Architecture/design

L’Architecture Radicale

L’Architecture Radicale a représenté l’une des périodes les plus significatives dans le grand renouvellement des langages de l’architecture, de l’art et du design, qui s’est manifesté aux débuts des années 60. Cette période, qui se caractérise de plus en plus comme la Seconde Avant-garde du XXème siècle ou Avant-garde de la Quantité, trouve aujourd’hui sa juste place historique comme témoignage, de la grande dissolution des langages qualitatifs, qui caractérisaient la culture du deuxième après-guerre et de l’émergence de ce nouveau savoir qu’est la Physique Quantique. Après avoir provoqué l’explosion des villes et misé toutes ses cartes sur la programmation autant que sur la préfabrication, l’architecture se trouvait aliénée, isolée et asservie à un système qu’elle croyait pouvoir renverser, mais qui ne lui laissait en réalité pas d’autre chance que l’objet à bâtir, à réaliser.

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Avec des mouvements artistiques tels que les Happening & Fluxus, le Nouveau Réalisme, le Pop Art, l’Aktionismus, le Minimal Art, l’Art Conceptuel, l’Arte Povera, le Land Art, le Body Art, etc. L’Architecture Radicale a marqué la grande révolution des langages de « sortie » du tableau, de la « toile », de la « surface », par conséquent, dans le corpus architectonique, de la « mise en projet ».

En recueillant l’héritage conflictuel de l’avant-garde historique tout en se présentant en même temps comme leur continuité, ces poétiques procèdent à la dissolution de toute opposition essentielle entre l’art et son « autre », entre vérité et histoire.

Ainsi, l’art n’est plus une alternative au monde de l’économie et la valeur artistique ne veut plus être en contradiction avec sa valeur d’utilisation. La dimension tautologique de l’art, qui s’anéantit comme produit pour devenir seul comportement, reflète la dimension de la matière quantique. En ne garantissant plus l’indépendance de l’objet par rapport à l’observateur, celle-ci révèle ce nouveau statut de l’œuvre qui existe à travers l’acte d’observer. L’art devient ainsi document, expérience, parcours, renseignement, déplaçant le problème de la valeur du domaine esthétique à celui de l’éthique.

L’Architecture Radicale, lorsqu’elle se définit comme moment critique à travers la formulation d’images analytiques plus que représentatives, vécues principalement comme médias autonomes et tautologiques, se place néanmoins dans le lit de cette connaissance. Déplacer son attention d’un bâtiment ou objet d’architecture à réaliser vers un comportement, c’est faire sortir l’architecture de la phase institutionnelle et marchande pour la placer dans un champ nouveau de connaissance.

Cette intention conceptuelle et comportementale est le moteur de cette nouvelle manière d’être de l’architecte qui veut se sortir de l’aliénation dans laquelle il était contraint de par sa spécificité, sans renoncer à ses idées ou à ses aptitudes expressives. Ce mouvement se situe entre l’architecture comme production de projets et l’art et la créativité. Le lieu privilégié de l’expérimentation radicale sera donc la feuille de dessin, la feuille écrite, l’installation, l’événement, l’objet créatif, tandis que le projet comme produit professionnel sera pratiquement absent. Les recherches de ces opérateurs ont surtout pour but l’invention, la mise à jour et la mise à point de nouveaux langages visuels, capables d’ouvrir le domaine de l’architecture à des horizons plus larges et articulés. A l’idée d’espace, l’architecte radical va substituer celle du vide, compris comme une sorte d’étendue neutre, disponible aux modifications spécifiques et collectives.

La théorie du vide comme disponibilité maximum, faisant table rase de toute expérience précédente, conduit ces architectes à remettre en cause les lieux de culture pour proposer une nouvelle simplicité, une chance de vivre librement l’espace domestique. Cette destruction technique de la culture ainsi que de toutes les valeurs morales, esthétiques, religieuses du passé s’effectue au nom d’une résurgence des facultés créatrices et expressives humaines.

Cette génération s’était rendue compte que, les dix ans précédents avaient imposé une formalisation excessive bridant l’emploi des sens et empêchant l’activité humaine, la joie d’agir.

L’architecture Radicale reconnait donc la multiplicité de notre environnement visible sous ses diverses formes et l’accepte dans toute son intégrité. Le point fort du design « radical » résidait dans cette habilité à communiquer pensées et émotions, à conduire public et critiques à débattre de l’impropriété manifeste d’une grande partie des habitations nouvelles (édifices-tour avec des appartements identiques, des boites en béton) et à réfléchir en même temps sur les faux progrès de notre société technologique.

L’architecte fait évoluer ses activités de la construction de produits manufacturés à la coordination de recherches humaines et techniques, alors que l’ordinateur et les transmissions téléphoniques et télévisuelles, favorisent un retour au travail chez soi, sur des bases nouvelles, avancées, avec le support de l’électronique. Il s’en suit une focalisation inédite de sa propre habitation comme centre de la société.

Les Architectes Radicaux aspirent à un humanisme nouveau, fondé sur le respect de l’individu et sur la réalité de la vie quotidienne. Tout en refusant la forme pure, ils acceptent le lieu tel qu’il se présente, y compris avec le chaos et le désordre ; et même, ils se servent de cette réalité en la soulignant et en la rendant évidente. L’œuvre de John Cage, qui avait révélé l’art comme activité psycho-motrice inhérente à l’individu et au bruit de la vie, devient une référence constante pour ces opérateurs. Ils réclament comme un droit naturel, la libération de toute capacité expressive et humaine. Sa musique, qui atteint Florence aux débuts des années ’50, introduite par Silvano Bussotti et métabolisée par Giuseppe Chiari, s’enrichit avec la possibilité que la pluralité des logiques ne représente aucun obstacle à la communication.

Effectivement, le travail de Giuseppe Chiari se meut à l’intérieur d’un système de logiques qu’on peut appeler « paraconsistant », admettant des formes de contradictions. A propos de discontinuité Lapo Binazzi affirmait en 1974, à la Global Tools : « Il existe la possibilité de relier des choses éloignées l’une de l’autre, de penser une chose et son contraire en même temps. La pensée est désormais capable de réaliser des systèmes différents de degrés plus élevés tout en le niant de l’intérieur avec des vérifications de signe opposé ». Projeter et penser, c’est imaginer ce qui se passe dans les divers mondes possibles. Continu et discontinu deviennent les termes de ces dialectiques du possible, des instants capables de mettre en marche un parcours créatif qui soit vraiment libérateur et incontrôlé. L’Architecture Radicale se place à l’intérieur de cette société nouvelle, qui était en train de se former à ce moment là et elle en refoule les motifs et les thèmes. Si le mouvement de Happening & Fluxus peut être considéré comme ayant formulé des thèmes et des mythes de cette réalité post-industrielle nouvelle, tel que le « quotidien totalisant », l’Architecture Radicale met en œuvre parallèlement d’autres thèmes, tels que « la sortie d’une mise en projet de l’espace à trois dimensions », « l’espace comme langage », « le comportement comme architecture », le discontinu comme « l’autre moitié du réel au delà du rationnel », etc.

Avec l’Architecture Radicale naquit une tolérance nouvelle qui prévoit non seulement une intervention créatrice de la part de l’usager, mais la présence possible d’objets de design stimulant l’intérêt à travers leur vitalité originale, ce que Mario Perniola définit comme « design sémiotique ou d’information ».

« Il a cette fonction de changer l’inutile en utile, c’est à dire de rendre psychologiquement nécessaire l’achat et la possession de ces objets, quel que soit leur emploi ». Contrairement au design fonctionnel qui prenait en compte le rapport entre la forme de l’objet et sa fonction, le design radical valorise l’objet comme marque, comme véhicule de message, sans qu’il n’ait presque rien à voir avec la valeur d’usage.

« En effet la valeur d’usage dans le design se dissout à l’intérieur de la valeur d’échange ».

Une fois qu’elle a perdue son identité nouvelle comme objet d’usage, cette « marchandise nouvelle » trouve dans son image une chance d’être un signe distinctif d’une certaine condition culturelle et sociale.

L’apparence prends le dessus sur la désignation toute simple.

L’Architecture Radicale donne naissance au « langage des marchandises ». Ces objets sont le fruit de sollicitations qui n’ont rien à voir avec leur emploi, répondant à une demande psychologique de leur possession, tout en s’offrant pour la satisfaire. Un horizon nouveau se substitue aux principes du fonctionnalisme et au monde économique qui lui est liés. L’architecte glorifie ainsi son travail et fait émerger les formes primaires de son être, celles qui respectent le caractère de sa pensée et de son sens.

Les groupes qui mieux représentent l’Architecture Radicale en Italie sont : Ettore Sottsass, Archizoom, Superstudio, Ufo, Gianni Pettena, Gaetano Pesce, Ugo LaPietra, Riccardo Dalisi, Franco Raggi, Alessandro Mendini, etc.; en Amérique : Peter Eisenman, Ant Farm, John Hejduk, Site, Onyx; en Angleterre: Archigram, Cedric Price, Street Farmer ; en France: Architecture Prince avec C.Parent et P.Virilio ; en Autriche : Hans Hollein, Walter Pichler, Raimund Abraham, Heinz Frank, etc.; au Japon : Arata Isozaki, Kisho Korokawa, Kiyonori Kikutake…

En 2000, Jean-Louis Maubant directeur de l’Institut d’Art Contemporain de Lyon et Frédéric Migayrou, du Centre Pompidou ont été promoteurs de la grande exposition historique de ce mouvement avec, comme première étape le Museum fur Angewander Kunst (sept.-déc. 2000) à Cologne puis au Nouveau Musée de Villeurbanne, ensuite à Valencia, en Espagne, au nouveau Museo de la Illustracion y el Modernismo (Muvin).

Au début des années ’90 un horizon nouveau de recherche historique et critique s’est ouvert en France, concernant les débuts des jeunes étudiants florentins. Dominique Rouillard entreprend un travail de reconstruction et finalement d’encadrement historique de l’avant-garde italienne. Mettant en évidence l’influence de Superstudio et Archizoom, respectivement sur les travaux des jeunes Rem Koolhaas et Bernard Tschumi, Rouillard a introduit en France un débat critique, absent jusque là en Italie, qui met en lumière la vraie valeur conceptuelle et projectuelle et non pas idéologique, des Radicaux Italiens.

Cette opération a permis de reconstruire l’agitation internationale et les influences réciproques de l’époque en dehors du contexte étroit italien. La consécration de la valeur historique des Radicaux italiens intervient lorsque Alain Guiheaux, conservateur du Centre Georges Pompidou, récupère plusieurs œuvres dans les ateliers de ces architectes. Leur travail fait désormais l’objet d’expositions et de manifestations de nature différente en France, parmi lesquelles il faut rappeler l’activité de Frédéric Migayrou à l’époque directeur du FRAC Centre d’Orléans.

Finalement on a pu assister à la Biennale de Venise dirigée par Hans Hollein en 1996, à une rétrospective internationale à propos du phénomène radical, avec Gianni Pettena commissaire pour le pavillon italien.

par Enrico Pedrini

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