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Les riches promesses du 74e Festival de Cannes

Le 3 juin dernier a été annonée la sélection officielle du 74e Festival de Cannes qui se déroulera du 6 au 17 juillet.

Pour les habitués de cette manifestation ce fut un moment de délivrance après des mois d’incertitude. Même si des informations de plus en plus précises étaient diffusées sur la date de la manifestation et les conditions de son déroulement, un doute demeurait dans notre esprit quant à sa tenue effective. C’est donc avec la curiosité d’un enfant déballant les cadeaux au matin de Noël que nous avons écouté Pierre Lescure et Thierry Frémaux, égrainer la liste des films sélectionnés dans les différentes sections de la sélection officielle.

Festival de Cannes 2021

Il semble que le Festival de Cannes a décidé de chambouler un ordre ancien dans lequel un contingent de réalisateurs chevronnés monopolisait un bon tiers des places. Cet année on ne verra pas de films des cinéastes suivants : les frères Dardenne, Woody Allen, Pedro Almodóvar, Terrence Malick, Ken Loach et Michael Haneke. Grâce à quoi, sont à l’affiche une poignée de nouveaux venus dont l’âge moyen est 40 ans. Comme tous les auteurs en compétition ces réalisatrices et réalisateurs ont déjà participé au moins une fois à une sélection cannoise au cours des années précédentes.

Parmi ces jeunes pousses, on note la présence de la Française Julia Ducournau, révélée à la Semaine de la Critique en 2016 « Grave ». Elle accompagne « Titane » qui reste dans un registre terrifiant. La même année, le Belge Joachim Lafosse était présent à la Quinzaine des réalisateurs avec « L’Économie du couple ». Il présente « Les Intranquilles » à propos des difficultés de la vie avec un bipolaire. La Hongroise Ildikó Enyedi, Caméra d’Or en 1989 pour « Mon vingtième siècle », décrit dans « L’histoire de ma femme » le malheur conjugal du capitaine Störr, infortuné époux de Lizzi (interprétée par Léa Seydoux ).

Quatorze ans après la présentation de son premier film « Tout est pardonné » à la Quinzaine des réalisateurs, la Française Mia Hansen-Løve est en compétition pour « Bergman Island » dans lequel un couple de cinéastes, installés pour écrire dans l’île de Faro où vécut Igmar Bergman, sont confrontés à des phénomènes étranges. Le Finlandais Juho Kuosmanen, réalisateur de « Olli Mäki » (Un Certain Regard – 2016) présente « Compartiment N° 6 », adaptation du roman de Rosa Liksom. C’est l’histoire de la rencontre entre une étudiante finlandaise et un ouvrier russe, ancien combattant en Afghanistan. Tous deux sont coincés dans le compartiment d’un transsibérien.

En 2015 le Japonais Ryusuke Hamaguchi avait suscité un certain engouement auprès des cinéphiles grâce à la mini série « Senses ». Lors de la compétition 2018 il était à l’affiche avec le long métrage « Asako I & II ». Il présente «  Drive My Car » d’après une nouvelle de Haruki Murakami dans lequel nous sont promis secrets, mystère et mélancolie. Cette liste de cinéastes en début ou milieu de carrière s’achève par un Américain, Sean S. Baker découvert en 2017 à la Quinzaine des réalisateurs avec « The Florida Project ». Son dernier opus, « Red Rocket », est une comédie, genre assez peu présent à Cannes. Il y décrit le retour au village natal d’une ancienne star du porno.

Film Annette de Leos Carax

Avec sept films dont trois réalisés par des femmes, la sélection française se taille la part du lion.

Un des événement de Cannes est le retour de Leos Carax dont le dernier film présenté au public remonte à 2012. Avec « Annette », projeté en ouverture et simultanément dans des salles françaises, le réalisateur nous amène à Los Angeles dans un récit que l’on présente comme glamour, musical et mystérieux.

Trois autre poids lourds nationaux sont également en lice. Dans « Tout s’est bien passé », François Ozon adapte le récit d’Emmanuelle Bernheim sur l’accompagnement de son père qui lui demande de l’aider à mourir. Dans les rôles principaux, Sophie Marceau, André Dussollier, Géraldine Pailhas et Charlotte Rampling.

Bruno Dumont avec « France », d’après Charles Peguy, décrit l’ascension et la chute d’une journaliste vedette de la télévision interprétée par Léa Seydoux.

Dans « Les Olympiades », Jacques Audiard adapte le roman graphique « Les Intrus » de Adrian Tomine où sont décrits la vie ordinaire et l’inconfort existentiel de la classe moyenne.

The French Dispatch de Wes Anderson

Le cinéma américain, jadis fortement représenté, a désormais une place modeste en raison du refus du Festival de Cannes d’accepter en compétition des films diffusés en France uniquement aux abonnés des plates formes de streaming. Outre Sean S. Baker, cité plus haut, la délégation américaine est composée de deux personnalités appréciées de ce côté de l’Atlantique.

L’acteur et réalisateur Sean Penn présentera « Flag Day » dans lequel une jeune journaliste en enquêtant sur une grosse affaire de faux billets découvre le passé de son père. Particularité de ce film, les rôles principaux sont tenus par le réalisateur et sa fille Dylan.

Wes Anderson décrit dans « The French Dispatch » les aventures excentriques d’un bureau parisien de correspondants d’un revue américaine. Pour cela, il a réuni une pléiade d’acteurs que l’on espère voir monter les marches du Palais . Il s’agit de Benicio del Toro, Léa Seydoux, à l’affiche de trois films en compétition.

Film Benedetta de Paul Verhoeven

L’ édition 2021 accueille de grands noms du cinéma ayant accepté que la sortie de leur film soit retardée afin d’être présents à la compétition de cette année.

En 2017, Paul Verhoeven avait conquis la Croisette avec « Elle ». Il revient avec « Benedetta », véridique histoire d’une religieuse, sainte et lesbienne vivant en Italie au XVe siècle. Il y aborde des thèmes que l’on retrouve dans ses derniers films, les rapports entre sexe et pouvoir auxquels il ajoute une nouvelle dimension, la religion. Virginie Effira y tient le rôle principal.

Memoria d’Apichatpong Weerasethakul

Depuis 2015, Apichatpong Weerasethakul n’a pas présenté de film à Cannes. Son retour au cinéma de fiction avec « Memoria » est donc un événement majeur. Le film se situe en Colombie et réunit une distribution internationale (Tilda Swinton, Jeanne Balibar, Daniel Giménez Cacho…). Le Cinéaste Mahamat-Saleh Haroun a été à deux reprises sélectionné en compétition, en 2010 avec « Un homme qui crie » (prix du Jury) et en 2013 avec « Grigris ». Dans son dernier opus, « Lingui », son héroïne une mère vivant seule avec sa fille dans un quartier pauvre de N’Djamena, se trouve face au problème suivant. Sa fille âgée de 15 ans est tombée enceinte et ne veut pas garder l’enfant or l’avortement est interdit au Tchad par la loi et la religion.

Nanni Moretti a obtenu la Palme d’or en 2001 pour « La Chambre du fils ». Sa treizième fiction « Tre Piani », présentée cette année est adaptée d’un roman de l’israélien Eshkol Nevo. Les « tre piani », en français « Les trois étages », sont ceux d’un immeuble où vivent trois familles qui souffrent de secrets et de douleurs bien ou mal cachés.

Siril Serebrennikov, en compétition en 2018 pour « Leto », revient avec « Les Petrov, la grippe, etc. » d’après le roman éponyme d’Alexeï Salnikov, peinture très sombre des pérégrinations alcoolisées d’une famille russe ordinaire et méditation philosophique sur la condition humaine.

Film Les Petrov, la grippe, etc. de Siril Serebrennikov

Ce survol non exhaustif des films en Compétition en 2021 atteste une riche compétition. Le président du jury, Spike Lee, connu pour son indépendance et son caractère frondeur aura à cœur de déjouer tout pronostic.

Un Certain Regard régénéré

Cette sélection créée par Gilles Jacob en 1978, avait pour fonction de promouvoir un cinéma plus audacieux et créatif que celui de la Compétition. Au fil des ans elle était devenue également l’antichambre ou le substitut de cette dernière. Lors de la conférence de presse Thierry Frémaux a annoncé le retour d’Un certain Regard (UCR) à sa formule initiale.

La sélection comporte un nombre significatif de premiers films soit sept comme en 2019. La nouveauté se manifeste dans le choix des treize autres qui, à l’exception de trois, n’avaient jusqu’ici jamais été sélectionnés à Cannes.

Film Et il y eut un matin d’Eran Kolirin

Dans « Et il y eut un matin », l’Israélien Eran Kolirin revient au thème déjà abordé dans « La Visite de la fanfare » (UCR, 2007), celui de l’individu ordinaire broyé par un conflit qui le dépasse. Le Turc Semih Kaplanoglu, auteur de « L’Œuf » (Quinzaine des réalisateurs, 2007) reste fidèle au monde rural en décrivant dans «  Commitment Hasan » la résistance d’un petit agriculteur contre l’installation d’un poteau électrique au milieu de son champ.

La Française Hafsia Herzi, découverte à la Semaine de la Critique en 2019 pour « Tu mérites un amour », revient avec « Bonne Mère » dont l’héroïne est une femme de ménage vivant dans une cité du Nord de Marseille qui tente d’adoucir le sort de son fils en prison dans l’attente de son procès pour un braquage. « Blue Bayou » de l’Américain Justin Chon traite du sort d’Antonio, américano-coréen dont le travail fait vivre les siens. Il découvre que son passé pourrait le faire expulser de son pays d’attache.

Freda, jeune héroïne du film éponyme de l’Haïtienne Gessica Généus, se sacrifie pour que sa mère, sa sœur et son petit frère puissent continuer à survivre grâce à la tenue d’une boutique d’un quartier populaire.

« La Civil » de la Belge Teodora Ana Mihai s’intéresse à la lutte d’une mère dont la fille est enlevée par un cartel local dans une petite ville du Mexique. Face à la passivité de son ex mari et des autorités, elle n’hésite pas à mener l’enquête et à recourir à la violence vis à vis des ravisseurs.

La famille n’est pas toujours une forteresse qu’il convient de défendre, elle peut être aussi une prison que l’on fuit.

Film Moneyboys de C. B. Yi

Dans « Moneyboys », l’Autrichien C. B. Yi décrit la vie de Fei qui nourrit sa famille grâce à ses combines et qui est rejeté par celle ci à cause de son homosexualité. La famille que décrit la Russe Kira Kovalenko dans « Les poings desserrés » est au bord de l’explosion en raison de la surprotection imposée à ses enfants par Zaour, papa poule fanatique.Enfin les Bulgares Mina Mileva et Vesela Kazakova, dans « Women Do Cry », racontent comment à l’annonce de la séropositivité de l’une des sœurs, l’équilibre d’une famille de femmes centrées autour d’un père rigide est bouleversé.

La sélection est également ouverte à des films de genre d’avantage préoccupés de la forme que le sujet.

Eskil Vogt présente dans la rubrique film scandinave d’horreur « The Innocents »dans lequel des enfants dotés de pouvoir magiques se livrent à des jeux dangereux quand ils sont hors de la vue des adultes.Valdimar Jóhansson va plaire aux amateurs de fantastique. L’histoire est celle d’un couple d’éleveurs d’ovins d’une ferme isolée trouvant sur leur terre un nouveau-né. Comme ils n’ont pas d’enfant, ils décident de l’adopter. Seul problème, ce mystérieux bébé n’est n’est pas un nourrisson courant… L’américain Kongonada fait une incursion dans le film d’anticipation où les robots sont plus humains que les humains. Dans « After Yang » un père de famille (interprété par Colin Farrel) et sa fille tentent de réanimer la nounou androïde devenue inerte.

Les Hors Compétitions

Les sections « Hors Compétition » ont la réputation d’être des fourre-tout où sont accueillis des films n’ayant pas leur place en compétition (comédies, films de genre, documentaires, etc.). Cette année la direction du Festival a décidé d’ajouter une nouvelle section, Cannes Premières, à celles existantes (Hors Compétition, Séances de Minuit, Séances Spéciales et Cannes Classics).

Cannes Premières est la cuvée spéciale du cru 2021 où l’on trouvera quelques cinéastes et acteurs de renom que l’on n’a pu caser ailleurs. À savoir, notamment : Arnaud Desplechin avec « Tromperie », adaptation du roman homonyme de Philip Roth ;Mathieu Amalric avec « Serre moi fort », mélodrame (?) sur la rupture ; Charlotte Gainsbourg avec « Jane par Charlotte », documentaire sur sa mère ; Gaspar Noé avec « Vortex » dont le thème principal est Dario Argento. HONG Sang-Soo « In Front Of Your Face ».

Les autres sections recèlent quelques pépites à destination des amateurs de musique. En Séances de Minuit : « Suprêmes », de Audrey Estrougo à propos du groupe de Rap NTM et « Tralala » la comédie musicale de Arnaud et Jean-Marie Larrieu dont la partie musicale a été composée par Philippe Katerine, Étienne Daho, Dominique A, etc. Dans la section Hors Compétition  : « The Velvet Underground », documentaire de Todd Haynes et « Aline », faux biopic sur Céline Dion imaginé par Valérie Lemercier.

Pour finir, signalons que trois film aborderons le thème de la Shoah.

« Evolution » du Hongrois Kornél Mundruczo dans lequel il confronte trois générations au souvenir de l’holocauste. L’Israélien Ari Folman, auteur de « Valse avec Bachir », a réalisé dans « Where is Anne Frank » un film d’animation pour le jeune public à partir du journal d’Anne Frank

Enfin dans « Babi Yar Contexte », en s’appuyant sur des documents d’époque l’Ukrainien Sergei Loznitza revient sur le massacre à Kiev de 33 771 Juifs pendant deux jours en septembre 1941.

Les 65 films de la sélection officielle du 74e Festival de Cannes sont le reflet d’une création cinématographique orientée sur la compréhension du monde plutôt que sur le spectacle. A ce titre cette manifestation est pour nous l’antidote adéquat à la consommation d’écrans sans filtre.

Bernard Boyer