Opinion

La logique de la propagande

Dans son discours de clôture de l’université du Front National, Marion Maréchal-Le Pen, candidate aux prochaines élections régionales Provence-Alpes-Côte d’Azur a révélé qu’en cas de victoire du Front National, la Région ne subventionnerait plus les structures dédiées à l’art contemporain, mais soutiendrait « une autre forme de culture plus populaire ».

Elle dénonce « dix bobos qui font semblant de s’émerveiller devant deux points rouges sur une toile, car le marché de la spéculation a décrété que cet artiste avait de la valeur. » Comme Marion Maréchal-Le Pen, nous pensons que l’art ne doit pas se résumer à des points de couleur vive et à des groupes sociaux éthérés. De même, la spéculation marchande a tendance – il est vrai – à trop envahir les valeurs esthétiques de l’art. Nous pensons également que « l’art n’a pas besoin d’explications fumeuses ou de diplômes censés nous aider à le comprendre ». Par contre, nous pensons que l’art contemporain n’est pas un genre qui s’oppose à la culture populaire, mais juste une part de la culture, comme peuvent l’être le théâtre, la musique, la danse, la littérature ou le cinéma de notre temps.

Elle affirme aussi que l’art « n’est pas forcément transgression, il a surtout vocation à toucher l’âme et à sublimer le monde ». Il est très difficile de savoir ce que veut dire « toucher l’âme » tant nos âmes sont différentes. Par ailleurs, quel est idéal de pureté et de beauté de Marion Maréchal-Le Pen ? « Le travail, le talent de nos artistes doivent être les seuls critères de soutien. » Plus loin, elle exprime le critère qui détermine le contenu du talent. « Nous serons les soutiens d’une culture populaire où notre patrimoine et notre identité seront mis en valeur. Nos monuments, notre histoire pétrifiée doivent être au cœur de notre projet régional ». Où se situent le patrimoine et l’identité de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur ? Marion Maréchal-Le Pen doit certainement connaître les réponses. Mais doit-on obliger un artiste à incarner une « identité » par les seules idées d’une personne et de son parti politique ? Le plus problématique réside néanmoins dans la mention de « l’histoire pétrifiée » comme « cœur du projet régional ». Cela voudrait dire que le projet de Marion Maréchal-Le Pen serait de figer la Région dans son histoire. L’exposition actuelle « Migrations Divines » au MUCEM (Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée) à Marseille (24 juin-16 novembre 2015) prouve à quel point l’histoire n’est en rien pétrifiée. Deux cents statuettes révèlent l’évolution des représentations prêtées aux dieux, de l’Egypte Ancienne à la Rome préchrétienne, en passant par la Grèce antique. Les formes produites au fil du temps s’accompagnaient de l’évolution des cultures, de leur métissage. Cette fable racontée par le MUCEM est aussi celle de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, dont le patrimoine descend directement des ces influences croisées.

Mais ce qui est le plus surprenant dans le discours de Marion Maréchal-Le Pen, c’est l‘importance qu’elle accorde à l’art contemporain, alors qu’elle le décrit comme une « philosophie de l’absurde qui conduit à déverser dans des expositions des sommes inversement proportionnelles au nombre de leurs visiteurs ». Pourquoi dans ce cas consacrer de l’énergie à évoquer en pleine campagne électorale un sujet qui intéresse si peu de personnes ? La charge est bien sûr symbolique. À « l’idéologie de l’absurde », elle oppose une autre idéologie, la sienne et celle de son parti. Pas besoin « d’explication fumeuse » pour comprendre que ce n’est pas l’art qui est en jeu ici, mais sa conception du monde. Toute forme de création qui s’opposerait à ses idéaux est perçue comme une transgression, voire comme une subversion. À défendre le « travail », le « talent », le « patrimoine » et « l’identité » réunis dans un grand amalgame cousu de fil noir, nous sommes de plain-pied dans la logique de la propagande dont on connaît le sens et l’origine, dont on connaît le nom et la généalogie. Certes, l’angélisme de l’opinion « émerveillée » sur l’art agace, mais la « pétrification » de l’histoire à des fins patrimoniales et identitaires glace nos esprits.

Eric Mangion
Directeur du centre d’art de la Villa Arson à Nice