, et il s’agit d’histoires d’individus, de femmes et d’hommes.

Ce travail propose une relecture singulière de l’histoire du surréalisme, qui ne peut qu’enrichir son image, déjà fort complexe. Chaque éclairage oblige des ombres, mais les sujets de réflexion méritent ici le détour et, pour ceux qui découvrent, cette entrée sous un angle « politique » permet une vision globale assez cohérente de l’une des aventures de l’esprit originales du siècle dernier.

par M.A.

La rançon du colonialisme

Les surréalistes face aux mythes de la France coloniale (1919-1962)

Sophie Leclercq

Les presses du Réel, collection Oeuvres en sociétés (Dir. Xavier Douroux)