Expositions

The Phantom’s Privilege – Arianna Carossa à la Villa Hanbury

L’artiste italienne Arianna Carossa présente dans le cadre luxuriant et paisible de la Villa Hanbury une série d’œuvres qu’elle a réalisées spécifiquement pour ce lieu hors du temps.

Arianna Carossa devant The Teeth of the Sky, ceramic gres, diameter 46 cm, 2022

Il suffit de s’engager, la frontière passée à Menton, sur la route qui relie Latte à Mortola pour atteindre après quelques kilomètres l’entrée de ce magnifique jardin botanique. Loin de l’agitation azuréenne et de ses alignements de béton, cet éden descend là jusqu’à la mer. Le vaste portail franchi, un panorama unique s’offre au regard. De restanques en restanques plongeant en cascades florales jusqu’aux outremers et turquoises du rivage, c’est un enchantement, une immersion immédiate dans un univers de senteurs et de frémissements végétaux.

Présentée par Atelier A. à Apricale – dont Arianna fut lauréate de la résidence d’artiste en 2020 – et par la galerie Callisto Fine Arts de Londres, l’exposition the Phantom’s Privilege a été conçue par la vision de l’artiste comme une sorte de parcours initiatique. Les œuvres rencontrées dans cette suite orchestrée dans les espaces intérieurs et extérieurs semblent évoquer quelques mystérieux rituels anciens tout en faisant référence à l’histoire du lieu.

Au premier plan : Awakening 2, ceramic third firing, 46 cm, 2022
A droite : Hyacinth and Bones, oil on canvas, 89 x 105 cm, 2022
A l’arrière-plan : Flesh, oil on canvas, 139 x 150 cm

Sons, odeurs, matières d’origines diverses sont les éléments requis, transformés, canalisés par l’artiste pour engager le spectateur dans un dialogue avec la nature. Ce faisant elle le place d’emblée face à la compréhension naturaliste du monde qui fut celle, entre autres, des colons celtiques préchrétiens et aux peurs qu’elle a pu susciter.

Un moment de flottement et d’adaptation intervient avant que le visiteur soit à même de pénétrer, de saisir et de relier les éléments de cette étrange fantasmagorie car le travail d’Arianna Carossa s’inspire aussi de traditions anciennes d’Italie ou du Japon. Les œuvres, comme les matériaux qu’elle sollicite tels que la cire, la terre ou l’argile, semblent suivre les règles de la transformation de la nature et changer d’attributs dans le temps et en fonction du milieu environnant.

Et si ses créations s’inscrivent de façon incontestable dans le registre de la beauté, telle n’en est pas la finalité. Au premier regard elles opèrent une séduction immédiate par l’harmonie entre les formes, les couleurs et la noblesse des matériaux. Mais dès que la vue s’y appuie en quête de sens, une étrange oscillation, entre attirance et répulsion, s’empare de l’esprit à dessein. Car elles veulent déranger, provoquer, choquer, voire conduire au malaise. Telle la vie, « entendue [ici] comme l’unicité qui relie les événements du monde de manière lumineuse mais aussi violente et mystérieuse, [la vie qui, in fine,] est la protagoniste de cette exposition ».

A Head without Nothing, glazed ceramic, 30 x 30 x 20 cm, 2022

Le critique d’art Michael Higgins décrit ainsi la manière dont les mondes celtique et païen se reflètent dans l’œuvre d’Arianna Carossa :

« Dans son travail, Arianna est à la fois éloignée des conceptions européennes traditionnelles de la beauté autour de la symétrie et de l’harmonie et proche de la tradition japonaise où le grotesque peut être séduisant et le beau considéré comme étant ce qui stimule l’imagination. Et pourtant elle suit également une tradition italienne très ancienne, comme celle de Benedetto Croce, en cherchant à produire un art dont le premier point d’engagement est le niveau intuitif, un art sans fin et sans jugement. A l’instar de Dante, elle réalise un exercice de topographie physique et mentale en plaçant de manière délibérée et réfléchie un objet à sa juste place. Pour Arianna, il s’agit de créer et de donner à sa petite troupe de personnages et d’amis un foyer approprié et adéquat. Cette exposition au Giardini Botanici Hanbury, près de la maison d’Arianna, ressemble à l’aboutissement d’un voyage.

Décrire les résonances entre l’art d’Arianna et l’art celtique ne semble pas a priori très difficile. Car il va de soi qu’Arianna est une artiste sorcière. Rencontrer son travail est une expérience magique et transformatrice. Elle est la métamorphose de Morgane le Fey, la reine des fées – ennemie jurée du roi Arthur de la légende britannique – revenue sur Terre. Son art reflète le défi lancé par Morgane aux exigences patriarcales du roi Arthur en matière d’ordre, de hiérarchie et de règles de vie. Morgane, qui représentait une résistance païenne à un christianisme envahissant, s’était posée en protectrice d’un monde informel, naturel et en constante évolution. Pourtant et bien qu’elle fût la principale antagoniste d’Arthur, à la mort de celui-ci, Morgane l’escorta jusqu’à Avalon où une nouvelle forme de vie idyllique l’attendait… L’art d’Arianna nous invite de même et tout autant à entrer dans de nouveaux mondes d’expérience.

Installation dans l’entrée de la Villa Hanbury.
A l’arrière plan : Pink Uterus, oil on canvas, 121 x 152 cm, 2022

Le travail d’Arianna n’est pas toujours joli. Il peut inviter au malaise. Oui, il est assurément beau, au sens que donne à ce qualificatif l’icône de l’artisanat japonais Yanagi qui affirme : « Est beau ce qui donne de l’ampleur à l’imagination ». L’art d’Arianna a le pouvoir particulier de contourner les sens immédiats et d’opérer au niveau de l’inconscient, générant une sorte de titillements de l’esprit et de sensations des plus étranges. Il est viscéral et expérimental. Il a un caractère transgressif, provocateur et stimulant qui nous invite fortement à reconnaître nos identités multiples et changeantes.

L’un de ses traits distinctifs est l’incorporation de résidus biologiques, d’une manière qui permet leur fusion en des formes nouvelles et étrangères. Peau, dents, cheveux, membres, bois, cornes, carapaces, coquillages, nids d’abeilles, cire, sont réunis dans un acte de revitalisation et de réincarnation. Cela rappelle le fameux combat du mythe celtique entre le magicien Merlin et Morgane, bataille dans laquelle les sorciers passent constamment d’une forme animale à une autre pour mieux se poursuivre et s’affronter.

Arianna expose ses œuvres dans des lieux spécifiques sur les particularités desquels elle leur fait prendre appui et adapte celles-ci à l’ambiance et aux évocations existantes dans l’endroit donné, le transformant de fait en un nouvel espace passionnant où des perceptions et des formes inédites de dialogue peuvent émerger.

Open flower, ceramic third firing, 9 x 13 cm, 2022

Les principales préoccupations d’Arianna sont les mêmes que celles des artistes du monde celtique : l’animalité, la plasticité, la transformation. La plupart des symboles récurrents de l’art celtique, – comme le Kristel de Triqueta – est composée de lignes de points entrelacées sans fin précise. L’art celtique embrasse la complexité et l’incertitude et s’intéresse au changement et à la transformation sans cesse en cours ainsi qu’au flux et aux métamorphoses de la nature. De même, le travail d’Arianna recèle une qualité liminale, capturant ce moment d’un rituel où un ordre est dissous.

Comme les Celtes, ses préoccupations esthétiques tendent vers l’instinctif, le physique, le viscéral. Ses créations apparaissent souvent grotesques, noueuses, tendues. Les guerriers celtes qui tachaient leurs vêtements d’urine de cheval, fétichisaient les crânes d’animaux et se transformaient dans la frénésie de la bataille, auraient sans doute trouvé une âme sœur en la personne d’Arianna ;

Michel Moorcook affirme que la littérature exerce deux fonctions : l’une qui conforte et l’autre qui défie. Il en va de même pour l’art. Et l’œuvre d’Arianna y adjoint une contribution bienvenue. » (1)

Les œuvres présentées sont assorties de compositions visuelles sonores réalisées par Marc Urselli, compositions qui, par l’étonnement et les questionnements qu’elles suscitent, affirment et confirment la tonalité de cette surprenante proposition.

No Title, porcelain and ceramic third firing, diameter 14 cm

Arianna Carossa a commencé sa carrière en tant que peintre et, depuis 2005, concentre aussi ses recherches sur la sculpture. Les médiums auxquels elle a recours aujourd’hui sont toujours la peinture et la sculpture mais elle y ajoute à présent la performance.

Son travail fut initialement donné à voir en 1999 à l’Arc Gallery de Chicago puis lors de la Biennale d’art contemporain de Saint-Pétersbourg et au Manège du Musée de l’Ermitage. Suivirent ses participations à Documenta 11 Kunstbalkon à Kassel, à MACRO à Rome, à Lower à Manhattan, à la Fondazione Antinori à Florence, à Il Vittoriano à Rome, à la Fonderia Battaglia à Milan, au Museo Carlo Zauli à Faenza, au Museo di Villa Croce à Gênes, au Museo de la Minería à Mexico, etc.

En 2014, son livre L’esthétique de ma disparition fut présenté au Moma/PS1 à New York.

Marc Urselli vit et travaille à New York. Né en Suisse, il a commencé sa carrière en tant qu’ingénieur du son en Italie au milieu des années 90. En 1999 il s’est installé à New York et a commencé à travailler aux studios d’enregistrement East Side Sound qui étaient alors partenaires d’artistes de renommée internationale, studios d’enregistrement que Marc Urselli gère aujourd’hui. Ingénieur du son et producteur de musique depuis plus de 25 ans, il a été nominé à sept Grammy Awards et en a remporté trois, notamment pour son travail avec des artistes tels que Lou Reed, Nick Cave, U2, Jim Jarmusch, Foo Fighters, Laurie Anderson, John Zorn et autres Marianne Faithfull. Solidement ancré dans le monde de l’art, Urselli a également collaboré avec des artistes visuels de tous horizons, tels Laurent Fort, Nicolás Rupcich, Luis Accorsi, Michelle Jaffe.

Il a réalisé de nombreuses expositions comme « The Rock And Roll Circus », à la New Gallery Hudson, à New York, au Musée d’art contemporain du Chili à Santiago, à la Sound Art Gallery à Londres, etc.

Catherine Mathis

D’après le dossier de presse et les textes de présentation de l’exposition de Luca Bochicchio, Michael Higgings, Anna Daneri, Michela Murialdo, Tiziana Rinaldi Castro. Traduit de l’anglais par C. Mathis

(1) Texte de Michael Higgins.

The Phantom’s Privilege

Giardini & Villa Hanbury

Corso Montecarlo, 43,

Ventimiglia, IM

Ilalie

+39 0184 229507

Ouvert du mercredi au samedi

De 10h à 12h et de 15h30 à 17h30

Du 9 Juillet au 3 Septembre 2022

Atelier A Apricale

+39 3403751306

Callisto Fine Arts London

+39 3472783551,