Mal aux mots
« C’est une histoire d’amour qui a mal tourné » dit un fonctionnaire de police après l’interrogatoire. Sébastien est un gamin qui a commis l’irréparable, à peine un adolescent. Le temps d’un face à face dans un bureau, le garçon, un taiseux qui a du mal avec les mots, avec les gens, se remémore une enfance sans amour, hormis celui d’un grand-père invalide, l’abandon par des parents qui ont trop à faire avec leur négoce et peu de temps à consacrer à un enfant dont ils se sont débarrassés auprès d’un établissement spécialisé où viennent s’échouer ces enfants hors-normes que l’on a tant de mal à comprendre et qui semblent ne rien vouloir, ne rien attendre. Le lot quotidien de cette enfance-là, c’est la violence, la haine. Reviennent quelques bouffées de tendresse, d’amitié, et de rares moments de rêverie. Une rêverie indicible : « les mots s’étouffent dans la gorge ».
Jean-Pierre Spilmont conduit un récit percutant où se croisent – en des lieux qui sont presque tous des lieux de malheur – l’actualité et le passé proche et celui plus lointain de la guerre d’Algérie. Au cœur du livre, un rapport de psychologue, figé autour d’un poncif (« une très image mauvaise qu’il a de lui-même »). Mais comme le montre l’auteur, Sébastien voit clair dans les jeux d’adultes ou d’adolescents souvent méprisables, indifférents, voire brutaux, cruels. Sébastien aime et voudrait qu’on l’aime. Il ne supporte pas l’injustice infligée à autrui. Cela peut le conduire aux pires violences mais il est sensible à la douceur des mots, des noms.
L’auteur prend le relais de celui dont il est dit dans le rapport : « ses niveaux de connaissances lexicales sont globalement déficitaires ». La langue du texte est souvent crue et, par le moyen de phrases sans fioritures, incisives, qui vont à l’essentiel, conduit le lecteur au bord des larmes sans jamais toutefois verser dans le pathos et la sensiblerie. Sébastien, un beau livre qui donne à entendre une voix même quand « la nuit, la ville avale les bruits à cause de tous les autres bruits. Ou bien parce que, dans une ville, personne n’écoute. »
Marie Jo Freixe
Jean-Pierre Spilmont, Sébastien, éditions de la Fosse aux Ours.