Questions à Régis Rizzo – Brisages – Galerie Depardieu – Nice
La Galerie Depardieu à Nice présentait jusqu’au 2 juillet une série d’œuvres de Régis Rizzo intitulée Brisages, peintures de visages en filigrane réalisées sur des éclats de vitrines brisées lors de mouvement sociaux. Pour mieux saisir les motivations qui animent cet artiste né en 1967 aux Lilas, en Seine-Saint-Denis, et qui travaille à La Ruche à Paris, nous lui avions posé quelques questions dans le cadre de cette exposition.
Catherine Mathis : Quelle est la genèse de votre parcours ? Comment et pourquoi avez-vous décidé de devenir artiste ?
Régis Rizzo: J’ai grandi entouré d’œuvres d’art et près d’artistes car mon père est peintre et était aussi affichiste (du PSU). Il y avait donc souvent des artistes à la maison et des œuvres et des affiches sur les murs.
L’art est vite devenu un moyen d’expression naturel, plus simple pour moi que l’expression des émotions par le langage ou par le corps.J’ai donc fait deux écoles d’art (ENSAAMA et Beaux-arts de Paris), j’y ai pratiqué la fresque, la gravure et la peinture.
Le sentiment d’être artiste remonte à cette époque mais n’est pas une décision clairement située dans le temps. Je me souviens de moments importants comme de la visite de grandes expositions au début des années 90 qui présentaient des artistes alors émergents, très picturaux, matiéristes et pour certains d’entre eux lyriques. J’avais déjà commencé à utiliser de la terre sur de grandes peintures et, confronté à leurs grands tableaux, j’ai été désireux d’aller plus loin !
C. M. : La peinture est-elle votre médium de prédilection et si oui pour quelles raisons ?
R. R. : Oui, la peinture est mon médium de prédilection comme elle me surprend toujours en regard de l’ambition (du projet) initiale. La peinture n’est pas l’enregistrement objectif du monde, elle opère un pas de côté par rapport à la perception commune. Le processus de création est important en tant qu’il fait surgir quelque chose qui était latent.
C. M. : D’une manière générale, dans votre travail, quelles sont vos sources d’inspiration ? Est-il en lien avec les autres arts, musique, littérature, l’actualité… ?
R. R. : Dans mon travail se trouvent des éléments de l’histoire du temps présent : histoire sociale, politique, urbaine, cinématographique et bien sûr histoire intime. J’essaye de reconsidérer les images qui m’entourent. Le sujet n’est plus l’image dont je peux m’inspirer mais sa trace, son souvenir et les matières qu’elle suscite en contrepoint.
C.M. : Ici, à Nice, à la Galerie Depardieu, vous nous donnez à voir des œuvres de la série Brisages réalisées sur des éclats de verre ramassés par vos soins après des manifestations. Il s’agit donc de débris de vitrines cassées qui témoignent d’une révolte, d’une exaspération sociale. Pourquoi le choix de ce support ?
R. R. : C’est le support qui m’a choisi ! Et bien sûr l’évènement qui l’a produit. On pourrait dire que le geste important dans cette série procède du collage/montage de deux éléments (qui ont un statut différent), l’humain et le matériau-témoin. Ces Brisages sont le produit de ces deux éléments ; ce produit est plus que la somme des facteurs. Cette association féconde va au-delà de la représentation sur un support inattendu. Le verre brisé glané dans la rue n’est d’ailleurs plus simplement un support puisqu’il existe en amont de la volonté de représentation, même partielle, du visage humain. Il est la source de la représentation, il la suscite.
C. M. : Quels autres supports expérimentez-vous ?
R. R. : J’utilise souvent lors du processus pictural une forme d’estampage appelée monotype. Cela consiste à peindre sur une matrice en verre puis à estamper la peinture fraiche sur le support papier ou toile. Pour faire une empreinte on peut utiliser différents supports lisses – verre, plexiglass – qui peuvent changer de statut et passer de matrice vouée à la destruction à celui de travail artistique qu’on peut garder.
Sinon, j’ai utilisé le bois brûlé, je peignais pour ainsi dire avec un chalumeau en masquant des zones à l’aide de terres argileuses. J’ai fait une série de peintures d’objets avec des matériaux divers assemblés sur bois (métal, isorel, plastique, feuilles de bitume destinées à l’isolation, montés sur bois). Et aussi la toile brute ou les affiches de métro.
C.M. : Dans vos peintures, de manière récurrente, des visages apparaissent en filigrane, faisant du tableau et selon le support, une sorte de palimpseste. Pouvez-vous nous préciser ce que vous cherchez à signifier ainsi ?
R. R. : Ce sont des visages et aussi des corps. J’utilise volontiers le terme “figures” qu’employait Francis Bacon
L’utilisation de résines colorées, le recouvrement et le raclage de la couche picturale contribuent à troubler la perception de la figure qui semble moins un portrait que la trace de l’être.
La figure nous permet de nous projeter de manière narrative dans une peinture. Cela ouvre un espace fictionnel proche du cinéma et le regardeur peut déployer un récit personnel et subjectif.
C. M. : Avez-vous des projets en cours ou à venir ?
R.R. : Je travaille en ce moment sur un projet de céramique donc avec de la terre. C’est passionnant ! Dans mon travail, le modelé de la figure est plat et là, il s’agit de l’exprimer en volume mais pas tout à fait : il s’agira en quelque sorte de bas-reliefs.
Je montrerai ce travail lors d’une prochaine exposition à la Ruche.