Une histoire de l’art d’après Auschwitz
Par Paul Bernard-Nouraud
Volume 1 : Figures disparates
Volume 2 : Figures disparues
« Une contre-histoire de l’art », nous dit-on. Disons un regard, une vue d’un autre angle sur l’art depuis la deuxième guerre mondiale. Changer d’angle de vue, de loupe, de microscope, changer d’instruments conceptuels n’efface pas des siècles de regards, n’efface ni les fondements de l’Histoire écrite avant la « rupture Auschwitz », ni les ruptures idéologiques antérieures. Bien sûr, Auschwitz serait ici pris comme globalisation symbolique d’événements hélas aussi marquants – en d’autres lieux, avant, pendant, après… Après le Goulag, après Hiroshima et Nagasaki , après… Après un vingtième siècle dans l’ensemble bien torturé ? Peut-on produire comme on nous le suggère ici « une contre-histoire de l’art » ? Ajouter ne remplace pas, et n’oblige heureusement pas à effacer la mémoire de tout ce qui a constitué nos cultures. Cependant, l’inconscient imprégné par les vécus et le travail d’analyse conscient ont sans aucun doute encore une fois modifié les lectures du passé autant que la conception des constructions nouvelles. Ajouter une lecture ne nie ou n’efface pas tout ce qui fut pensé avant. Ajouter des faits ou les préciser, redonner du sens par les valeurs en cours n’est jamais que s’obliger à mieux traduire dans la langue et les modifications des valeurs de la culture du temps. On ne refait pas l’Histoire, on en refait et surtout repense le récit en essayant de combler quelques trous et d’effacer quelques ombres ce qui, inséparablement nous pouvons l’espérer, permet de la mieux interpréter. Et a surtout, consciemment ou inconsciemment, modifié les pratiques artistiques.
Pour mieux aborder le long parcours des 1300 pages de ce vaste projet en cours (s’y ajoutera un volume !), autant lire la présentation de l’éditeur — que nous pouvons supposer pour le moins faite avec la collaboration ou en accord avec l’auteur. À chaque lecteur d’en faire, avec sa part de travail, son estimation.
Marcel Alocco
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En quoi Auschwitz a-t-il rompu les modalités traditionnelles de représentation de la figure humaine héritées de la Renaissance ? Dans quelle mesure cette rupture s’est-elle logée dans le discours moderniste au point, désormais, d’y passer en partie inaperçue ? L’art contemporain est-il un art qui se situe simplement après Auschwitz ou bien est-il, de manière plus complexe, un art d’après l’événement ?
Telles sont quelques-unes des questions qui donnent à cette Histoire de l’art d’après Auschwitz ses principales orientations. À bien des égards, en proposant une relecture critique des fondements de la modernité artistique et une généalogie de l’art contemporain, cette vaste étude se veut donc aussi une contre-histoire de l’art.
Le premier volume qui la compose a entrepris de réévaluer à l’aune d’Auschwitz l’histoire de l’art antérieure à l’événement lui-même. On y découvre notamment qu’avec la peur du déluge et de la guerre, celle de la peste constitue l’un des fondements de l’art renaissant et de l’ordre du discernement qu’il instaure. En dépit des Figures disparates qui n’ont cessé pendant cinq siècles de perturber cet ordre, celui-ci ne céda véritablement qu’après Auschwitz, avec l’apparition massive de Figures disparues (vol. 2), lesquelles se sont progressivement dissipées dans l’art contemporain alors même qu’elles continuent d’en informer les Configurations (vol. 3).
Ce deuxième volume d’Une histoire de l’art d’après Auschwitz examine comment de nouvelles formes artistiques se sont progressivement élaborées dans l’ombre proche de l’événement.
Après avoir rappelé combien les survivants eux-mêmes ont fait appel à des références artistiques pour tenter de discerner les ténèbres dans lesquelles ils avaient été plongés, l’ouvrage examine les fondements de cet art à partir du projet de destruction des corps qu’a entrepris le nazisme et de la disparition des figures à laquelle les artistes ont été confrontés dès la période d’Auschwitz.
Pour l’immense majorité d’entre eux, toutefois, l’image qu’ils ont pu se former de l’événement s’est constituée à partir de celles, innombrables, que leur ont fournis les photographies des camps au moment de leur ouverture et dans les années qui ont suivi. À cet égard, la photographie a joué le rôle d’un seuil permettant d’appréhender l’événement à travers elle.
Progressivement, nombre d’artistes ont procédé à partir de ces images-sources à un véritable départ afin de concevoir d’autres formes artistiques. Ces départs ont pris, notamment en France (avec Francis Gruber, Pablo Picasso ou Jean Fautrier) une forme figurale, où la figure humaine paraît menacée de disparaître. Leurs homologues états-uniens (Jackson Pollock, Mark Rothko, Barnett Newman) ont quant à eux opté pour des départs radicalement abstraits, quoiqu’une certaine échelle humaine persiste sous leurs compositions.
Cette persistance se retrouve sous diverses formes chez des artistes aussi différents qu’Alberto Giacometti, Francis Bacon ou Zoran Music, notamment dans des figures que tous trois représentent en marche, comme si ces marches indiquaient en elles-mêmes l’éloignement progressif de l’art vis-à-vis d’Auschwitz. C’est qu’en réalité (comme il sera précisé dans Configurations, le troisième volume de cette vaste étude) il ne s’agit plus de discerner les ténèbres, mais bien de les répartir.
(Paul BERNARD-NOURAUD, diplômé de l’École des hautes études en sciences sociales et de l’Université Paris I, enseigne l’histoire de l’art au département Arts de l’université Aix-Marseille. Il a notamment publié dans les revues Marges, Tracés et Studiolo et collabore régulièrement au journal en ligne En attendant Nadeau.)
Ouvrage publié avec le concours de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah et du Centre national du livre.
Une histoire de l’art d’après Auschwitz.
Paul Bernard-Nouraud
Volume 1 : Figures disparates 16 x 20 cm • 632 pages 72 illus
Volume 2 : Figures disparues 16 x 20 cm • 688 pages • 130 illus
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