Brèves de lecture

Marc Bélit « Le spectacle au coeur » mémoires d’un directeur de théâtre

Marc Bélit, connu pour ses essais critiques sur la culture, son incursion dans le roman, et quelques autres exercices littéraires, nous propose aujourd’hui des « mémoires », partielles, celles du directeur de théâtre et l’on sait qu’il est et fût aussi bien d’autres choses.


Un livre à la fois intime et « mondain », visitant le monde culturel par une galerie de portraits d’artistes liés à l’histoire d’un lieu: le Parvis, son évolution, ses difficultés et ses satisfactions. qui finira par devenir une Scène Nationale majeure.
Comment, pas à pas se construit un espace d’excellence, à la pointe de la modernité, loin des métropoles d’art, en un temps où cet écartement n’était pas courant, ni forcément un avantage, dira-t-on par euphémisme: le livre relate certaines anecdotes attestant de cet ostracisme ordinaire. Province éloignée, supermarché, les mots résument « l’inconvenance » à un moment où la consommation figurait un des
principaux diables.

Il s’agit, en filigrane, d’un récit initiatique, de l’histoire d’un homme, par touches nuancées, où l’ordre alphabétique télescope les temps, les réflexions, les sentiments: l’auteur est philosophe et reste philosophe, et il ne dévoile son intériorité que pour son sens dans sa propre construction et celle de son entreprise. La formule choisie de l’abécédaire pourrait en évoquer d’autres, —le genre a prospéré, sombrant souvent dans la nostalgie—, celui-ci reste singulier par l’ampleur du champ qu’il embrasse, et si le lecteur comprendra bien que le théâtre est son « poteau d’angle » essentiel, la (les) musiques, la danse et tout ce qui s’activait à la recherche artistique, n’y sont point délaissées.
Mais le plus singulier reste ce point de vue qui caractérise son auteur, celui à la fois d’un intellectuel, et d’un entrepreneur, posant son expérience de passeur, en la fine discrétion d’une écriture subtile, maîtrisée et sensible.


Au détour de ces courts textes, chacun mesurera le savoir déployé, en support pédagogique, comme s’il s’agissait encore, parfois quarante après de convaincre le public, le lecteur. Cette mission de partage reste la base de l’aventure de Marc Bélit, son implication majeure au long de sa direction du Parvis.


À quelques nuances près, cet abécédaire retrace, du point de vue privilégié du décideur, le parcours vécu par toute une génération, et sûrement bien plus: le bilan, les souvenirs enthousiastes, les déceptions entraînent chacun dans son « je me souviens », rémanence affective, parfois dans le regret de l’ évènement manqué, ou dans celui de ne pas l’y retrouver. Ainsi se joue l’évolution d’une société, d’une génération, à travers quelques repères, quelques espoirs, parfois déçus, d’un monde moderne, cosmopolite et inventif.
Cette diversité résume celle d’une époque durant laquelle la richesse de l’offre relevait de l’incertitude du défrichage et n’était pas celle d’une abondance désormais débordante et, semble-t-il, davantage orientée vers les désirs du public que vers la découverte.

« Avoir vingt ans dans ces années-là, ou bien avoir des responsabilités culturelles et artistiques dans cette période était une chance. Je ne veux pas dire que dans les époques qui suivirent, il ne se passa pas de notables découvertes, mais que la création d’une part et la création de publics pour celle-ci, d’autre part, ont été dans la période deux évènements concomitants d’importance.», dit l’auteur.


L’évolution d’un système, devenu normalisé, par l’économie, par le politique, par une certaine démagogie aussi, fatalement liée à la massification et…de surcroît l’âge peut-être (le nôtre) empêche de retrouver aussi souvent l’adhésion émotionnelle de ces temps-là. D’autres, autrement, poursuivent tout aussi brillamment; mais notre connaissance accumulée oblige désormais la lucidité d’une exigence au-delà de l’enthousiasme momentané, au delà de la surprise de la découverte. Probablement advient un temps de réflexion et par ses livres, Marc Bélit montre avec profondeur et élégance ce passage d’un état à un autre, d’une époque à une autre, sans regret, en observateur engagé, éternel militant de l’élévation par la culture.


Alain Lestié

Marc Bélit
« Le spectacle au coeur »
mémoires d’un directeur de théâtre (éditions Séguier)