Nicolas RICHARD et Alain SNYERS chez VROUM (Rennes)

Reçu dans une grande enveloppe noire : en jaune, « Micro gestes » d’Alain Snyers, et en vert « Commentaires » de Nicolas Richard. Hélas, je suis un vieux conservateur coriace ! S.V.P. ne dérangez pas mon sommeil rêveur ! Risque me mettre de mauvaise humeur, avec malgré tout envies de rires.

Les « Micros gestes » me paraissent énormes et lourds, pires que pouvait être Serges III ses jours sombres de mauvais vins… Mais lui, côté anar, gardait tout de même contestation, controverse, ironie, ou…. Humour noir peut-être ? Tandis qu’ici nous sommes dans des gestuelles pesantes plutôt qu’en un gracieux port de bras de ballerine … Danse d’ours plus que Lac des signes… (ni même Cygnes). Il existe une lisière immatérielle comme le long des rivages les chemins des douaniers, avec d’un côté les risques de la liberté des mers, de l’autre la ferme pesanteur enrochée des terres. Dada, le Surréalisme, Fluxus et les nombreux rêves du vingtième siècle ont chacun déposé leurs fines couches de variables poussières. Je lis ici des ordres, actes obligés, dictatoriales ordonnances tendances Ben ou Klein : oui pareil à l’Yves qui croyait en l’or valeur absolue, et qu’il existe un bleu matériel, une poudre marchande, alors que sa poudre varie de couleur selon la lumière qui la montre. Il y a du bleu, des bleus, pas un bleu qui serait absolument Le Bleu. Les couleurs se déplacent ainsi que les marées, que le temps, ou les étoiles. Comme la mer joue des milles variations selon le ciel et ses nuages.

On n’exécute pas, on interprète. Interpréter : changer de langue, ou mieux, de langage… On n’est pas être. On existe. Ou on est mort. Mais oui, un coup de tête, un coup de pied, un coup de dé jamais n’aboliront les hasards. Le hasard, disait Cournot, « rencontre de deux séries causales indépendantes ». Pourquoi c’est moi, pourquoi c’est toi, pourquoi c’est ici, ou bien c’est là. Rencontre de deux séries causales rencontrées avec deux autres séries causales… rencontres de rencontres… Foule. On en perd la tête. « Toute pensée émet un coup de tête » écrit, optimiste, N. Richard. Je dis que coup de marteau contre tête émet surtout les ténèbres. (Émet, pas aimait : pas enregistrer, interpréter.)

Passons donc au livre vert gazon de N.R. Profitant de l’ouverture (d’esprit) des éditions Vroum, Nicolas Richard propose (j’invente) un Nouveau-nouveau-roman… L’anecdote par bribes comme philosophie attestée par Hegel… (Georg Wilhelm Friedrich. Prénoms que je n’ai possiblement pas connus – ou vite oubliés ?) Le monde qui (et pourtant il tourne) dépend d’un coup de dé, ou de tête, ou de ciseaux, ou coups de pieds pour peu qu’il soit gonflé ballon. Faire avec des morceaux, dur problème : « comment coudre tout ça ensemble pour que ça tienne » m’écrivait Michel Butor.

On ouvre « Commentaires » (Editions Vroum, Rennes 2022) sur le plan d’un stade, les équipes dispersées face à face sur la surface, saufs les surfaces dites de « réparations » : nous pensons donc que rien n’est encore cassé. Ne pressons pas, ça viendra : opposer Marcel Mauss et Claude Lévi-Strauss à Guy Debord et Pierre de Ronsard, ça cause plusieurs langues, même si tout se dit être en français !

L’image de ce terrain de foot est intrigante : Hannah Arendt et Sigmund Freud erraient-ils dans ou autour du même cercle ?

Quoi qu’il en soit, je préfère Stéphane à Z.Z. – Mallarmé avait incontestablement meilleure tête ! D’où question philosophique fondamentale : « Quelle serait la place de Mallarmé ? » sur ce terrain.

Football : Accumulations de banalités à l’intérieur d’un rectangle. Ne compte que l’intérieur et, paradoxe, un peu parfois la marge. Bandes limites blanches. Cartons jaunes ou, moins souvent, rouges. Le règlement c’est le règlement. Sauf si c’est la main de dieu… Évidemment, comment contester si on admet dans l’une des équipes un douzième acteur avec Le Pouvoir de Super Arbitre ? Le droit de tricher. 1986, le butteur défaillant invente « la main de Dieu ». Jadis on parlait de fair-play. Jeu loyal, jeu honnête. Jadis on disait « Le rugby : jeu de voyous joué par des gentlemen. Le football : jeu de gentlemen joué par des voyous… » Ils roulent sur le gazon mortellement blessés… et la minute suivante courent comme des lièvres après le ballon. « Le dribble est hégélien » (Je cite). Alors, si le fouteubole explique la marche du monde… Moi, – un qui ne regarde le match que d’un œil, l’autre à la (re)lecture de Rousseau, les premiers chapitres des «Confessions», comédie en plusieurs actes que je redécouvrais – j’avoue que j’avais oublié combien ce monsieur était un ridicule « enfant-gâté-moi-je-n’importe quoi » !

Quand George Brecht et Robert Filliou étaient à Villefranche-sur-Mer, du temps de « La Cédille qui sourit » (1965 – 1968), Bonifaci, un ex-professionnel international retraité « chez lui » animait l’équipe de Villefranche qui je ne sais à quel niveau s’illustrait… amateur régional. Un jour que nous passions devant le terrain de foot situé juste derrière le monument aux morts devant lequel Robert Filliou m’avait exposé sa proposition d’échange entre les monuments français et les allemands (ils se valent, disait-il) George me confia qu’ils venaient assister certains dimanches aux matchs… Le terrain était davantage terre battue bosselée que gazon… Ils s’amusaient de voir les rebonds imprévus du ballon, appréciant la part de hasard ajoutée aux maladresses des équipes… Peut-être se seraient-ils mieux intéressés aux joueurs s’ils avaient su pouvoir ainsi reconnaître les jeux subtils de Freud, Arendt ou Benjamin, et surtout celui qui comme Brecht (George) jouait de grec à se déguiser en portugais Pessoa. Homère, s’il l’avait eu, en aurait peut-être perdu son latin.

Enfin, tout cela n’est que matière à apprécier, comme la salade (niçoise ou autres) on y mélange à son goût… Huile d’olive ou de noix. Mais huile de moteur vous mettrait en panne.

L’humanité est fort complexe. À mon âge qui commence à être « avancé » dit-on, je continue à l’apprendre. Apprendre un peu, beaucoup, pas toujours passionnément… On fatigue. Hélas, je suis toujours un vieux conservateur coriace! S.V.P. ne dérangez pas mon sommeil rêveur !

Marcel ALOCCO

Nicolas RICHARD, Commentaires, un coup de tête jamais n’abolira le hasard, éditions Vroum, Rennes 2022.

Alain SNYERS, Micro Gestes, éditions Vroum, Rennes 2022.

Diffusion Les presses du réel.