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Le Louvre en émigration

Je me rappelle, j’étais très jeune, je n’étais pas loin du Louvre à Paris lorsque en 1789 le peuple parisien a occupé le  »Louvre » et a créé le premier musée public du monde. Ce fut un événement extraordinaire !

Nous sommes tous entrés dans ces salles somptueuses, luxueuses et, si dehors il régnait un bruit de guerre, à l’intérieur c’était le silence. Nous étions comme dans un rêve, dans un monde inconnu, nous n’osions pas faire le moindre bruit car chaque œuvre regardée témoignait de l’histoire du peuple français.

C’est à ce moment là que l’on entendit crier au dehors, liberté – égalité – fraternité !

Jusqu’à aujourd’hui, jai gardé ce souvenir d’une sorte de paradis et c’est pour cela que je défends avec mes modestes moyens le respect de l’art comme trésor éthique et humaniste.

Pour la première fois, les femmes et les hommes ont eu le plaisir d’être face à des œuvres qui leur appartenaient. Ils n’étaient plus exclus de la culture française. Ils ne se sentaient plus esclaves. Ce fut le début d’une identité culturelle nationale à laquelle nous tenons encore aujourd’hui.

En effet, l’art n’est pas un objet d’exportation, l’art représente l’esprit, l’individualité, le caractère de toute une communauté. L’art est un miroir qui nous permet aujourd’hui d’entrer dans notre histoire.

L’occupation du Château-Louvre, devenu Musée du Louvre, n’était pas un acte local. C’est devenu un symbole pour tous les pays du monde. C’est grâce à cet acte de courage et de sensibilité que l’on a compris que l’art représentait l’esprit d’une époque, d’un peuple.

Aujourd’hui avec la globalisation, avec un capitalisme requin, on est en train de démolir ce symbole d’une patrie, ce symbole d’une identité.

Dans les ventes aux enchères, on vend les œuvres comme autrefois les esclaves, on les déplace n’importe comment, n’importe où. On a oublié que la lumière et la communauté dans laquelle l’artiste a créé font partie intégrante de son œuvre

Une œuvre de Delacroix se sent dépaysée à New York, à Tokyo ou à Dubaï.

Il est inadmissible que l’on traite l’art comme une marchandise, comme un objet de consommation, parce qu’encore une fois, ce n’est pas l’artiste qui est la source de l’œuvre, c’est la société, la région dans laquelle l’artiste a créé son œuvre.

J’ai lu dans les journaux suisses que la direction du Louvre voulait créer un Louvre à Dubaï, une ville où ses œuvres seraient malheureuses sans l’air de leur pays, sans rapport avec le regardeur. Il faut arrêter cet éclatement de l’art !

Que les citoyens de Dubaï viennent à Paris là où ces œuvres son nées, là où l’air, l’odeur et la musique sont en cohérence, ils en ont les moyens !.

Je supplie le ministre de la culture, Renaud Donnedieu de Vabres, d’empêcher cette émigration des oeuvres.

Je n’ai pas oublié que le Louvre, comme beaucoup d’autres musées en Europe, en possède qui ont été volées dans le passé. Je suis d’accord pour qu’on les rende à leur pays d’origine, à ceux auxquels elles appartiennent. Ce serait justice rendue et une aide active et spirituelle à ces pays.

Il y a assez d’oeuvres qui témoignent de notre culture dans les caves du Louvre pour remplacer celles qui ont envies de rentrer chez elles.

Aujourd’hui nous avons les moyens, le tourisme en témoigne, de nous déplacer, pas seulement pour la mer, le soleil ou le champagne, mais aussi pour la culture, l’identité du pays.

par Gottfried Honegger

le 22 janvier 2007

Légende : Gottfried Honegger, 2004 (crédit photo Philippe Chancel)