Brèves de lecture

Nom: Genêt. Prénom: Jean. Année de naissance: 1910 – partie I

Le livre de F. Ekotto, A. Renaud et A. Vannouvong, Toutes les images du langage : Jean Genet dont le projet est né lors d’un colloque organisé en 2007 à l’université de Miami, propose une relecture transdisciplinaire d’un auteur dont on célébre cette année le centième anniversaire de la naissance.

La vaste question des stéréotypes, de leur emploi et de leur portée dans l’écriture « genétienne » y est analysée, ainsi que la relation équivoque d’amour et de haine que Genet entretenait avec l’expression française. En effet, adoptant une attitude de paria, ce dernier n’a cessé de dévoiler les poncifs pour mieux les malmener et miner au moyen de l’écriture les bases de la société qui l’avait évincé. Les réflexions élaborées dans ce livre, qui mêlent divers points de vue – politiques, esthétiques et littéraires – permettent ainsi d’appréhender sous ses différents aspects la problématique des lieux communs.

Les études de Michel Corvin, René de Ceccatty et Sylvain Dreyer confluent, et abordent, chacune à leur façon, la problématique de la déréalisation et de l’effacement. La première analyse le paradoxe du non-être chez Genet, la deuxième se fonde sur le statut atypique des revenants au théâtre et, la troisième, dédiée à Un captif amoureux, questionne le phénomène de fulgurance.

Dans son article « L’être du non-être ou le contretype du stéréotype », Michel Corvin montre dans un premier temps que, depuis qu’Aristote l’a impulsé avec sa mimésis, le théâtre, qui a tenté de capter le réel en se faisant le témoin de l’existence (ou présumée telle), est corrodé de poncifs psychiques : (l’amante éprise), sociaux (le barbon amoureux), politiques (le méchant capitaliste ou le bon ouvrier) et religieux (l’inaltérable foi de la sainte). Puis l’auteur avance qu’il est davantage question de l’absence et de la mort que du mal dans l’œuvre théâtrale de Genet.

René de Ceccatty souligne quant à lui combien « le spectre, le neutre, le vide » traversent toute l’œuvre de l’écrivain. Le thème de la disparition de la chair au profit de la vision d’une figure allégorique ou fantomatique est, par exemple, central dans Un captif amoureux. Selon lui, la réalité s’estompe continuellement au profit de son spectre (qui est l’art). Nombre de passages expriment cet attrait pour la disparition, comme l’illustre notamment Madame s’échappe qui ponctue la sortie de cette figure dans Les Bonnes.

Genêt le « Palestinien »

L’intervention de Sylvain Dreyer, « Un millième de seconde. Stéréotype et fulgurance dans Un captif amoureux » vise à montrer combien l’idée d’une identification de Genet aux Palestiniens est une idée erronée : il y aurait incompatibilité entre son intransigeance de poète et une soif d’union avec un corps politique et national. Genet revendique ainsi sa « non-appartenance à une nation, à une action où [il] ne [se confondit] jamais » : « Le cœur y était ; le corps y était ; l’esprit y était. Tout y fut à tour de rôle ; la foi jamais totale et moi jamais en entier ». Genet a une posture doublement marginale : à l’écart de l’Occident et des mouvements de solidarité avec les peuples du Tiers-monde. Il envisage un rapprochement avec « l’Autre palestinien » qui reste toujours distancié et ouvert, selon un principe de détour : détour idéologique (méfiance par rapport à la propagande pro-palestinienne), détour spatio-temporel (manifestation de l’écart entre l’« avant-ailleurs » et le « maintenant-ici »), et détour poiétique. Le Captif questionne le mécanisme qui modifie la représentation de l’Autre, édifiée par les militants ou les journalistes étrangers, passant du statut de témoignage à celui de poncif exotique ou idéologique. De même que les adversaires perçoivent l’étranger en tant qu’étranger, l’observateur critique s’attache à défaire les stéréotypes auxquels les Occidentaux réduisent les révolutionnaires palestiniens. Le Captif atteste en particulier d’une vigilance constante par rapport aux clichés issus de la presse occidentale, notamment aux poncifs des médias visuels (les images des magazines) ou audiovisuels. Cet aspect critique s’accompagne de l’élaboration d’un langage qui entend dissoudre les clichés idéologiques et restituer l’intensité : son écriture fragmentaire favorise la création d’« images d’autant plus fortes qu’elles [sont] faibles. »

Argot, poésie et mer

La relation que Genet entretient avec la langue française est analysée par Florence Mercier-Lecai et Patrice Bougon qui étudient l’usage des noms propres et de l’argot dans Notre-Dame-des-Fleurs et Miracle de la rose et la métaphore de la mer dans Querelle de Brest. Dans son article, « la (re)sémantisation comme création poétique : l’exemple des noms propres et de l’argot dans Notre-Dame-des-Fleurs et Miracle de la rose », Florence Mercier-Leca indique que, dès ses débuts, Genet s’est livré à une quête poétique par le biais d’une action de réécriture. Celle-ci se déploie de l’intertextualité littéraire (citations de poètes et d’écrivains, imitation de romans policiers ou populaires) à une pensée linguistique, visant à faire rejaillir le sens de mots ou d’expressions galvaudés par les coutumes linguistiques. Comme le titre de l’article l’indique, deux axes paraissent prolifiques : la réflexion menée sur un poncif romanesque (la sémantisation du nom propre) et la recherche sur le stéréotype linguistique, à travers l’exemple de l’argot, dans Notre-Dame-des-Fleurs et Miracle de la rose. L’utilisation des noms propres et de l’argot s’y définit par le foisonnant méta-discours dont ils sont l’objet, et qui relève d’un incontestable art poétique.

C’est d’ailleurs ce que souligne Patrice Bougon dans son étude, « La métaphore de la mer dans Querelle de Brest de Genet. La métaphore filée et le dictionnaire ou le récit considéré comme poème ». Il y démontre combien, dans l’écrit de Genet, outre les thèmes – vol, homosexualité, prison – c’est la portée poétique du langage qui prévaut, et comment l’allégorie marine traverse tous les éléments constitutifs du récit : personnage, intrigue, description, dialogue. Lieu de l’instabilité et de l’indéfini, la mer est chez Genet, un élément qui peut éventuellement dissoudre toute figuration de la réalité.

Dans son texte, « Ecrire le tombeau de Jean Genet. Instants rêvés dans le cimetière espagnol de Larache : Abdellah Taïa et Rachid O. », Ralph Heyndels, enseignant à l’Université de Miami, étudie, quant à lui, la parenté imaginaire qui lie Genet, Abdellah Taïa et Rachid O.

iMaître de conférences à l’Université Paris IV-Sorbonne.

[suite de cet article dans « performArts n°11 »]

Julia Hountou