Opinion

Beauté, puissance N…

1- Le beau, on ne sait pas. On n’a jamais vu. La beauté, oui. Après notre deuxième rencontre, place des Abbesses, j’écris :

« N…, très jolie Algérienne, vingt et un an ans. Longue chevelure anthracite. Même richesse de brillances que chez Soulages, selon la lumière. Splendides effets mats aussi (ce que sa chevelure doit à l’Afrique noire, toutes frisures dénouées). Reflets bleutés. Yeux noirs, cils noirs. Pas maquillée. La lumière du noir.

Femme de service à temps partiel, elle prépare un BTS de secrétariat. Flammèches sur le front et sur les tempes. Avant-bras ombrés. Peau très mate. Longues mains très douces, diaphanes, ongles clairs, bagues bleues. Je l’aide avec son anglais. Elle se sent en confiance, parle davantage. Grande bouche, lèvres ocre-rose, dents très blanches.

Grande tranquillité. Consciencieuse dans le travail, les études. Elle veut être fille de pair aux USA mais elle a un passeport algérien.

Aujourd’hui, chemisier blanc et pantalon noir. Taille mince. »

2- La beauté se confond avec quelque chose d’innommable. Dans la beauté, il y a quelque chose qu’on ne comprend pas. Qu’on ne peut nommer. Des années plus tard, après la catastrophe de Turin (je ne peux dire mon désir), j’écris :

« Yeux sombres, très grands, avec de longs cils courbes, beauté sombre, ses airs de reine de Saba. Reine de Saba des banlieues, des tours, des HLM, du RER. Au-delà de la grande baie vitrée, le jour se retirait. S’accrochait encore aux façades, au zinc des toits, aux vitres des étages qui la divisaient et l’éclataient en taches et reflets. Les cours et les rues étaient déjà sombres. Vers l’ouest, le bleu sombre se mêlait de gris et de rose. Un faible vent agita les voilages et il nous vint aux narines une odeur de terre et d’herbe fraîche. N… se leva.

  1. – Je ferme non ?
  2. Au passage, elle baissa le son de la télé, se retourna, me sourit. La voix de Jennifer Lopez se tût.

Tamra henna : rouges comme le henné, brillantes comme la datte. Le sourire de N… était la chose la plus miraculeuse qui soit. Il n’y a pas, il n’y avait pas, de mots, pour dire le mouvement de ses lèvres, leur dessin, le mystère des formes et des proportions, comment les courbes de ses yeux, de ses lèvres et de ses sourcils s’accordaient, comment se répondaient le noir des sourcils et le noir des pupilles, le rapport qui se nouait en son visage entre la nacre des dents et l’ocre rose des lèvres, entre le blanc des yeux et le blanc des dents, l’éclat qui naissait du jeu complexe des accords et des contrastes, la luminosité et la candeur de son regard.

Il n’y a pas de mots pour dire la beauté. Sans doute y en a t-il pour dire la beauté des jeunes femmes maghrébines. Il n’y en avait pas pour dire la beauté de N…. Est-ce que je voulais du thé ? Elle ouvrit la porte coulissante de la kitchenette et brancha la bouilloire électrique. »

3- Le studio du quai de la Loire a bien existé. Un certain nombre de détails sont vrais (la kitchenette par exemple). Elle regardait M6. Et le paysage au-delà du périphérique était celui-là. Je magnifie la beauté de N…. A son retour de Bahreïn, sa chevelure était ainsi. Elle s’était faite faire des anglaises. Je crois que lorsqu’à l’Hôtel Astoria, 4 via XX Settembre, elle m’a lancé mon appareil photo au front et qu’elle a hurlé « tu n’es pas un homme ! », c’est parce que le noir trop bleu de ses cheveux me pétrifiait. Un homme n’a pas peur du noir. Via Roma, le noir de nuit du marbre des arcades. L’image demeure, sainte, absurde, sublime. Il me semble que toute la vie ensemble s’est concentrée en quelques mètres de la Via Roma. Sur Google Map, je peux revivre chacun de nos mouvements dans la quartier de la gare Porta Nuova. Je photographie N… sur la plage d’Eze. Elle se retourne, quasiment nue, au bord de l’eau, me sourit. A la longue, au fil des ans, sa beauté est partout. La beauté de N… est devenue le monde.

4- « C’est beau », lancent les deux femmes en désignant le Cap Ferrat. Dans une salle d’attente, ma voisine à qui je demande de nommer une chose belle, me répond « la mer ». Chacun peut le constater : un certain nombre de choses font consensus. Elles sont belles (et en petit nombre, mais le paysage marin avec rochers et ciel bleu est toujours cité, témoignant au passage que la sensibilité esthétique des gens n’a guère évolué depuis le XIXe siècle).

S’il y a du beau (c’est-à-dire des choses incontestablement belles, le « Beau » ayant disparu depuis longtemps), il y a du plus ou moins beau, forcément, des beautés plus parfaites que d’autres. Jean-Luc Chalumeau a publié un album intitulé Les 200 plus beaux tableaux du monde. Pourquoi pas? Les possibilités sont innombrables. Quelles sont les dix plus belles femmes du monde ? Les vingt-cinq plus belles plages ? Quels sont les cinquante plus beaux golfs ? Etc. Le XXIe siècle est l’ère du classement (penser, ce serait comparer) Bien évidemment, il y a dans la volonté de classer de la sorte des superlatifs quelque chose de dérisoire. Et d’inutile. Et d’arbitraire.

De dérisoire parce que notre époque, après des siècles où l’on désira et confectionna de la beauté, et où l’on chercha sans relâche à la définir, privilégie bien d’autres valeurs. D’inutile parce qu’une fois le classement établi, on se demande bien à quoi il pourrait servir. D’arbitraire enfin parce que, au nom de la subjectivité, on lui opposerait bien d’autres choix. A chacun ses goûts. J’aime ce que j’aime. Il n’y a de vérité qu’individuelle.

Et pourtant, la beauté, comme un fantôme, nous hante et l’adjectif se glisse sans cesse dans la langage, jusqu’aux niveaux les plus vulgaires. C’est le règne du poncif. De la même façon que la mer est dite « belle », on achète un « beau steak », on rêve d’une « belle voiture », on se fait construire une « belle maison ». Une « belle maison », par exemple. Elle l’est très rarement. Ses voûtes et ses arcades ne sont généralement qu’un pastiche absurde de la ferme provençale d’antan ou de la villa toscane du XVIIe. L’obsession demeure, un rêve perdure. Et l’on décerne au plus banal, au moins digne d’attention un label d’excellence esthétique sans que la moindre pensée ait conduit le choix, guidé seulement par le souci du prix, l’apparence luxueuse, la mode et autres raisons sans raison.

5- Le critère de sélection retenu par Jean-Luc Chalumeau est « l’attention », un concept emprunté, dit-il dans son introduction, à Jean Lacoste qui dans L’idée de Beau, définissait celui-ci comme « ce qui est digne d’attention » (notre époque ne s’y trompe donc pas tout à fait en considérant comme digne de la plus grande attention, et donc comme beau, tel ou tel téléphone à écran tactile – lots of laughter !). La pauvreté de cette notion nous frappe aussitôt. Et celle d’ « acquiescement » ? Jean-Luc Chalumeau rappelle que c’est François Cheng qui l’avança dans ses Cinq méditations sur la beauté. À tout prendre, elle nous apparaît comme plus fertile, puisque nous rapprochant d’une possibilité qui n’est pas évoquée dans ce texte : celle de la soumission. C’est-à-dire le ravissement (enlevé à soi-même).

Mais surtout nous doutons. Nous ne doutons pas que l’art ait peu à voir avec la beauté (1). Nous doutons que théoriser la beauté soit possible. Du moins en ces termes, dans une tradition, des errements, des tâtonnements rendus absurde non seulement par la mort – ancienne – de l’idéalisme platonicien mais par l’impossibilité de penser la beauté comme un absolu, de la penser « en soi ». On ne regrettera pas le défunt. Au « royaume de l’être pur », la pureté, l’idée habillée (même de nudité) n’était que mensonge et illusion. Déjà Voltaire proclamait l’impossibilité d’écrire un traité du beau.

6- En certaines scènes, certaines images, certaines situations, quelque chose m’est donné qui a à voir avec une catastrophe originelle, avec l’origine du monde, et donc le désordre de forces contraires. Mais comme soudain ralenties, telles qu’en une séquence de film (« T’as de beaux yeux, tu sais ! ») ou arrêtées, telles qu’en un tableau (au point même – extrême – où, comme dans le tableau de Nicolas Poussin, Les bergers d’Arcadie, ainsi qu’à la sortie d’un rêve, pourrait ne plus subsister que l’interrogation).

Ce à quoi j’assiste alors est une sorte de Big bang au ralenti, à la fois désordonné et unifié, qui confine au sublime. C’est allégresse et horreur mêlés, Eros et Thanatos enlacés, réunis dans la même image, la même scène. La dialectique est à l’arrêt.

Pas de beauté sublime sans douleur d’un arrachement. A l’instant où, dans le roman de Pierre Michon, La Grande Beune, le narrateur voit la buraliste pour la première fois – et en même temps en tombe follement amoureux, il sait qu’il ne la possédera jamais, qu’elle lui est enlevée. Sa beauté est d’autant plus atroce. Il la suit dans la forêt. Il fait froid, c’est l’automne. Antonin Artaud écrit que « tout ce qui agit est une cruauté. »

7- Pic de la Mirandole dit que « chaque fois que plusieurs choses diverses concourent à en composer une troisième, laquelle est née de leur juste mélange et tempérament, l’on appelle beauté la fleur qui résulte de leur juste composition proportionnée. »

La beauté, principe composite, naît de l’informe, d’une matière informe. Saturne tranche le membre de son père Uranus. Vénus, symbole de beauté « naît du Ciel » c’est-à-dire de « la castration du Ciel, dans le remous impur du sang, du sperme et de l’écume mêlés.» Vénus déesse de la beauté naît de ça, de ce crime. La beauté est structurellement cruelle. Dans sa représentation, un drame se joue.

Pascal Bruckner dit (2) : « la beauté ne se résume pas à l’harmonie, laquelle risque de paraître fade. » On confond la beauté et l’harmonie. Vénus n’est pas harmonie. C’est la fille de Vénus qui est harmonie, Harmonia, née du coït de sa mère et de Mars.

La Vénus idéale, prétendument céleste de Boticelli n’est pas un paradigme de pureté. Elle n’est que fausse pureté ainsi que le montre Georges Didi-Huberman dans Ouvrir Vénus. La beauté idéale est une fausse beauté. La beauté naît du chaos.

8- La beauté est une situation impure, conflictuelle. A partir du moment où il n’y a plus de « beauté en soi », il n’y a plus que des beautés « en situation ». « Il n’y a pas de beauté isolée, il faut construire des situations qui la font ressortir », dit l’actrice Elsa Zylberstein (2).

La prééminence du jugements esthétique était refus de l’empathie qui empêche de séparer forme et désir. La beauté est désormais indissociable du désir. La beauté ne peut plus se prouver mais seulement s’éprouver. Fruit de la castration du Ciel, née du jeu de la forme et de l’informe, la beauté ne peut plus se concevoir sans un rapport de choses en conflit.

« Il n’y a plus d’absolu, la beauté n’est plus unique et inégalable. Elle est le produit du hasard et de la mise en scène. » écrit Georges Vigarello (2). L’éblouissement est un « accroc à l’ordre du monde » et non une confirmation de son harmonie. Comme le coup de foudre, la beauté est affaire de relation, de contexte, de situation.

9- « La première fois que j’ai vu Z…, elle chantait Domino dans un bal du troisième âge, à la salle polyvalente, pour la Galette des vieux. Elle portait un pantalon noir à pinces, un gilet pailleté sur un chemisier blanc à jabot et des talons hauts noirs avec une petite chaîne dorée derrière.

L’accordéoniste la suivait entre les tables rondes garnies au milieu d’un bouquet multicolore dans un vase de plastique blanc. Z… chanta aussi d’autres chansons dont je ne me rappelle plus. Il y en avait une où elle faisait claquer ses talons, l’accordéoniste balançait son instrument. Levant les bras, elle se mit alors à taper dans ses mains, les vieux l’imitèrent, les filles de salle aussi s’étaient mises à danser, la plupart entre elles, souvent avec adresse, elles paraissaient savoir d’instinct laquelle ferait l’homme, puis toute la salle reprit le refrain en chœur. Son micro sans fil dans une main, Z… se mit à battre la mesure de plus en plus en vite, les vieux s’essoufflaient. Quand la musique s’arrêta, elle leva les bras comme pour un V de victoire, puis regagna la scène en envoyant des baisers à la salle. L’accordéoniste paraissait épuisé. Je n’avais jamais vu une femme comme elle.

La beauté de Z… se nourrissait de la décrépitude des vieux. Son corps était souple et lisse parmi leurs raideurs. Les hommes, vaguement embarrassés, ne la quittaient pas des yeux, les femmes riaient de bon cœur, et tournoyaient, parfois vives encore, avec cette gaîté puérile des femmes âgées, qui depuis qu’elles sont hors course, sont comme soulagées, délivrées de la vie et se fichent bien désormais des regards baveux qu’ont les vieillards pour la beauté. Un vieux beau l’avait invité à danser. Costume trop cintré, cravate trop voyante, les vieilles ne l’aimaient pas, comme s’il y avait eu de l’obscénité à ne pas vouloir faire son âge, faire le jeunot, les concurrencer sur le terrain de la survie, de l’agilité à danser le cha-cha-cha et le mambo. Il avait serré Z… de près. Pas le ventre, mais la poitrine, les épaules, pour la tendresse, la toucher, sentir ses seins au travers de l’organza, la chute des reins. Pour la java, il avait voulu poser ses mains sur ses fesses.

Elle l’avait laissé faire, et s’était dandinée avec lui à travers toute la salle polyvalente, en avant, en arrière, il y en avait qui applaudissaient. Puis on l’avait appelé : Raoul, tu viens? laisse chanter la demoiselle. Ses voisins de table avaient tiré sa chaise et la lui montrait, pour qu’il les rejoigne. On servait le champagne, comme ils disaient, du vin de Limoux, la bouteille c’est presque pareil. Il avait levé son verre à la santé de Z… Puis tout le monde avait applaudi encore, les hommes à la dévorer du regard, comme des gamins pauvres devant une Lamborghini, l’air de s’y connaître, les femmes maternelles ou plutôt vivant en elle, la beauté, la jeunesse passées, à se sentir comme elle, des femmes, pas seulement des vieilles. Z… avait trempé le bout des lèvres dans une coupe. Elle riait, le regard des vieux était sur elle, en elle, comme une lumière grise et pâle dans sa chair douce et rouge. C’était la quarante-troisième édition de la Galette des vieux. Elle l’ annonça en levant haut son micro, et pour remercier tous les danseurs et leur laisser le temps de sabler le champagne, elle chanterait un air de Jacques Brel, Le plat pays. On tamisa les lumières. J’étais dans l’ombre. La poursuite la suivait. Ses seins se soulevaient sous l’organza. »

[…]

« Dans la salle polyvalente, la beauté de Z… avait quelque chose de dur, comme ramassée en elle, condensée en sa chair. C’était une beauté contre le monde. La jeune africaine aussi, dans la galerie du centre commercial, quand j’ai quitté le bureau. Elle longeait l’interminable rangée de caisses enregistreuses en compagnie d’une copine, hilare, avec cet air de défier, de mépriser, caractéristique de la jeune négresse (3), avant les mornes années à traîner, là aussi, le long des caisses du Champion, d’innombrables marmailles glapissantes, qui lui feraient perdre cet air de reine des dalles du 93, la transformeraient avant l’âge en vieille bufflesse affaissée, toujours à traîner un incompréhensible chariot, et à l’accepter. Le moment n’était pas arrivé. Elle puait encore la beauté, la pire, celle arrogante du cul et de la cambrure, du cul : rond, incroyablement rond, serré dans un jean collant déchiré sur la cuisse mais aussi à l’aine, et dessous, la peau noire, près du sexe. Elle était coiffée au carré, le visage doux et portait un blouson très court en nylon rouge, l’élastique soulignant la minceur de sa taille, rendue plus violente encore par la rondeur des hanches. Comme si pour être belle là, dans la galerie, lui résister, s’opposer à elle, exister, il n’y avait d’autre solution que cette tension des chairs, ce durcissement de l’être, cette exagération poignante des lignes et des volumes, ce mouvement des globes fessiers le jour de leur plus haute perfection. Z… aussi s’opposait au monde, à la salle polyvalente, aux vieux, à leur décrépitude.

La nuit suivante, je rêve d’une très jeune adolescente arabe en chacabia à rayures beiges et brunes. Le visage dans l’ombre du capuchon, elle ouvre son manteau. Son corps est très brun et très mince contre la laine grossière. Puis elle le laisse glisser de ses épaules. Epaisse chevelure noire crollée, emmêlée. Rêvé aussi de Marinette, du service « salaires » sur la plage, près de Bastia. »

10- « Un grand nombre de vaisseaux, venant tous du Nouveau Monde, s’étaient rassemblés dans cette île : les uns allaient en Espagne, les autres au Portugal. Nous quittâmes Tercera en compagnie de près de cent autres navires, et j’arrivai à Lisbonne le 8 octobre 1548, après seize mois d’absence. » (4)

Elle a dit oui. Nous nous donnons rendez-vous devant la mairie de Montreuil. Il fait un peu frisquet, le ciel est gris. Lorsque je la vois, au pied des marches, c’est beau comme l’appareillage de Tercera de cent vaisseaux espagnols et portugais.

Tu as toujours les épaules un peu voûtées. Un jour, en riant, parce que je me disais que c’était une façon de cacher la féminité de sa poitrine, je les ai redressées. Tu as pris ton air fâché. Comme lorsque tu m’as fait remarquer les petits boutons sur tes joues et que je t’ai dit que tu mangeais peut-être trop gras là-bas à Bahreïn. Je t’ai dit que tu n’avais pas changé. Tu as gloussé. Je t’ai prise dans mes bras, tu as posé ton front sur mon épaule et puis j’ai senti que toi aussi tu m’enlaçais. Je te dis que je voudrais te voir sortir de la mer. Un mois plus tard, nous partons en Corse.

Beniamino Gigli en 1925 chante l’aria des Pêcheurs de perles habillé en Pierrot. A l’hôtel, je montre à N… une vidéo sur You Tube. Cette fois, c’est Alfredo Kraus, en gilet orange et turban blanc, sur le sable noir d’une grève jonchée de fleurs. Leila passe sans le voir. Elle est vêtue de voiles verts.

– C’est ça que tu écoutais ? Et c’est toi là ?

Hilare, tu montres Nadir.

– C’est vrai ? Parfois, tu croyais entendre ma voix ?

Dans un festival, nous écoutons le troisième mouvement d’Harold en Italie, de Berlioz, la « Sérénade d’un montagnard des Abruzzes ». Nous sommes assis au premier rang. Du coin de l’œil, je guette ton expression dans la pénombre. Tu as cet air impassible comme lorsque, sur mes conseils, tu lisais La Pornographie ou les Lettres de Mireille Sorgue. A la sortie, je t’ai demandé si tu avais aimé et tu m’as fait la même réponse qu’à l’époque. Tu as dit : « c’est beau. »

Au retour, près de Piana, au bas des falaises rouges, j’arrête la voiture sous les pins et nous faisons l’amour au bord de l’eau. Il fait très chaud et très lourd, un éclair fend le ciel, puis deux, c’est l’averse. Le tonnerre gronde. Si fort qu’il fait vibrer les falaises. Je jouis en toi au milieu des vagues. Tu ris parmi l’écume. Tu dis que c’est la première fois.

Martin T.


{1) La confusion est néanmoins récurrente comme le prouvent – entre autres – des émissions de France-Culture du mois de septembre 2010, telle celle consacrée à l’art et la science ou celle de Raphaël Enthoven, Les Chemins de la connaissance qui traita pendant une semaine de l’art contemporain. Au demeurant, rien ne prouve que la « beauté » – ainsi que le voudrait le poncif – était autrefois la préoccupation première des artistes.

(2) Philosophie Magazine, numéro 40, juin 2010.

(3) Le mot « négresse » pourrait surprendre. C’est pourtant le seul qui convienne. La jeune femme aperçue dans le centre commercial de Bobigny était aussi celle entrevue par le narrateur, sur la rive du fleuve, dans le roman de Joseph Conrad, Au Cœur des ténèbres et La charmeuse de serpents d’Henri Rousseau.

(4) Hans Staden, Nus, féroces et anthropophages, éditions Métaillié, collection « Suites », 2005.

Jean-Luc Chalumeau, Les 200 plus tableaux du monde, éditions du Chêne, 2010.

Georges Didi-Hubermann, Ouvrir Vénus, éditions Gallimard, coll. « Le Temps des images », 1999.

Pierre Michon, La Grande Beune, éditions Verdier, 1996.

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