Georges Rousse ou le spectre de la réalité : une troisième dimension
Depuis sa création, la photographie est soumise au défi permanent de chocs, soit quant au sujet, soit quant à la technique, afin de produire l’impression de transgresser les normes de la vision ordinaire.
L’œuvre de Georges Rousse réalise un pas en avant en ce qu’elle déduit « une image qui renvoie à une conscience (1) » en bouleversant les lois de la perception visuelle. Selon sa stratégie d’illusion caractéristique de ses propres codes, il s’approprie l’espace et « redimensionne » un monde imprévu. Derrière ce paravent, il impose notre réel par des vestiges mémoriels concrétisés par des lieux dénaturés, meurtris, désaffectés mais toujours chargés d’un poids historique, politique ou social. Il traduit l’impact du développement de l’art lié aux nouvelles technologies via internet, par la prise en compte d’un troisième élément ou dimension de la vision photographique qui s’ajoute aux deux premiers de la création, l’œil et l’appareil.
La technologie changeant la règle du jeu, il remet en scène une perspective oubliée qu’il inverse par des jeux spatiaux. Ainsi, il propulse frontalement cette perspective «libérée», clé de la modernité photographique qui a donné une liberté fondamentale à la composition et un sens au vide. Tel Giotto partant du cercle pour organiser l’image, Georges Rousse intervient dans un même rituel mais traite différemment les repères de l’espace et du temps. Si notre espace est en « trois dimensions de natures distinctes qui s’articulent en une structure unique (2) » Il ne « se donne pas de manière homogène (3) ».
Nous voyons un lieu visible s’encastrer dans des formes et des couleurs pures, comme des figures géométriques ou des mots mais à valeurs indépendantes, tel un cubisme analytique.
De là, apparaît l’espace intermédiaire : le lieu non visible. De même, si notre temps est « trois dimensions » qui s’articulent en une durée unique, il ne se donne pas d’une manière « instantanée ».
Nous voyons un passé proustien « en morceaux fractionnés » s’imbriquer dans un futur aléatoire et conceptualisé. De là aussi, le temps intermédiaire apparaît : le présent incertain. La création de Georges Rousse montre la mutation de l’instant et de l’espace par le phénomène de simultanéité et de continuité qu’avait déjà affirmé Bergson dans le rapport de la science et de la philosophie (essai sur les données immédiates de la conscience .1889).
Les photos* de Georges Rousse sont la preuve que «le concept de durée caractérise différentes dimensions de la réalité (4) » et fait le lien entre la destruction et la reconstruction : elles sont l’existentialisme de la photo « Entre la Vie et la Mort, il y a la Liberté » (Marguerite Yourcenar Les mémoires d’Hadrien).
par Silvia Valensi
Le travail de Bergson sur la durée a nourri Sartre (« le temps inactif est une pierre dans l’étang ») Merlau-Ponty (au sujet des trois dimensions du temps ) Deleuze et sa théorie de l’image -mouvement (« La durée de simultanéité bloque l’espace temps ») Sans oublier les remarquables Bergson de 1959 de Jankélévitch et La vocation de Bergson de Jean Guitton qui fût son exécuteur testamentaire.
1/Deleuze
2 /Merleau-Ponty
3 /Bergson
4 /Jankélévitch – Clichés fournis par la INCamera Photo Gallery de Monaco où l’artiste a été exposé.