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Les films de la Compétition au Festival de Cannes 2024, tradition et audace

La sélection des films en compétition au 77eme Festival de Cannes qui se déroulera du 14 au 25 mai prochain vient d’être dévoilée. Les vingt trois films choisis (1) proviennent de quatorze pays différents. Quatorze sont issus d’Europe dont la moitié de France, quatre d’Asie et cinq d’Amérique du Nord et du Sud. Ils ont en commun une exigence artistique élevée et la volonté de porter un message universel.

L’édition 2024 de la compétition cannoise mise sur son réservoir naturel : les cinéastes familiers de Cannes.

Sur vingt deux films en lice pour la Palme d’Or, quatorze ont été réalisés par des cinéastes ayant auparavant participé à celle ci, cinq ont jadis connu d’autres sections cannoises in ou off ou ont été hors concours. Seuls trois cinéastes sont débutants à Cannes dont deux femmes.

Un nombre réduit de réalisatrices : six en 2022, huit en 2023, quatre en 2024

Coralie Fargeat, présentera « The Substance » : « une vision explosive et féministe de l’horreur corporelle ».

Diamant brut d’Agathe Redinger

Le premier long métrage d’Agathe Redinger, « Diamant brut », décrit la vie de Liane, jeune fille de Fréjus fascinée par la télé réalité. Liane est proche de Bailey, une adolescente du nord du Kent livrée à elle-même, héroïne de « Bird » de la Britannique Andrea Arnold.

Toute une nuit sans savoir de Payal Kapadi Copyright Norte

L’Indienne Payal Kapadia est l’autrice de « All We Imagine as Light ». En 2021, son long-métrage, « Une nuit sans savoir », avait été récompensée à la Quinzaine des réalisateurs par le prix du documentaire. Son dernier opus est une fiction traitant de la difficulté, pour une jeune femme indépendante, d’avoir une vie sexuelle dans la société indienne contemporaine. Depuis 1994, aucun film indien n’avait été en sélection officielle. Le précédent, c’était « Destinée » (Swaham) de Shaji N. Karun.

Le retour sur la croisette d’une légende et d’un pilier d’Hollywood

La sélection 2024 est considérablement rajeunie. Les cinéastes de plus de quatre-vingt ans ont déserté la Croisette. Seuls subsistent trois vétérans ayant, à des degrés divers, marqué l’histoire d’Hollywood.

David Cronenberg reste fidèle à son inspiration funèbre dans « Les Linceuls » où il est question de communication entre les vivants et les morts.

Megalopolis de Francis Ford Coppola Copyright Le pacte

Francis Ford Coppola n’a pas fini de nous étonner. A quatre-vingt cinq ans, après une interruption de treize ans, il retrouve le chemin des studios et de Cannes où il présentera « Megalopolis », récit de science-fiction. Dans un New York dévasté s’opposent un architecte idéaliste et un maire corrompu. Pour réaliser ce film, d’un coût de plus de 100 millions de dollars, il a engagé sa fortune personnelle et fait appel à la génération d’acteurs d’aujourd’hui (Adam Driver ou Shia Labeouf) ainsi qu’à celle d’hier (Jon Voight ou Dustin Hoffman).

F.F. Coppola récompensé par deux Palmes d’Or en 1974 et 1979 démontre qu’il a gardé vivace son goût du risque et son appétit de conquête.

Oh, Canada de Paul Schrader Copyright Foregone Film PSC Stars Jacob Elordi

La dernière participation à la compétition du scénariste et réalisateur Paul Schrader date de 1988 pour « Patty Hearst ». Il revient avec l’adaptation de l’ultime roman de Russell Banks, « Oh Canada » dans lequel un vieux cinéaste, au bord de la mort, reçoit des journalistes venus l’interviewer. Au lieu de leur raconter des anecdotes sur sa longue carrière, il se livre à une amère confession de toutes les fautes qu’il a commises vis à vis de ses épouses successives.

Un renouvellement des thèmes et des genres

Si les cinéastes en compétition nous sont familiers, les thèmes et les genres abordés ne sont pas toujours ceux que l’on attendait d’eux.

The Apprentice d’Ali Abassi Copyright Scythia Films Stars Sebastian Stan, Jeremy Strong

Ali Abassi, cinéaste danois est d’origine iranienne. Après « Les Nuits de Machhad » en 2022 sur les méfaits d’un tueur en série dans la ville sainte chiite, il s’intéresse dans « The Apprentice » aux relations entre le jeune Donald Trump et son avocat Roy Cohen.

Deux auteurs français ont choisi de réaliser une comédie musicale, domaine où notre cinéma a peu brillé depuis les films de Demy et Legrand.

Jacques Audiard, après un film sentimental aigre-doux, « Les Olympiades » (2021), aborde avec « Emilia Perez » la comédie musicale sur un fond de polar dont l’héroïne est une avocate confrontée à un chef d’un cartel de la drogue.

Emilia Perez de Jacques Audiard Copyright PAGE 114 – WHY NOT PRODUCTIONS – PATHÉ FILMS – FRANCE 2 CINÉMA – SAINT LAURENT PRODUCTIONS

Gilles Lellouche réalise avec « L’Amour ouf » un mélodrame musical racontant les amours contrariés de deux personnages issus de milieux sociaux différents. Comme pour « Le Grand Bain », (2018) il n’a pas lésiné sur la distribution des rôles. On y verra notamment Adèle Exarchopoulos, Alain Chabat, Jean-Pascal Zadi, Benoît Poelvoorde, Vincent Lacoste et Élodie Bouchez.

Après avoir touché à tous les types de comédies, Michel Hazanavicius propose un film d’animation tragique, « La plus précieuse des marchandises », d’après le conte de Jean-Claude Grumberg». Cette marchandise est un bébé que ses parents ont jeté d’un train pour Auschwitz afin de le sauver de la mort. Il est recueilli par une bûcheronne polonaise.

Un metteur en scène exilé, un auteur empêché, un contestataire rangé et un artiste déconcertant

Limonov, la ballade de Kirill Serebrennikov Copyright 2024 – Wildside, Chapter 2, Pathé Films, Fremantle España, France 3 Cinéma

Depuis 2016, le Russe Kirill Serebrennikov a participé à presque tous les Festivals de Cannes. Il présentera son biopic « Limonov – The Ballad ». Cet écrivain et agitateur décédé en 2020 a été tour à tour voyou à Kharkov, poète underground et clochard à New-York, habitué des salons parisiens, mercenaire en Serbie, puis peu de temps avant sa mort chef d’un parti nationaliste à Moscou. Nous sommes curieux de savoir ce que l’exilé et opposant qu’est Serebrennikov a retenu de l’itinéraire de son compatriote.

En 2020, le cinéaste iranien, Mohammad Rasoulof, avait obtenu l’Ours d’or à Berlin pour « Le diable n’existe pas », dénonciation de l’usage de la peine de mort dans son pays. Depuis, il a connu à Téhéran toutes sortes de persécutions (prison, interdiction de filmer et de quitter le pays, etc.). Cela ne l’a point empêché de réaliser « The Seed of the Sacred Fig ». Nous ne savons rien de son sujet et ignorons si son auteur sera présent lors de sa projection.

Caught by the Tides de Jia Zhang-Ke Copyright Ad Vitam

Jia Zhang-Ke, figure de proue du cinéma chinois est bien connu à Cannes où la plupart de ses films ont été présentés en compétition, le dernier étant « Au-delà des montagnes » en 2015. Jadis, il a été souvent en délicatesse avec les autorités de son pays. Aujourd’hui il est député à l’Assemblée nationale populaire. A-t-il gardé son mordant et son franc-parler ? On le saura en découvrant sa dernière œuvre, « Caught by the Tides », récit d’un amour entre deux jeunes gens contrarié par la perpétuelle recherche d’un nouveau travail mieux rémunéré.

Miguel Gomes est, pour la première fois, présent en compétition avec « Grand Tour ». On avait retenu de ses précédents films son goût pour les épopées sociales contemporaines, « les Mille et Une Nuits » (2015) et les récits poétiques, « Journal de Tûoa » (2021). Tous deux ont été présentés à la Quinzaine des réalisateurs. Sa dernière œuvre, qui se déroule en 2017, décrit les pérégrinations de Molly en Asie , à la recherche de son fiancé Edward, fonctionnaire de l’Empire britannique qui s’est enfuit le jour de son mariage.

Une ville, un acteur : deux icônes italiennes

Après « L’Or de Naples » de Victorio de Sica (1954), Paolo Sorrentino rend hommage à sa ville natale dans « Parthenope », prénom de son héroïne et sirène de la Mythologie vénérée dans cette cité. À travers les aventures sentimentales de son personnage née en 1950, le cinéaste déroule une fresque sur la vie de cette ville foisonnante, ensorcelante et toujours mystérieuse.

Parthenope de Paolo Sorrentino Copyright 2024 THE APARTMENT SRL – NUMERO 10 SRL – PATHÉ FILMS

Dans « Marcello Mio », Christophe Honoré filme la fille de Marcello Mastroianni, Chiara, cernée par l’image de son père et qui décide de le faire revivre à travers elle. Elle se fait appeler Marcello, s’habille comme lui et parle comme lui. Son entourage s’amuse d’abord de ce jeu mais commence à s’inquiéter quand il le voit durer. Autour de Chiara, on ne s’étonnera pas de voir Catherine Deneuve, Benjamin Biolay, Melvil Poupaud, Nicole Garcia et Fabrice Luchini. Jouent-ils leurs propres rôles ?

Trois réalisateurs prolixes et trois jeunes pouces

Ce panorama de la prochaine compétition serait incomplet si trois films de réalisateurs remarquables y étaient absents. Leur point commun : un rythme de production effréné.

Le film d’ouverture, « Le deuxième acte », est l’œuvre de Quentin Dupieux. C’est son troisième dans un intervalle de moins d’un an.

Karim Karim Aïnouz, après avoir peint les turpitudes du roi Henry VIII dans « Le Jeu de la Reine », en compétition en 2013 et toujours en salle. Dans « Motel Destino », il décrira celles de la jeunesse dorée du Brésil.

Enfin, Yorgos Lanthimos, dans « Kinds of Kindness » retrouve son actrice Emma Stone, Oscar de la meilleure actrice en 2024 pour son rôle dans « Poor Things » du même cinéaste.

The Girl with the Needle de Magnus Von Horn
Vic Carmen Sonne in The Girl with the Needle (2024)
PersonnesVic Carmen Sonne
TitresThe Girl with the Needle
© Lukasz Bak

Le Festival de Cannes accueille trois jeunes réalisateurs représentatifs d’un cinéma intéressé par le réel.

« The Girl with the Needle » du suédois Magnus Von Horn, est l’histoire vraie de Dagmar Overbye, meurtrière de nourrissons dans le Copenhague des années 1910. On avait découvert ce cinéaste en 2015 à la Quinzaine des réalisateurs grâce à « Le Lendemain » dont l’argument était le retour d’un ex-prisonnier au village où il avait commis un meurtre, plusieurs années plus tôt.

3 kilomètres jusqu’à la fin du monde d’Emanuel Parvu
Copyright Memento Distributio

Aucun des films du jeune réalisateur roumain Emanuel Parvu n’avait été auparavant sélectionné à Cannes. La présence en compétition de son dernier long métrage, « Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde » est donc un événement qui mérite d’être souligné. Dans ce dernier, il est question de la découverte de son homosexualité par un adolescent d’un village du delta du Danube.

Anora de Sean Baker Copyright FilmNation Entertainment

Sean Baker est un cinéaste et acteur américain que l’on avait découvert lors de la Compétition 2021 avec « Red Rocket », chronique du retour au pays natal d’une star du porno. Dans sa dernière œuvre, « Anora », l’héroïne est une travailleuse du sexe, exerçant son métier entre New York et Las Vegas.

Un examen attentif des principaux films de cette sélection fait donc apparaître une grande diversité de thèmes et de genres. C’est le résultat d’une sélection audacieuse et ouverte qui permettra certainement la consécration de nouveaux talents.

Bernard Boyer

(1) Vingt-deux en compétition et un, hors compétition