Brèves de lecture

Pour une critique d’art engagée

Dans cet ouvrage érudit, Dominique Berthet convoque les plus grands critiques d’art de l’histoire et décortique leur manière de commenter les œuvres d’art de leur époque.

– Gotthold Ephraim Lessing (1729-1781) dans son ouvrage majeur Laocoon remet en cause la doctrine de l’ut pictura poesis, théorie datant de l’antiquité qui prétendais faire « de la poésie une peinture parlante et de la peinture un poème muet »… En soulignant la la division entre beaux-arts et poésie il dote la critique de nouveaux critères de jugements. Notamment, il montre que les arts plastiques peuvent transformer la laideur naturelle (issue de la souffrance) en beauté artistique…

– Denis Diderot (1713-1784) est considéré comme le fondateur de la critique d’art sous sa forme moderne. En 1759, il se lance dans un nouveau genre littéraire, la critique d’art sous forme épistolaire. « Doté d’un tempérament de créateur, il porte sur les œuvres d’art un regard exigeant, vivant, imaginatif ». Il se prononce sur ce qui lui semble beau et laid. Pour lui l’émoi du spectateur permet de dire si l’œuvre est réussie ou non. Il parle à la première personne, il prend partie, juge, critique, sermonne ou complimente, bref il s’engage…

– Charles Beaudelaire (1821-1867) tente une approche singulière et novatrice de l’œuvre d’art en faisant émerger une pensée esthétique autonome échappant à certaines normes d’expression.

Reprenant d’abord la méthode de Diderot il s’en éloigne en cherchant à élaborer une philosophie de l’art à partir de l’actualité artistique, relayée dans les journaux de l’époque dont les lecteurs sont friands.Critique sévère, choix radicaux, il construit une esthétique précise et rigoureuse sans craindre les réactions…

– Erwin Panofsky (1892-1968) tente de répondre, avec une approche sociologique, à des problématiques directement issues de l’histoire de l’art traditionnelle. Cela représente un apport considérable dans la méthode interprétative. Il distingue trois niveaux d’analyse : Pré-iconographique, iconographique et iconologique, trois étapes nécessaires à sa méthode.

Une méthode qui toutefois, exclu les œuvres non figuratives…

– Pierre Francastel (1900-1970) dans son ouvrage la réalité figurative puis dans Etudes de sociologie de l’art a préparé la voie d’une véritable sociologie de l’art. « Une œuvre d’art n’est jamais le substitut d’autre chose ; elle est en soi une chose, simultanément signifiante et signifié »

Il précise néanmoins que la sociologie de l’art à cette époque, n’est pas une discipline ayant atteint un haut degré de maturité.

– Walter Benjamin (1892-1940) Etudie Beaudelaire en détail. Il soutient avec succès sa thèse sur le Concept esthétique dans le romantisme. En 1935, il rédige l’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique. Son activité de critique s’inscrit dans un contexte de bouillonnement intellectuel très politisé. Il introduit la notion d’aura qui selon lui est atteinte lorsque l’œuvre est reproduite. Toutefois, il note qu’avec leur reproduction, les œuvres d’art pénètre dans les masses…

– Jean-Paul Sartre (1905-1980) déclarait vers la fin de sa vie que les différents textes qu’il a consacré à tel ou tel artiste formaient un ensemble de thèses sur la peinture, la sculpture et la musique, donnant lieu à une esthétique où la littérature devait être en relation avec les autres arts. Ecrivant sur les artistes du XX° siècle, il nous fait partager ses propres plaisirs esthétiques avec une grande qualité d’écriture.

La question est de savoir ce qui relie les artistes du point de vue artistique et esthétique.

Sartre a écrit sur des artistes qu’il connaissait et dont il appréciait les œuvres. Une relation privilégiée qui lui permettait de vérifier la justesse de ses interprétations. Pour lui, en écrivant, en peignant, l’écrivain, l’artiste s’engagent. Mais ce n’est pas un engagement politique. « le peintre qui veut faire un tableau communiste est un mauvais peintre » mais la valeur politique d’une œuvre peut être donnée de l’extérieur, du dehors… « la peinture est une voie de grande communication ».

Il distingue néanmoins la prose « qui dispense un message ce qui n’est pas le cas de la poésie ou de la peinture ».

Son goût pour l’abstraction et le matiérisme n’exclue pas ses autres intérêts pour des artistes aux pratiques très diverses.

L’art est un appel et la réponse est infinie.

A l’engagement de l’artiste, doit répondre l’engagement de celui qui écrit sur lui.

Dans les derniers chapitres, Dominique Berthet nous donne par petites touches, en citant nombre d’auteurs contemporains, sa conception de la critique d’art et de la manière dont le critique doit s’engager. Doit-il dire la « vérité » sur l’œuvre ? La vérité de l’œuvre ?

Il rappelle que la post-modernité a entraîné un changement de perspective qui oblige à reconsidérer les critères qui permettent de juger l’art contemporain. Il rappelle la querelle qui, ces dernières décennies, opposent les détracteurs et les défenseurs de l’art contemporain.

Faire de la critique c’est prendre des risques…

Laissons chaque lecteur cet ouvrage passionnant découvrir le rapport à l’œuvre, la rationalité et le plaisir qui sous-tendent la critique contemporaine…

« l’oeuvre est une énigme qui incite à le réflexion, invite à l’immersion et suscite la pratique d’une infinité de commentaires ». « La critique est une création et un engagement qui répondent et font suite à la création et l’engagement de l’artiste ».

Christian Depardieu

Dominique Berthet, Pour une critique d’art engagée, série Arts vivants, Ouverture philosophique éditions l’Harmattan.

En couverture : Christian Jaccard Pics de croissance BRN 031 – 2001 brûlis et encre sur toile 194 x 195 cm.