Brèves de lecture

« L’art cont. », Dieu et nous

Lorsque l’on voit à l’étal de son libraire la couverture d’un nouveau livre intitulé Manuel de résistance à l’art contemporain, on se précipite dessus comme sur un fondant au chocolat en se disant : « Qu’est-ce que je vais me régaler ! ». Hélas, il faut le dire d’emblée, la déglutition s’est avérée plus difficile que prévue. D’abord parce que le rêve qu’implique le mot « résistance » est loin de nous embarquer – même sur le mode fantasmatique – vers une époque plus guerrière où le peloton d’exécution serait la promesse faite aux « collaborateurs », ceux que notre fantasme désignerait justement comme les thuriféraires de l’A.C. (acronyme employé par Christine Sourgins (1) pour désigner l’art contemporain. Permettez-moi, moi d’utiliser le diminutif « art cont. » qui a au moins l’avantage explicite de renvoyer aux contenus de la plupart des productions d’aujourd’hui, et fermons la parenthèse), que ce mot « résistance » donc, se dilue en fait dans une multitude de considérations parfois étranges, mais souvent mal digérées. Il faut dire que notre auteur n’est pas un spécialiste de « l’art cont. », ni même de l’art tout court d’ailleurs, comme l’indique en frontispice sa (longue) biographie du genre : « guide Paucard des filles de Paris », « célébration du whisky », « le cauchemar des vacances » et autres « éloge du cul », etc. Toutefois c’est à cause de cela même qu’il faudrait s’interroger sur le contenu de cet ouvrage comme étant le reflet de l’opinion d’un spectateur moyen, « lambda », face à ce qui, nous, nous dérange aussi.

L’impasse de Dieu

Sur la forme, l’étonnant c’est qu’il fasse appel à une kyrielle de noms venant des arts plastiques mais aussi des arts décoratifs, la plupart du temps des seconds couteaux oubliés (mais pourquoi pas ?), avec des exemples inattendus, voire troublants, qui parfois, même, ébranlent nos certitudes balisées. Quant au fond, face aux aberrations de « l’art cont. », mais à l’aune des réponses qu’apporte ce genre d’ouvrage « lambdatesque », il est important de voir en quoi nous autres, aussi contempteurs de cet « art cont. » mais d’une autre idéologie, sommes en porte à faux vis-à-vis d’analyses qui n’envisagent bien sûr jamais le rôle des classes sociales et du capitalisme et qui sont, de fait et parfois explicitement comme ici, réactionnaires et catholiques traditionalistes.

Car si nous ne pouvons qu’être d’accord avec notre auteur, amateur de joie de vivre, lorsqu’il dit que ­[ « l’art cont. » c’est] « arnaquer le gogo à l’aide d’un discours et provoquer le suivisme des masses sous peine de passer pour un ringard », nous ne pouvons l’être lorsque, par exemple, il fait des parallèles douteux entre systèmes de guerre et système de valeur artistique (« un urinoir ou un porte bouteille [après 14-18] dont la cote monte en même temps que le nombre de morts et des blessés après une offensive »), toute analyse matérialiste et socio-politico-culturelle étant évidemment écartée d’un coup de plume. Ou lorsqu’il fait remonter tous les maux actuels à Dada (qui a « préparé le décervelage actuel »), avec la même remarque que précédemment. Mais surtout, lorsque face à ces déviances supposées, notre « hauteur » (mais lui comme beaucoup d’autres de sa classe) voit un art qui serait un « art en soi », ou ailleurs un « art authentique ». Des expressions plusieurs fois répétées dont on comprend seulement vers la fin du livre de quoi il s’agit. L’art « authentique » serait celui qui se ferait « par la métaphysique, c’est à dire par le grand secret qui mène à Dieu », ou encore plus loin, lorsque « le créateur prend un peu du Créateur (et qu’il) bénéficie d’une largesse de Dieu ».

Un art d’artistes

Aussi, il faut le dire et le répéter bien fort, en cette époque où les lois de la République laïque (loi de 1905) sont de plus en plus bafouées (certes essentiellement par des islamistes – mais pas seulement, nous le voyons ici) les relents déistes, dans la société civile comme en art, sentent les remontées d’égouts de la droite la plus pieuse et donc la plus réactionnaire. Nous n’avons donc pas à aligner nos positions esthétiques sur ces gens là.

Bien sûr, ,l’art contemporain, ce n’est pas seulement les colonnes de Buren ou les chevaux accrochés par une patte de Maurizio Cattelan, c’est-à-dire tout ce qui forme la panoplie de mode(s) de cet « art cont. » que nous combattons. Pour nous, l’art contemporain c’est aussi le travail d’artistes en grand nombre qui créent obscurément au fond de leurs ateliers et dont la plupart se fichent pas mal de(s) dieu(x). Et qui expriment la condition de l’homme d’aujourd’hui, l’état de la société où il vit, avec leurs rêves, leurs fantasmes, voire leurs dérèglements. Des artistes qui créent avec leurs tripes, leur cerveau, leurs mains, etc., des artistes qui sont souvent loin de ces modes et donc souvent loin des lieux de prestige qui, justement, fabriquent cette entité abhorrée par de plus en plus de monde qu’est devenu « l’art cont ».

Mais en aucun cas, sous prétexte de s’accorder avec les pseudo-critiques de ces contempteurs de « l’art cont. » nous ne nous alignerons sur des idées qui, en pleine harmonie avec certaines aristocraties, théocraties, etc. constituent, en fait, une idéologie ultra-droitière. Face à cela, il serait temps que nous construisions notre propre analyse – matérialiste – de ce nouveau phénomène de société qu’est devenu en effet l’art contemporain.

Francis PARENT

Alain Paucard, Manuel de résistance à l’art contemporain, Jean-Cyrille Godefoy, 2009.

(1) in Les mirages de l’art contemporain, La Table ronde, 2007.