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Cannes 2025 : un Festival toujours mordant à 78 ans.

La sélection officielle du Festival de Cannes repose sur trois piliers.

Le premier est celui de la Compétition dont la notoriété est la plus forte, avec les récompenses les plus médiatiques dont la prestigieuse Palme d’or.

Le deuxième est la sélection Un certain regard où sont présentées des œuvres de jeunes cinéastes débutants ou de réalisateurs confirmés dont les points communs sont l’audace et l’originalité. Elle est le vivier de la Compétition. Être remarqué dans cette section donne au cinéaste qui en bénéficie des bonnes chances d’être sélectionné en Compétition, une prochaine année.

Enfin, le troisième est un mélange des genres : les Séances de Minuit réservées aux films de genre et les sections Hors Compétition, Cannes Première et Séances Spéciales, où l’on accueille des films pour le grand public, des super-productions hollywoodiennes, des longs métrages des plateformes de streaming, des documentaires et des inclassables. Grâce à ce dernier pilier, la Compétition a pu se dégager de la pression exercée par la production nationale et internationale. Tout le monde est satisfait. Les touristes peuvent entrevoir des stars, les journalistes en parler et le Festival de Cannes réussit à satisfaire à la fois les cinéphiles exigeants et les visiteurs.

Une Compétition renouvelée et rajeunie

Notons d’emblée que celle ci concerne principalement des auteurs européens et nord américain. Ainsi, l’origine géographique des vingt-trois films sélectionnés est la suivante : USA : 4 ; France : 4 ; Espagne : 2 ; autres Europe : 7 ; Iran : 2, Afrique du Sud : 1 ; Japon : 1 ; Chine : 1 ; Brésil : 1.

JEUNES MERES © Christine Plenus

La caractéristique principale de cette sélection est son renouvellement. Nous étions habitués à une compétition où dominaient des participants plutôt âgés et multi-primés donnant d’elle une image conservatrice même si au final, c’était un nouveau venu qui emportait la Palme d’or. Cette année, les seuls rescapés de la vieille garde sont les frères Dardenne, sélectionnés pour la dixième fois. Leur dernière œuvre « Jeunes Mères » décrit le sort de jeunes femmes recueillies dans une maison maternelle, refuge des mères isolées en Belgique.

Le retour des films américains.

Pendant quelques années, régnait une quasi-rupture entre Hollywood et Cannes. Depuis l’an dernier, Cannes accueille une nouvelle génération venue plutôt de Sundance que de Californie

Le premier d’entre eux est l’inclassable Wes Anderson. Dans « The Phoenician Scheme » il aborde le genre film d’espionnage en faisant appel à une pléiade d’acteurs issus des deux cotés de l’Atlantique (Benicio del Toro, Mia Threapleton, Tom Hanks, Mathieu Amalric, Scarlett Johansson, Benedict Cumberbatch, Charlotte Gainsbourg, etc).

Kelly Reichardt avait été sélectionnée en 2022 pour « Showing Up ». Son dernier opus, « The Mastermind » décrit les préparatifs d’un braquage dans le monde de l’art pendant la période de la guerre du Vietnam.

Richard Linklater, le réalisateur de « Boyhood », chronique de la vie d’un garçon pendant douze ans filmée en temps réel avec les mêmes acteurs, va tenter un nouveau défi avec « Nouvelle Vague », biopic du tournage de « À bout de Souffle ». C’est un choix courageux quand on se souvient de l’accueil glacial d’une partie du public de Cannes réservé à « Le Redoutable » de Michel Hazanavicius.

Ari Aster, jeune cinéaste new-yorkais dont c’est le premier séjour cannois a, à son actif , trois films d’horreur. Sa dernière œuvre, « Eddington » est présentée comme « un western néo-noir psychologique » avec, dans les rôles principaux, Emma Stone et Joaquin Phoenix.

Une délégation française au trois quart féminine.

En tête, Julia Ducournau, Palme d’or 2020 pour « Titane », avec « Alpha », a réuni Golshifteh Farahani et Tahar Rahim pour un récit dont l’héroïne est une adolescente, interprétée par Mélissa Boros.

LA PETITE DERNIERE © June Film, Katuh

Hafsia Herzi, réalisatrice de «  Bonne Mère » (Un certain regard, 2021), présentera « La Petite Dernière » dont le personnage principal est une jeune fille de banlieue confrontée à un monde nouveau pour elle, quand elle intègre un lycée parisien.

Amélie Bonnin assurera l’ouverture du Festival avec son premier long-métrage « Partir Un Jour », hors compétition, film musical dont la BO est celle des années 90.

Photos de plateau sur le film DOSSIER 137 de Dominik Moll
Commande pour Haut & Court Distribution
© Fanny de Gouville // Modds

Le seul homme de ce groupe est Dominik Moll. Son avant dernier film, “La Nuit du 12” avait été sélectionné dans Cannes Première en 2022. Son dernier long métrage, « Dossier 137 », dans la même veine réaliste, décrit l’enquête menée par une policière de l’IGPN sur un incident entre policiers et manifestants ayant entraîné la blessure d’un jeune homme par un tir de LBT.

Le cinéma iranien toujours présent.

Il aura sa place à Cannes dans le contexte habituel de sa participation : incertitude sur la présence des réalisateurs, mystère sur le thème et éventuelle condamnation des autorités iraniennes.

Cette année, ils seront deux : Jafar Panahi et Saeed Roustaee. Du premier, le vétéran, on connaît « Trois Visages » (Compétition 2018) et du second, le benjamin, on garde un souvenir fort de « Leila et ses sœurs »,(Compétition 2022).

UN SIMPLE ACCIDENT © JafarPanahiProductionsLesFilmsPelleas

Jafar Pahani, dans « Un simple accident », dépeint l’enchaînement d’événements de plus en plus graves comme suite à un incident mineur. Dans « Woman and Child », Saeed Roustaee décrit les difficultés que connaît une veuve de quarante cinq ans prise entre sa volonté de refaire sa vie et les contraintes liées à son rôle de mère assigné par la société patriarcale.

Un cinéma espagnol à découvrir.

Pendant longtemps, la présence écrasante des films de Pedro Almodóvar dans la Compétition faisait de l’ombre aux autres cinéastes. Cette année, on retrouvera le franco-espagnol Oliver Laxe, auteur de « Viendra le Feu » (Un certain regard 2019). Dans « Sirat », il emmène le spectateur dans le sud marocain en compagnie d’un homme et son fils à la recherche de leur fille et sœur disparue quelques mois auparavant lors d’une rave-party.

ROMERIA © QuimVives_ElasticaFilms

Carla Simón, jeune réalisatrice catalane, est nouvelle à Cannes. « Romeria ». Son troisième long métrage décrit également une recherche, celle que mène une adolescente, jadis adoptée par son oncle maternel, voulant savoir ce qu’il est advenu de sa famille biologique.

Quelques poids lourds en quête de Palme d’or.

Le noyau dur de la sélection est constitué de cinéastes plus ou moins familiers de Cannes, ayant reçus lors de leurs précédentes séjours diverses récompenses et ne manquant pas d’ambition.

DEUX PROCUREURS © SBS Productions

Le cinéaste ukrainien Serguei Loznitsa est un fidèle de Cannes où l’on a découvert son travail de documentariste (« L’Invasion » en 2024) et ses fictions (« Une femme douce » en 2017 et « Dombass en 2018). Cette année, il présente « Deux Procureurs », adapté d’un roman russe se déroulant en URSS en 1937 dans lequel un juge communiste, sincère et honnête découvre les pratiques de la police de Staline.

Le Brésilien Kleber Mendonça Filho est le seul réalisateur originaire d’Amérique du Sud présent en compétition. Après « Aquarius » en 2016, et « Bacurau », Prix du jury en 2019, il revient avec « L’agent secret » présenté comme un film policier se déroulant à Recife pendant les années soixante-dix.

LES AIGLES DE LA REPUBLIQUE © YigitEken

Le Suédois d’origine égyptienne Tarik Saleh a acquis un statut de spécialiste des turpitudes des dirigeants égyptiens grâce à deux films : « Le Caire confidentiel » (2017) et « La conspiration du Caire » (2022). Avec son dernier film, « Les Aigles de la République », il clôt sa « Trilogie du Caire ». Son héros est un chanteur populaire contraint de tourner dans un biopic à la gloire du président. Il va découvrir que côtoyer le cercle le plus fermé du pouvoir n’est pas sans danger.

Après Julie (en 12 chapitres) en 2021, récompensé par le prix d’interprétation féminine à Renate Reinsve, le Norvégien Joachim Trier poursuit son travail d’investigation sur les relations entre hommes et femmes dans « Sentimental Value ». Le récit est celui de la réapparition du père chez deux sœurs dont la mère vient de mourir. Le rôle d’une deux sœurs est tenu par Renate Reinsve.

L’Italien Mario Martone, après « Nostalgia » en 2022 présente « Fuori », adaptation libre d’un récit de Goliarda Sapienza à propos de son séjour en prison pour le vol d’un bijou.

La cinéaste britannique Lynne Ramsay, est spécialiste du film noir, genre qu’elle a représenté à deux reprise en Compétition : « We Need To Talk about Kevin » en 2011 et « A Beautiful Day » en 2017. Elle reste dans cette tonalité avec « Die My Love », adaptation du roman de Ariana Harwicz, monologue furieux d’une jeune maman détestant son mari, son bébé et la vie à la campagne.

RESURRECTION © DANGMAI FILMS

La Japonaise Chie Hayakawa avait présenté à Un certain regard en 2022, un film d’anticipation original, « Plan 75 ». Cette année, elle revient avec « Renoir »un récit dans lequel une fillette de 11 ans est confrontée à l’agonie de son père atteint d’un cancer et au stress de sa mère face à l’inéluctable. Le Chinois Bi Gan, remarqué en 2018 pour « Un grand voyage vers la nuit » à Un certain regard, présente un œuvre de science fiction, « Résurrection », le film le plus long de la sélection (2h40).

THE HISTORY OF SOUND © Copyright on the images is © Fair Winter LLC. All Rights Reserved.

Le Sud Africain, Oliver Hermanus, est le seul représentant du continent. Son film, « Beauty », avait été sélectionné à Un certain regard en 2011. Il a choisi d’adapter dans « The History of Sound » une nouvelle de l’écrivain américain Ben Shattuck, racontant la rencontre de deux hommes autour d’un piano dans un bar enfumé qui décident de passer une fin d’été à arpenter les bois du Maine pour collectionner des chansons folkloriques, loin du fracas de la Première Guerre mondiale.

Pour la première fois à Cannes, deux jeunes réalisatrices.

À cette rencontre de poids lourds du cinéma mondial, le Festival de Cannes a permis à deux réalisatrices peu ou pas connues de participer. La première est la Française Amélie Bonnin qui fera l’ouverture. La seconde, Mascha Schilinski, est allemande. Son film évoque le sort d’une succession de femmes ayant vécu dans une ferme en Allemagne de l’Est pendant un siècle.

Seront-elles une des révélations de ce Festival ?

Un certain regard : un riche bric à brac

C’est la section qui offre le plus de surprises. Nombre de films présentés dans cette sélection rencontreront le succès et d’autres tomberont dans l’oubli. Ainsi au cours de l’année qui vient de s’écouler chacun a vu ou entendu parler d’au moins la moitié des dix films suivants, tous sélectionnés à Un certain regard 2024 et diffusés ces derniers mois : « Le Royaume » de Julien Colonna, « Vingt dieux » de Louise Couvoisier, « Black Dog » de Guan Hu, « L’histoire de Souleymane » de Boris Lojkine, « Santosh » de Sandhya Suri, « Flow » de Gints Zibalodis, « My Sunshine » de Hiroshi Okuyama, « The Village Next to Paradise » de Mo Harawe, « Le procès du chien » de Laetitia Dosh et « Les damnés » de Roberto Minervini.

Ce deuxième pilier de la sélection officielle est largement ouvert aux réalisateurs d’un premier long-métrage puisque la moitié des films proposés le sont. Il reste donc de la place pour des cinéastes déjà établis dans cette carrière. Nous en avons dressé la liste en distinguant les auteurs français généralement connus des spectateurs des cinéastes étrangers, à découvrir.

Les auteurs français à retrouver.

PROMIS LE CIEL © Erige Sehiri

La Franco-tunisienne Erige Sehiri, autrice de « Sous les figues », Quinzaine des cinéastes 2022, dans « Promis le ciel » décrit les pérégrinations de trois copines ivoiriennes dans une Tunisie de plus en plus inhospitalière au personnes venant d’Afrique subsaharienne.

Hubert Charuel, réalisateur de « Petit Paysan », Semaine la critique 2017, présentera Météors dont on ne connaît à peu prés rien sauf qu’il s’agit de retrouvailles à l’âge adulte d’anciens copains d’enfance et cela ne se passe pas bien.

L’Inconnu de la Grande Arche © Stéphane Demoustier

Stéphane Demoustier est l’auteur de « Borgo » (2023). Dans « L’Inconnu de la Grande Arche », il s’intéresse à l’architecte Johan Otto von Spreckelsen, le gagnant du concours de l’Arche de La Défense qui ne vit jamais son œuvre achevée.

Dans « Love me Tender » de Anna Cazenave Cambet, Clémence, avocate et mère d’un jeune garçon quitte son mari pour vivre son homosexualité. Son ex-époux lance une bataille judiciaire pour lui enlever l’enfant. La cinéaste avait été sélectionnée à la Semaine de la critique 2021 pour « De l’or pour les chiens ».

Les cinéastes étrangers à découvrir

Once Upon a Time in Gaza © Tarzan et Arab Nasser

Les frères palestiniens Tarzan et Arab Nasser sont les auteurs d’une comédie « Gaza Mon Amour » en 2020. Leur dernier film, « Once Upon a Time in Gaza » se situe en 2007. L’histoire est celle de l’amitié entre un jeune étudiant et un dealer vendant de la drogue dans un restaurant de falafels.

Les Italiens Matteo Zoppis et Alessio Rigo de Righi avaient été sélectionné en 2021 pour « La légende du Roi Crabe ». Ils reviennent avec un western parodique, « Pile ou face ».

L’ Indien Neeraj Ghaywan présente « Homebound ». C’est l’histoire de deux amis originaires de la campagne intégrant la police en pensant que, grâce à cela, ils gagneraient le respect. Ils se trompent ! Son premier film, « Maasan », avait été au programme d’Un certain regard en 2015.

O riso e a faca © Pedro Pinho

Le Portugais Pedro Pinho décrit dans « O riso e a faca » les problèmes éthiques rencontrés par un ingénieur environnementaliste envoyé en Guinée-Bissau pour réaliser une étude d’impact sur un projet de construction routière. Il avait présenté «L’usine de rien » à la Quinzaine des cinéastes en 2017.

Il nous faut évoquer une sous catégorie que l’on trouve dans la plupart des sélections in ou off : celle des acteurs saisis par le désir d’être réalisateurs. Nous en avons repéré trois.

Kristen Stewart, l’interprète des « Twilight I à V » a réalisé « The Chronology of Water », biopic sur Lidia Yuknavitch. écrivaine et enseignante américaine.

Scarlett Johansson dans « Eleanor the Great » raconte la vie d’Eleanor Morgenstein, une femme de 90 ans qui tente de reconstruire sa vie après la mort de sa meilleure amie.

Enfin, Harris Dickinson, l’acteur de « Baby Girl » et « Sans Filtre » s’intéresse dans « Urchin » à un jeune Londonien pris dans un cercle autodestructeur.

Par Bernard Boyer