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Le Festival de Cannes (13-24 mai 2025) : Un Palmarès équilibré

Les films en Compétition, lors de de l’édition 2025 du Festival de Cannes peuvent être classés en trois catégories :

Ceux qui racontent une histoire avec des personnages auxquels le spectateur peut s’identifier ou simplement avoir de l’empathie. Ceux qui sont conçus non pas pour séduire le public mais pour avoir quatre étoiles dans les revues cinéphiliques pointues. Enfin, ceux créés par un jeune ou vieil artiste irrespectueux des règles et bonnes manières n’ayant foi qu’en son génie.

Dans les lignes qui suivent, le lecteur pourra constater que les trois catégories sont largement représentées dans le palmarès de la Compétition.

Une palme d’or évidente

En attribuant la Palme d’or à « Un simple accident » de l’Iranien Jafar Panahi, le jury du Festival de Cannes a choisi de récompenser une œuvre forte, réalisée par un cinéaste combattant pour la liberté dont la substance est issue de son expérience de sept mois dans les geôles des mollahs.  

Le film tourné en semi-clandestinité par une équipe réduite a la forme rapide et sèche d’un polar à l’ancienne. Son histoire est celle d’un ancien détenu, Vahid, garagiste, pensant reconnaître dans le client venu réparer son véhicule l’un de ses anciens tortionnaires, Eghbal, dit « guibolle ». Prestement, il récupère un van, assomme discrètement le suspect, le ficelle et l’emporte inconscient dans un coin discret d’un proche désert avec l’intention de lui régler son compte. Vahid est ébranlé par les protestations d’innocence de son otage. Pour lever le doute, il fait appel à quatre anciens camarades de détention.

Ces derniers font penser à des personnages de comédie italienne comme ceux de Mario Monicelli. D’ailleurs, le thème de « Un simple accident » est très proche de celui de « Un bourgeois tout petit, petit », film du cinéaste italien (1977).

Un mélo scandinave aux hautes ambitions.

Nous avions apprécié, en 2021 « Julie (en 12 chapitres) » de Joachim Trier décrivant les aventures sentimentales d’une jeune femme d’Oslo. Cette année, avec « Valeur sentimentale », il a obtenu le Grand Prix.

Ce film décrit les relations compliquées avec ses deux filles, Nora et Agnès, d’un père, Gustav, vieux cinéaste un peu oublié mais redécouvert par les cinéphiles du monde entier. La première est une actrice réputée sur la place, la seconde, mère au foyer. La mère vient de décéder. Elle était divorcée de Gustav depuis longue date. Le dernier personnage de ce récit est la maison familiale dont la propriété est partagée entre le père et ses deux filles. Gustav vient à l’enterrement de la mère des filles avec la volonté de tourner dans la maison un ultime film évoquant sa vie passée. Il souhaiterait que Nora y tienne le rôle principal. La première réaction des deux sœurs est un violent rejet de ce projet. À partir de cette situation, se met en place une tragi-comédie permettant à Joachim Trier de développer tout son savoir-faire sans parvenir à intéresser le spectateurs au sort de ses personnages. Ce film pourra plaire aux amateurs inconditionnels d’Ibsen, de Tchekhov ou de Bergman.

Un prix partagé entre l’odyssée de raveurs face aux réalités du désert et la description de la dure vie des paysannes est-allemandes au siècle dernier.

Sirāt de Óliver Laxe

Le Prix du jury échoit pour moitié au cinéaste franco-espagnol (de Galicie) Óliver Laxe, « Sirāt ». C’est le quatrième long métrage de ce réalisateur de 43 ans accèdant à la Compétition après avoir gravi trois marches : « Vous êtes tous des capitaines », Quinzaine des réalisateurs, 2010, « Mimosa la voie de l’Atlas », Semaine de la critique, 2016 et « Viendra le feu », Un certain regard, 2019. Óliver Laxe aime les pays austères et rudes : la montagne de Galicie et le Sud marocain. C’est précisément dans cette région désertique en plein Atlas qu’il situe son récit, celui d’un père, Luis (Sergi López) accompagné de son fils Estéban, âgé de douze ans. Tous deux sont à la recherche de la fille aînée de Luis, Marina, vingt ans, disparue lors d’une rave party. Le père et le fils parcourent inlassablement ces rassemblements d’amateurs de techno en distribuant des photos de la disparue, sans le moindre résultat. Ils se joignent à une petite troupe de raveurs mettant cap au Sud. Tous ignorent que cette direction est celle de la mort. Óliver Laxe affirme que son film est imprégné de spiritualité. Pour notre part, nous nous bornerons à dire qu’il s’agit d’une bonne description de la fin du monde ou simplement de notre monde.

Sound of Falling de Mascha Schilinski

L’autre moitié du prix du Jury a été attribuée à « Sound of Falling » de Mascha Schilinski, cinéaste allemande, jusque là jamais sélectionnée à Cannes. Elle a choisi un sujet assez peu abordé dans le cinéma : la condition féminine en milieu rural au début du siècle. En dehors de Xavier Beauvois avec « Les Gardiennes » (2017) et partiellement Ermanno Olmi avec « L’arbre aux sabots » (1976), peu de réalisateurs se sont intéressés à la situation de ces femmes.

« Sound of Falling » est une suite de tableaux fragmentaires décrivant les événements survenus dans une même ferme de l’Altmark (ex RDA) au cours du XXe siècle. On assiste à un accouchement, un décès, une auto mutilation, un suicide, des banquets et à nombre de scènes de viol subies par Alma, Erika, Angelika et Lenka, servantes ou épouses de fermiers et incarnation successives d’un destin féminin « ayant vécu absolument en vain ». Si les 2h29 du film peuvent paraître interminables, on ne peut nier que cette réalisatrice a fait preuve d’une grande virtuosité dans sa mise en scène.

Un brésilien deux fois récompensé

L’Agent secret de Kleber Mendonça Filho

Le jury a choisi de récompenser doublement « L’Agent secret » : par un Prix de la Mise en Scène à son réalisateur Kleber Mendonça Filho et par un Prix d’Interprétation Masculine à son principal acteur, Wagner Moura. Récompenses amplement méritées.

Kleber Mendonça Filho est très apprécié à Cannes où la plupart de ses films ont été présentés. Presque tous se déroulent à Recife, sa ville natale.

« L’Agent secret » se situe dans cette cité, en 1978 au mitan de la dictature militaire. Son héros, Marcelo (ou Armando) est un homme traqué par des ennemis puissants. Il vient dans cette ville pour réaliser un travail indéterminé dans le service de l’État Civil de la municipalité. C’est la période du Carnaval pendant lequel des événements étranges surviennent dont la découverte d’une jambe humaine avalée par un requin récemment pêché. Au cinéma on projette « Les dents de la mer ». Marcelo (ou Armando) cherche également à revoir son fils confié aux grands parents. Le film baigne dans un climat de suspense, néanmoins ni le fantastique, ni l’humour ne font défaut et quand tout se dénoue dans la scène finale, le spectateur quitte à regret ces personnages attachants et cette ville envoûtante.

L’humanisme des frères Dardenne

Les frères Dardennne représentants depuis plus de vint cinq ans d’un cinéma naturaliste sont pour la neuvième fois, présents au palmarès du Festival de Cannes. Cette année c’est le scénario de « Jeunes mères » qui a été distingué par le Jury. Ils sont les derniers à pratiquer un art cinématographique, proche de l’humain, à la frontière du documentaire.

« Jeunes mères » suit le parcours de quatre jeunes ou futures mères (Jessica, Perla, Julie et Ariane) recueillies dans une maison maternelle de Liège, prises en charge, conseillées, aidées et parfois réprimandées par les assistantes maternelles et les psychologues du foyer. On les voit également prendre conscience de leur situation et faire un choix de vie : abandonner leur bébé ou apprendre à être mère.

Peut-on être arabe, lesbienne et musulmane dans la France d’aujourd’hui ?

La Petite dernière de Hafsia Herzi

La carrière de la réalisatrice Hafsia Herzi a connu à Cannes une trajectoire éclair. En 2019, elle présentait son premier film « Tu Mérites un amour » à la Semaine de la critique, son second, « Bonne mère » en 2021 à Un certain regard pour finir en Compétition cette année avec « La Petite dernière » dont le personnage principal, Nadia Melliti à été distinguée par le Prix d’Interprétation Féminine. C’est un pari gagnant car cette actrice débutante, présente dans tous les plans, incarne à merveille le personnage du roman de Fatima Dass ayant donné son titre au film et servi de base à son scénario. L’héroïne se nomme Fatima. Au début, elle a 17 ans. Elle vit en banlieue dans une famille d’origine algérienne où les femmes dominent. Les deux sœurs aînées et la cadette sont cajolées par une mère chaleureuse ayant toujours les mains dans la farine. Le père silencieux est scotché devant la TV. Fatima est en terminale. Elle est musulmane pratiquante et commence à s’interroger sur ses goûts sexuels.

Dans la deuxième partie du film Fatima est en fac de philo et évolue à l’aise dans le milieu étudiant. Elle ne tarde pas à rejoindre un groupe de lesbiennes pour des soirées entre filles et des manifs. Il lui reste à affronter deux épreuves : demander à l’imam de sa mosquée ce que le Coran dit de l’homosexualité et sortir du placard dans sa famille.

Dans ce récit, il n’est jamais question de racisme mais d’amour, de fidélité et de valeurs personnelles. Ce film serait-il annonciateur de comédies ou de drames dans lesquels un personnage issu de l’immigration serait considéré pour ce qu’il fait et non pour ses origines ?

Un prix final pour une « Résurrection » tardive

« Résurrection » du Chinois Bi Gang a été récompensé par le prix spécial, récompense attribuée souvent à une œuvre sélectionnée en dernière minute. Ce fut le cas de « The Seed of the Sacred Fig » de Mohamed Rasoulof en 2024 et de « It Must Be Heaven »d’Eila Suleiman en 2019.

Bi Gang, aujourd’hui âgé de 36 ans, a surgi en 2015 dans le monde de la cinéphilie avec « Kaili Blue » ébouriffant voyage dans sa ville natale. En 2018, son deuxième long métrage « Un grand voyage vers la nuit » tout aussi époustouflant est sélectionné à Un certain regard. Enfin débarque cette année son troisième opus, pour lequel, il a recruté deux acteurs très célèbres en Asie, Shu Qi et Jackson Yee. Comme pour ses films précédents, Bi Gang ne se préoccupe guère d’un éventuel scenario. Son film de 2h40 (la durée la plus longue des films en Compétition, cette année) est une accumulation de mini-intrigues. Toutes ces scènes se déroulent dans un décor de ville en étages qui pourrait être l’enfer. Le film change de style d’une scène à l’autre en pastichant le début du muet (Méliès) puis l’expressionnisme allemand (Lang , Munau, Wiene,) le film noir américain des années 50 (Aldrich, Welles, etc.) pour s’achever avec « Blade Runner ». Il appartient à chacun d’accepter ou non de se laisser embarquer par ce cinéaste hors norme.

À coté de « Megalopolis » de F. F. Copolla et de « La Montagne sacrée » de A. Jodorowsky, « Résurrection » fait partie des films inclassables qui ont marqué leur époque. On n’a pas fini d’entendre parler de Bi Gang, il est encore jeune…

Cette chronique sera suivie d’une autre chronique consacrée aux dix films ayant marqué le Festival de Cannes, parmi lesquels un film en Compétition scandaleusement oublié par le Jury.

Bernard Boyer

Palmarès des Longs métrages en compétition
Festival de Cannes 2025

Palme d’or : « Un simple accident » de Jafar Panahi 
Grand Prix : « Valeur sentimentale » de Joachim Trier
Prix du Jury (ex-æquo) : « Sirāt » d’Oliver Laxe
« Sound of Falling » de Mascha Schilinski
Prix de la Mise en Scène : Kleber Mendonça Filho pour « L’Agent secret »
Prix du Scénario : Jean-Pierre Dardennne et Luc Dardennne pour « Jeunes mères »
Prix d’Interprétation Féminine : Nadia Melliti dans « La petite dernière » réalisé par Hafsia Herzi
Prix d’Interprétation Masculine : Wagner Moura dans « L’Agent secret » de Kleber Mendonça Filho
Prix Spécial : « Résurrection » de Bi Gan

Date de sortie des films cités
« Un simple accident » : 10 septembre 2025
« Valeur sentimentale » : 20 août 2025
« Sirāt » : 3 septembre 2025
« Sound of Falling » : inconnue
« L’Agent Secret » : 14 janvier 2026
« Jeunes mères » : depuis le 23 mai 2025
« La petite dernière » : 1er octobre 2025
« Résurrection » : 15 octobre 2025