Patrick LAUPIN : « LA MORT PROVISOIRE »
Alain Borer a raison dans sa préface à « Mon livre » paru aux éditions Le Réalgar, collection l’Orpiment, en 2021, lorsqu’il parle à propos de Patrick Laupin d’une « voix de tendresse » et lorsqu’il dit : « Mon livre est le mien (…) c’est ma voix qui lit dans la sienne ou lui qui parle en ma voix le lisant ». Et cela est vrai de tous les livres de Patrick Laupin ainsi de « La mort provisoire » aux éditions La Rumeur libre (Prix Apollinaire 2023).
Je les entends, les gens sérieux : « Allons, Monsieur Laupin, vous plaisantez…la mort ne saurait être provisoire, elle est ou n’est pas. Et définitive donc, vous extravaguez…poète, vous vous plaisez au paradoxe… » Mais les tragiques, ceux qui à un médiocre « je peux » préfèrent un « je dois » vertical, leur répondraient que, poète, Patrick Laupin sait que pendant que l’on écrit, on ne vit pas. C’est alors que l’écriture nous regarde vivre. Et c’est là dans ce mouvement qu’on a quelque chance de se rencontrer, soit en-deçà de la personne privée, retrouver « ce latent compagnon qui en moi accomplit d’exister » comme le disait Mallarmé que Patrick Laupin a si magnifiquement accompagné.
Provisoire, aussi parce que livre après livre, c’est mort après mort. Quelqu’un est passé par là, de livre en livre, et a disparu. Restent ces traces, ces mots noirs sur papier blanc, une écriture. Ecriture qui transporte, convoie, fait passer le souffle avec lequel elle ne concorde jamais. Ecriture qui transfère l’âme dont elle a éconduit le souffle. Alors quelque chose se referme au-dedans tandis qu’il se prolonge au dehors et finit par se perdre dans un silence d’après coup.
Silence, mort provisoire enfin jusqu’à ce que le lecteur vienne incarner les mots du livre. L’écriture n’est morte, dans le livre que tant qu’un lecteur ne lui redonne pas la vie d’où elle vient. Lecture, vita nova.
Lire Patrick Laupin, c’est un geste de parole à faire et refaire – lui-même disait cela de la lecture de Bernard Noël – un geste de gravité qui cherche à remuer dans la décharge, ce fond du corps où s’entremêlent sensations et perceptions anciennes, labyrinthe d’enfance bordé de « Ravins » – tiens encore un de ses titres paru à La Rumeur libre ! – et déplier / déployer / assembler ce qui se tient intime jusqu’aux rivages de la lumière « in luminis oras. » C’est tourner les pages comme on tourne les cartes et que l’on va de surprise en surprise ordonnant son jeu. Former ainsi le livre, c’est comme ouvrir l’air et sentir passer ce parfum de la panthère qu’évoquait Dante et que reprendra Zanzotto, panthère parfumée à jamais insaisissable. Ce parfum est « un chant sous les mots » selon Mallarmé, une musique qui ne s’entend qu’au-delà de l’euphonie des sonorités, des scansions du rythme, musique tue « de l’âme pour l’âme » cette langue que Rimbaud appelait de ses vœux.
Il est urgent de lire Patrick Laupin. Son livre est un contre-poison à toutes les misères des jours. Malgré l’obscur des temps et ses violences toujours renouvelées, sa noise et ses remugles de moisi, de rouille et de sang, il porte la poésie au cœur de la vie.
Alain FREIXE
Patrick Laupin : La mort provisoire
La rumeur libre, éditions (2022)
(Article paru dans la revue Europe N°1128-Avril 2023)