Architecture/design

la Villa E1027 d’Eileen Gray et le Cabanon du Corbusier ouvrent au public

La villa d’Eileen Gray et le cabanon du Corbusier sont un des hauts lieux de la modernité sur la Côte d’Azur. Sur quelques arpents de terre accrochés au flanc ouest du Cap Martin, s’est joué entre 1926, date du début des travaux de la Villa E1027 et 1976, année de la disparition d’Eileen Gray, une longue et palpitante histoire avec pour personnages principaux la designer, décoratrice et architecte Eileen Gray (1878-1976), l’architecte et critique Jean Badovici (1893-1956) et Le Corbusier, peintre, architecte et théoricien (1887-1965). Tous les protagonistes du drame disparus, ce fut la Dormition. La Villa, vidée de son mobilier qui était porutant inscrit à l’Inventaire des monuments historiques, a été squattée, vandalisée.

la Villa E1027 photo Agnès de Maistre

La Villa E1027 (E d’Eileen, 10 pour la lettre J de Jean, 2 pour la lettre B de Badovici et 7 pour la lettre G de Gray), construite en 1926-29 par Gray et Badovici et le Cabanon du Corbusier de 1952 ont été acquis par le Conservatoire du Littoral et classés monuments historiques. Les héritiers Rebutato ont donné au Conservatoire l’Etoile de Mer, bistro-restaurant construit par un architecte niçois en 1948-49, et les unités de camping construites par Le Corbusier pour indemniser Thomas et Marguerite Rebutato qui lui avaient cédé les droits de propriété sur le terrain du cabanon.

L’entrée

Et c’est l’association Cap moderne, prenant la suite de la Fondation Le Corbusier et de l’association Eileen Gray-Etoile de mer-Le Corbusier, qui s’est vu confier la gestion du site. L’association qui a signé une convention de six ans renouvelables avec le Conservatoire ne veut plus attendre. Le site toujours en cours de restauration est ouvert depuis l’année dernière au public, du 1er mai au 31 octobre. Une ouverture raisonnée en raison de la fragilité des lieux : le terrain est pentu, la restauration de la villa toujours en cours et Le Corbusier a vu petit avec son Cabanon de 13,40 m2 et ses unités de camping de 8 m2. La visite est donc guidée : pas plus de 12 personnes à la fois dans la Villa et 4 dans le Cabanon.

Un comité scientifique valide les choix de restauration dont les travaux sont effectués l’hiver. La question est complexe et difficile à trancher. Pour la Villa, architecture, aménagements et pièces de mobilier ont été conçus par Eileen Gray et Badovici comme une seule oeuvre. Mais leur projet a été dénaturé. Le mobilier a été vendu ; la maison a été « embellie » par Le Corbusier, repeinte par les propriétaires successifs puis très dégradée, elle a déjà connue plusieurs campagnes de restauration. « Faut-il essayer de reproduire minutieusement chaque détail de la maison telle qu’elle était en 1929 ? Suffit-il de donner une idée des espaces et de la façon dont elle a été habitée ? » s’interrogent les responsables de la restauration.

Un système d’ouverture à coulisse breveté photo Agnès de Maistre

Ayant fait l’objet en 1929 d’une publication « Une maison au bord de la mer » dans la revue de Badovici, « l’Architecture vivante », l’état original de la villa est bien documenté. On pourrait racheter des pièces de mobilier originales ou les faire refaire, repeindre dans les couleurs d’origine mais que faire de l’histoire de la Villa et des huit peintures murales que Le Corbusier a exécutées à partir de 1938. Ces peintures très colorées, véritables tags, faites avec une envie de salir cette maison blanche, de marquer son territoire, blessèrent profondément Eileen Gray, entraînèrent la brouille avec Badovici et obligèrent Le Corbusier à prendre pension chez les Rebutato puis à construire son Cabanon. Le projet est donc de les conserver mais cachées.

L’état actuel de la villa n’est pas parfait. Il y a quelques pièces de mobilier disparates. Mais c’est aussi ce qui fait son charme. Vous ne rentrez pas dans un musée mais dans une maison, à moitié vide, comme on entre dans une maison à vendre qui n’est déjà plus tout à fait à l’ancien propriétaire et déjà un peu à vous. Cette situation transitoire ne va pas durer. L’association Cap moderne a l’intention de lui redonner son lustre d’origine. Pendant la campagne de travaux de l’hiver 2015-2016, outre les travaux d’assainissement et d’imperméabilisation du béton, la salle de bains a été refaite.

Travaux du hangar mai 2016 le jour J approche photo Agnès de Maistre

Pour les commodités muséographiques, l’association s’est doté de nouveaux locaux. En gare de Roquebrune, à quelques centaines de mètres du site, un wagon de marchandises, à quai, fait office de billetterie-libraire-salle d’attente. Le hangar de la gare, pour lequel la SNCF a accordé une autorisation d’occupation de dix-huit ans, va accueillir dès cet été deux expositions. La première, du 28 juin au 28 août, racontera les séjours du Corbusier sur le bassin d’Arcachon entre 1926 et 1936, et la deuxième, à partir du 1er septembre traitera du sauvetage de la villa E1027, avec le soir du vernissage à partir de 21h00 une projection sur grand écran du film de Marco Antonio Orsini « Now more than ever, Gray matters » , « Maintenant plus que jamais Gray compte » sans oublier le 8 juillet à 21h45 une projection sur grand écran du film sur Eileen Gray, « Price of desire » de Mary McGuckian.

Le site est ouvert et bien ouvert. A côté des deux visites guidées quotidiennes, il existe aussi l’option des visites-brunchs (visite de 10 h à 12 h et brunch de 12 h à 14 h les 19 juin et 3 juillet au tarif de 55 €), les soirées lumières des 25 et 30 juillet, 6 et 13 août : dîner en terrasse face aux feux d’artifices du festival pyrotechnique de Monaco.

L’endroit est complexe ; il s’appréhende mal de l’extérieur. Cet ensemble organique qui s’est développé sur plusieurs décennies ne se comprend vraiment que de l’intérieur. C’est une bonne chose que de permettre aux visiteurs d’en profiter pleinement.

Le cabanon accolé à l’étoile de mer communique par une porte intérieure avec le restaurant photo Agnès de Maistre

La Villa et le Cabanon développent deux conceptions de la maison en bord de mer. Les unités d’habitation du Corbusier, fonctionnelles et calculées au plus juste des besoins physiologiques du vacancier, sont à l’image d’un monde massifié où l’espace se fait rare. Là où Le Corbusier voit juste, Eileen Gray nous fait rêver. Sa maison-roman, d’une grand poésie, est une expérience unique. Je vous reparlerai plus en détail dans un prochain article de ce chef d’oeuvre de l’architecture.

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