Ecrire ou peindre ?
à William X.
William Xerra est un artiste qui réside principalement à Piacenza, en l’Italie, pays où son travail (notamment défendu par Pierre Restany) est bien connu. Mais William Xerra vit régulièrement en sa résidence niçoise : présence à Nice qui s’est traduite par des expositions, comme dès 1973 « Hors Langage » au Théâtre de Nice.
Et, ces dernières années, il a été présenté par Les éditions La Diane Française, la Galerie Quadrige, et la Galerie Depardieu.
William Xerra a participé dans les années 60-70 au courant particulièrement actif en Italie de la « poesia visiva », travaillant à la remise en cause de la spécificité des disciplines, oeuvrant aux lisières confuses entre les arts plastiques et les écritures. Nous étions quelques-uns en France à travailler dans des formes diverses sur les mêmes zones, (moi-même entre 1965 et 1968 avec « L’Idéogrammaire » et « Le tiroir aux vieilleries ») et d’autres comme Joachim Gerz, Jean-François Bory, Julien Blaine, les groupes IN ter VENTION et Textruction, etc… Nous nous sommes alors fatalement rencontrés, participant aux mêmes expositions des avant-gardes à Fiumalbo, Novara, Paris, ou Buenos-Aires… Comme ses compagnons, William Xerra a développé ensuite un travail très personnel, mettant en jeu de plus en plus ouvertement l’ambivalence-ambiguïté de l’œuvre d’art vérité-mensonge, affirmant aujourd’hui clairement par et dans ses œuvres « Io mento » (Je mens). Le hasard heureux ici exploité de l’initiale X introduit dans ce texte une dimension algébrique, celle de la valeur variable « artiste » représentatif d’une époque.
Si le travail de x. me concerne,
c’est que d’une certaine façon les artistes d’une même génération buttent sur les mêmes obstacles, franchissent les mêmes haies, ruminent les mêmes souvenirs — la rude tache de s’assujettir le réticent ready-made, de maîtriser le all-over, de discipliner tout « objet mental » dans les limites de l’œuvre espace toile et couleurs ouvertes infiniment à l’exploration,
c’est que les artistes aussi sont partis à la conquête de l’espace — tout le ciel, du bleu, du bleu, bleu, bleu, sans tuer les oiseaux, parce que la vie, le mouvement, E=MC2, tout tient symboliquement dans un petit fragment de surface, dans le pinceau actif, dans cette poussière colorée et collée que l’on nomme peinture, tout bouge et s’immobilise et pivote autour de la minuscule particule de matière solide d’une semence de tapissier,
parce que l’art est un mensonge grandeur nature, (io mento)
que nous le savons depuis toujours,
depuis que nous avons entrepris de signer le geste dans la poussière, de tenter de le perpétuer dans la paroi rocheuse, depuis que le charbon de bois, la terre ocre, les oxydes et les jus, les pierres broyées déposées dans un ordre ou un désordre suscités marquent lieux et temps de l’humain, disent oui au mouvement, au survivre, au vivre mal, au vivre mieux, à la nuit des temps et des cavernes, au jour le jour du vécu et des feux de camp ou des feux de forges,
parce que ce mensonge est le doute contrarié devant chaque pas à faire, devant l’ignorance ancestrale et celle du lendemain, devant l’insondable scandale de la mort et l’absurde persistance de l’humanité à durer quoi qu’il advienne,
parce que toute création d’art est le dénie obstiné de la réalité, que chaque marée vient détruire le château de sable qu’à grand effort — armés de nos seuls cerveaux et de nos faibles mains fragiles au froid, à l’eau, aux coupures, à l’usure, à la décomposition — minute après minute, heure après heure, jour après jour, nous nous évertuons à rebâtir, ce dont témoignent jusqu’au magma en fusion les couches géologiques accumulées, les bactéries et les dinosaures fossiles, jusqu’aux mammouths pris dans les glaces,
que tout surgit de pauvre matière, un petit tour, et puis s’efface sous la dernière couche qu’étale le pinceau,
et pourtant revient encore dans ce gribouillage dérisoire qui lentement s’ordonne et fait sens sous la main et dans les yeux avides de couleurs que l’enfant fait surgir sur le vide de la page qu’aucune blancheur ne saurait défendre longtemps, et malgré toute cette fragilité de la peau et des chairs cachées, l’éblouissement de déborder ne fusse qu’un instant aussi bref qu’un battement de paupière dans l’écoulement de l’éternité, de déborder par une forme habitée d’un dessein le chaos initial, continué, et semble-t-il final, et dire, en fin de compte,
je l’ai malgré tout écrit.
par Marcel Alocco