Arman à Vence
Autour d’une œuvre offerte à la Ville intitulée par Arman avec humour « Accord parfait », sculpture en bronze d’un piano brisé destinée à devenir une fontaine, le Musée de Vence présente une exposition de divers travaux. Outre les photos en exposition des œuvres, le catalogue resitue l’artiste dans le lieu et dans l’art contemporain, avec une série de textes signés Catherine Le Lan, Maire de Vence, Jean Iborra, directeur du Musée, Jérôme Neutres, commissaire de l’exposition, et du critique italien Germano Celant. On y trouve aussi des propos d’Arman qui éclaire les partis-pris de l’artiste, et un très cordial témoignage de Bernar Venet, titré « Reconnaître à Arman la dimension d’un précurseur, c’est rendre à Arman ce qui appartient à Arman » « En 1960, nous avons eu Arman. Arman et son exploration méthodique de l’objet. Et ensuite ? Ensuite tous les autres… et ils sont des milliers ! »
L’espace ne permettant pas une rétrospective, l’exposition se limite à une bonne présentation de quelques temps forts d’une œuvre qui s’est développée en diverses formes, mais toujours dans une grande cohérence de pensée et de vision. Echappé, après deux années, de l’École des Arts décoratifs de Nice pour se diriger davantage vers l’histoire de l’art avec l’École du Louvre, la démarche d’Arman restera toujours soutenue par un arrière-plan d’historien archéologue : en parlant des « poubelles », son travail du moment qui je l’avoue m’avait au premier abord laissé perplexe, il m’avait dit avoir constaté par une expérience de fouille au Moyen-Orient que l’archéologue cherche et trie des déchets. Avec des échos du passé, Il inscrivait ainsi sur le vif sa démarche dans l’histoire du présent.

J’ai rencontré Arman toute fin des années 50 ou tout début des années 60, Rue Tondutti de l’Escarène, devant la boutique de Ben, devenu à partir de 1958 le trottoir salon plein air des rencontres pour tous les jeunes gens qui à Nice s’engageaient dans les diverses avant-gardes des diverses disciplines. J’ai donc eu l’occasion de suivre l’évolution de son travail, [vu en direct briser ou brûler des instruments dans son atelier ou sur sa terrasse, Avenue de la Lanterne !] même si je n’ai pas eu la chance d’être dans son atelier de New York comme le fut souvent Bernar Venet qui dans le catalogue de Vence termine ainsi son écrit : « J’ai rencontré Arman en 1963 et notre amitié a gardé toute son intensité jusqu’à ses derniers jours. Sa générosité et son soutien lors de mon premier voyage à new York ne sont un secret pour personne. Oui, Arman a été un grand ami, mais plus encore, un très grand artiste. En lui rendant hommage ici, et en regrettant encore très profondément son absence, je fais mon devoir d’ami et de modeste témoins. »
Je ne peux que confirmer les dires de Bernar : Que pour les artistes de notre génération, l’homme était amicalement aussi remarquable que le plasticien.

Arman à demeure
Non loin du château de Vence, au Bidonville, s’est déployé une œuvre dont le retentissement n’en finit plus de résonner d’échos avec notre monde contemporain. « Ma spécificité réside dans la transformation de l’objet. Arman, c’est à la fois une intelligence stratégique – celle du joueur d’échec – qui saisit la civilisation industrielle croissante avec l’acuité visionnaire, et une puissance créatrice qui organise un corps à corps méthodique avec l’objet. Tour à tour, il l’accumule, le brise, l’écrase par des techniques violentes, aimantées par une forme d’urgence. Du vacarme d’un piano fracturé, est ainsi née l’harmonie d’Accord Parfait, cadeau en bronze de l’artiste à la Cité des Arts. Par un processus de bifurcation symbolique, l’instrument détruit est devenu sculpture. La luminosité éclatante rebondit sur les anfractuosités de la matière. À l’occasion de sa présentation sur le parvis du Musée – préambule à son installation définitive et à sa métamorphose en fontaine – il importait pour le Musée de la Ville de Vence de remettre ainsi Arman en pleine lumière. Le parcours d’œuvres conçu par Jérôme Neutres est magnifique de justesse. De salle en salle, nous sommes conviés à une conversation intime, au plus près du mystère de cette paradoxale fabrique de sens, dont les textes de Bernar Venet et Germano Celant saluent l’importance historique dans ces pages. Fusion (ou confusion) des strates de temps : fourchettes et cuillères sont saisies dans du béton comme dans une moderne Pompéi, le casque de motard d’Atlantis prend l’allure d’un bol romain ou étrusque, l’archéologie devient celle du futur… « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles », notait Valéry. Arman nous invite à marcher, tels des funambules, sur une ligne tendue au-dessus du précipice qui sépare la destruction de la renaissance. Le fossile du recyclage jubilatoire. Les sandales, les guitares deviennent cascades. Jeu. Régénérescences. Fraîcheur. Dans cette exposition chaque objet – du violon au téléphone, de la poubelle aux meubles de salon – pourrait figurer dans un intérieur. Dans les espaces du château de Vence, Arman est à demeure. Il nous interroge sur notre façon d’habiter le monde.
Marcel Alocco
ARMAN, Nouvel état des choses
Musée de Vence / Fondation Emile Hugues
Du 29 juin au 15 décembre 2019