RA’AN LEVY , L’EPREUVE DU MIROIR
LA TENTATION DE L’ABSOLU
« Il faut avoir du chaos en soi pour enfanter une étoile qui danse »
Nietzche
Cette phrase de Nietzche illustre ma rencontre avec l’œuvre de R.Levy à la Fondation Maeght. Une réelle découverte ! Celle de l’artiste qui m’a confié que son prénom en hébreu signifie fraîcheur et son nom celui qui accompagne
Fraîcheur de la surprise, de l’étonnement existentiel devant une œuvre ambivalente dans ses extrêmes.
Un univers pictural labyrinthique nous est montré : un dédale de portes, de murs, de miroirs qui démultiplient le vide, l’absence et qui peuvent accentuer la déformation des objets.

Sur nous de déverse le monde du Vide, non pas le vide réparateur du Taoïsme, mais celui qui annihile tout souffle vital. Les miroirs peuvent subir l’épreuve de la brisure (ECLAT 2019 , COIN BRISE 2019) qui accentue l’éclatement, la décomposition qui porte vers l’infini du Néant. ( VERS L’INFINI 2019)

Étonnamment ce mouvement de délabrement s’appuie sur une force dynamique ,qui traverse les plafonds, les planchers en créant d’énormes béances

( NUAGE TROUE 2016) .
Nous glissons ainsi vers une forme d’abstraction que l’eau qui sort des bouches d’égout accentue ( BOUCHE D’EGOUT 2012).
Une descente fulgurante aux enfers fulgurante avec DE PROFUNDIS en 2016.

L’eau parfois striée de points blancs devient vivace, sans point de départ ni d’arrivée ( CHEMIN DE L’OMBRE 2015). Flux inexorable du temps, flux vers l’invisible… Le Ciel ou l’Enfer ? Les deux sont abymes.
« Ma peinture est avant tout une question » écrit R.Levy.
Question obsédante qui se retrouve dans un autre espace : celui du Trop Plein !
Cette oscillation entre le Vide et le Trop Plein est permanente, sans fin.
Nous sommes dans l’entre-deux d’extrêmes suggérés de manière figurative mais qui tend vers l’abstraction. Le corps humain est pratiquement absent concrètement mais R.Levy précise que la représentation des objets renvoient pour lui à des organes du corps humain : « les bouches d’égout sont comme des nombrils ». Le tracé des objets nous invite à nous plonger dans la salissure certes mais aussi dans les vestiges de l’être humain

Le vertige nous saisit aussi devant le Trop Plein. L’espace est surchargé.
Un fleuve de livres, de tissus, de pots ou chiffons déferle dans les tableaux dits boulimiques. ARRIVEE 2018, TRANSMISSION 2018-19, 13000 PAGES, BABEL1 en sont l’illustration, avec une alternance entre couleurs vives et ternes.
Un fleuve de sang rouge ou jaune de cadmium nous saisit. La dimension corporelle resurgit à travers les traces rouges qui peuvent nous faire songer aux règles féminines sortant avec violence du vagin.
La matière s’anime sous le pinceau du peintre, ses couleurs pures et ses pigments vifs. Nous sommes confrontés à l’essence pure de la matière à travers les tableaux mais aussi les gravures que l’artiste a offert à la Fondation.

Dans une même salle nous percevons deux tableaux antinomiques : anorexie du Vide / Boulimie du trop plein.
Ces deux extrêmes nous renvoient à la prise de conscience d’un manque à être, d’une montée d’un désir très vite assouvi et qui revient tristement à un niveau zéro. Bien sur nous pouvons percevoir une critique de la société consumériste. Mais n’existe-t-il pas un au-delà de cet univers endolori ?
Un espace fondé sur le 3 se crée. Bien sur la triade peintre/œuvre/spectateur.
Mais au-delà de cette triade nous voguons vers un espace qui dépasse la fuite du temps. Les extrêmes sont réunis dans notre miroir personnel : l’éternité de l’instant, de la Beauté, l’unité de l’ambivalence, apparent paradoxe.
La prise de conscience d’un chaos à double facette nous fait dépasser une opposition qui devient complémentarité et peut nous mener comme la cohabitation nécessaire de l’ombre et de la lumière vers une possible unité…

L’éternité est une sortie du temps caractéristique de l’œuvre d’art qui transforme selon le mot du poète « la boue en or »
Nicole Deleu
20/01/2020
Exposition du 7 décembre 2009 au 8 Mars 2020
Fondation MAEGHT , Saint Paul de Vence