Marc Bélit « L’Argentina » roman éditions Atlantica
Second roman de Marc Bélit, auteur évoqué ici plusieurs fois, l’histoire de « L’Argentina » nous est racontée par un cinéaste, plutôt en déshérence, qui hérite d’une ancienne actrice sud américaine: double héritage, d’un appartement à Buenos Aires, et d’une valise de papiers (correspondances, photographies, journal intime de l’héroïne), avec comme condition la dispersion de ses cendres dans en un point précis de l’Atlantique, indiqué dans son testament. Commence alors, d’abord dans un truculent cargo, puis dans la découverte d’une ville, l’aventure d’un double voyage, à la fois autobiographie d’une artiste imaginaire et voyage d’un cinéaste partant à la recherche de son sujet, vérifiant, corrigeant ce modèle.
Double écriture aussi entre ce récit du narrateur et celui de la défunte, dont l’entrecroisement brouille les vérités, réveille des fantômes, des fantasmes aussi.
Ce temps d’une vie de l’actrice traverse les grands moments et bouleversements de l’histoire d’un pays, de la seconde guerre mondiale, du péronisme à la dictature de la junte militaire, leurs cortèges d’ombres, de drames sanglants, qui hantent encore les lieux découverts par le conteur.
On retrouve le philosophe dans l’analyse de ces périodes douloureuses et l’attention aux conséquences des événements, aux séquelles des épisodes, où se construisent les densités de personnages, croisés ou suivis, dans la pluralité de classes sociales et culturelles. Et le récit ne manque pas de péripéties qui retiennent la curiosité et le plaisir du lecteur désireux d’éclaircir tant d’énigmes, de solutionner les tragédies fondatrices.
Voyage géographique et voyage historique donc, rythmés par une une musique douce amère, un ton sans recherche d’éclat ni effet, retenue dans l’élégance d’une pensée de son sujet.
Voyage en culture surtout entamé avec la tournée sud-américaine de Louis Jouvet et qui, après maintes aventures, finira dans milieux des exilés latinos à Paris (tango, Copi, Lavelli et troupe TSE) des années soixante dix, où ils furent, à ce moment, si actifs et créatifs.
Les évolutions du théâtre, (et des arts en général) sont évoquées, en arrière-plan du récit avec la science et l’expérience sensible du passionné entrepreneur de spectacle que Marc Bélit fut, aussi.
Cependant on retient surtout dans ce roman, l’immersion en littérature, cœur du projet de l’auteur. L’écriture, en œuvre, est pour lui « plaisir du texte », plaisir du partage, et résolution d’une prescription de la culture. Mieux, dans le cas de ce livre, de deux cultures, et de leurs correspondances, passerelles et croisements. Grand lecteur de la littérature sud américaine, particulièrement Cortázar ou Bioy Casares, «Pourquoi ces auteurs m’inspirent-ils ? Parce qu’ils font vaciller le réel qui n’est avec eux jamais stable. Dans L’Argentina, je fais moi aussi quelques tentatives d’aller sur ce terrain-là. » dit-il.
Sans céder au foisonnement ou au fantastique de ses références, Bélit réunit par la finesse d’une langue française, (par là posée, fluide, légère et dense), ses constantes préoccupations artistiques, politiques, historiques, non sur le mode du savoir, mais dans l’épreuve, celle de l’endurance de l’excellence d’une culture, et en devoir de transmission.
Alain Lestié