Alain Lestié « Stances détachées »
Une maîtrise remarquable du dessin, un crayon, toujours le même (néro) sur papier Fabriano permet à Alain Lestié de créer des images d’une densité étonnante. Des noirs profonds aux gris légers estompés, presque transparents, sont mis au service de représentations dont il refuse qu’elles soient narratives. Pour lui, ses œuvres sont toutes des points d’interrogations. A chaque regardeur d’élaborer une histoire à partir des éléments proposés. Ceux-ci sont le résultat de trente ans de dessins accumulés que l’artiste reprend, découpe et recompose.
Tout y est mélangé : les époques, les thèmes, les séries, etc., et intégré dans un programme d’ordinateur qui en facilite la gestion.
De cette masse, il extrait des parties de dessins qu’il reproduit avec application sur le papier.
Il ne veut pas savoir ni comprendre précisément ce qu’il représente ou plutôt rend présent. Un choix est néanmoins fait, probablement issu de résonances inconscientes, d’images enfouies qui se recomposent sous ses yeux et les nôtres…
Pelotes de ficelle, feuilles de papier découpées, ampoules allumées, règles, tissus, traces d’écriture, graffitis, bouts de bois, enveloppes, croquis, plans, échelles flottantes, tubes, dessins enfantins, etc., des choses anodines qui parlent à notre mémoire venue de l’enfance. Des motifs, nous dit l’auteur, « qui n’ont d’autres fonctions que d’être signes d’un « réel », évocation d’une banalité ordinaire, dont l’usure même participe du sens et dont la situation dans la composition fait sens, mais sens visuel et non littéraire. »
Chacun de ses tableaux m’est apparu comme s’il était une image, une photo tirée d’un film, comme découpée dans un plan-séquence, dont je pourrais imaginer ce qui s’est passé avant, ce qui est induit, ou ce qui va advenir.
Ainsi « peinturages » présente un châssis sur lequel est punaisée une toile qui n’est pas à la bonne dimension. Elle est petite et on voit déjà qu’elle a été travaillée par un estompage grisé, une base sur laquelle l’artiste va attaquer son dessin. Le pinceau est prêt, trempant dans un gobelet dégoulinant (il a donc été déjà utilisé). Ce n’est donc pas un dessin mais une peinture, l’artiste nous signifiant peut être que ses dessins sont en fait des peintures, ou en tous cas, participent de la peinture. Il y a également quelque chose d’arrêté dans ce qu’on voit, comme si le peintre était devant et se posait le problème que connaît tout créateur : « que vais-je faire maintenant ? ».
Dans « Destination », il y a en haut un tableau dans le tableau, ou plutôt un plan de ville en bord de mer avec un ponton, des écritures illisibles et une croix indiquant un lieu, la destination peut-être où la voiture rapide représentée doit se rendre. Pour l’instant, elle en est encore loin, elle roule au milieu d’une forêt. La route est bien droite, le marquage au sol d’une ligne discontinue accentuant la rectitude. Mais cette trace bute sur une représentation circulaire faite de petits traits légers… Une question semble posée : où va cette voiture ?
« Escale », juste une fenêtre (on est à l’extérieur), en rez de chaussée puisque l’artiste nous met frontalement devant elle, sinon il faudrait imaginer qu’on est sur l’immeuble en face qui serait très proche. Elle est à moitié fermée, admirablement dessinée et peinte d’une couleur de bois tendre. On aperçoit une partie en fer forgé de la balustrade, puis une canne qui semble flotter dans l’air à moins qu’elle ne soit posée sur la balustrade, auquel cas, elle est en équilibre instable, appuyée à la fenêtre et son pied reposant sur une surface peu épaisse. Encore une question : Que fait-elle là ?
Ainsi chaque dessin pourrait être « lu » comme une histoire incomplète. On serait tenté de construire une narration avec toutes les œuvres exposées, mais le nombre de questions posées et la complexité, la densité de chacune rend cette tâche impossible. La simple beauté calme de chaque œuvre suffit alors à nous enchanter.
Alain Amiel
Alain Lestié
Stances détachées
Galerie Depardieu, Nice
Jusqu’au 12 février 2022