Spectacles

FESTIVAL DE DANSE DE CANNES – TITICUT FOLLIES Chorégraphie de James Sewell

Dans le cadre du Festival de Danse de Cannes, James Sewell, chorégraphe et directeur de la Compagnie du même nom, a présenté une oeuvre insolite en associant la liberté de la danse contemporaine à la fragilité harmonieuse de la danse classique.

« Titicut Follies » se situe dans un hôpital psychiatrique de la région de Titicut, nom indien du Comté de Bristol dans le Massachusetts. Mais, c’est d’abord le premier film du célèbre documentariste américain Frederick Wiseman. Tourné en 1967, « Titicut Follies », a été interdit aux Etats-Unis jusqu’en 1991. Le film montre la vie quotidienne de patients détenus dans l’unité carcérale psychiatrique de l’hôpital de Bridgewater et la façon dont ceux-ci sont traités par les gardiens, assistants sociaux et médecins de l’époque. Comparée à « Vol au-dessus d’un nid de coucou »(Milos Forman, 1975), la réalité dépasse la fiction. La condition de vie y est déplorable pour ces aliénés criminels qui subissent le harcèlement moral et physique du personnel. Témoin discret et vigilant des institutions, Frederick Wiseman pose avec « Titicut Follies » les bases de ce qui fait son cinéma depuis plus de cinquante ans.

La danse est liée au corps, James Sewell s’est donc attaché à faire ressentir par la danse ce qu’on ressent dans le film et a inventé un nouveau langage chorégraphique à partir des mouvements observés. Les gestes de psychotiques sont différents dans une danse. Après une longue collaboration avec Frederick Wiseman, le chorégraphe aboutit à cette pièce étrange qui a étonné et enthousiasmé le public.

Avec une énergie à revendre pour ce ballet savant et électrique, la prolifération des mouvements se révèle efficace pour remplacer les mots. L’imagination est au pouvoir et les surprises foisonnent, avec parfois de l’humour dans un enchevêtrement d’images évocatrices du film, telle la mort d’un détenu ou l’aveu de l’un d’eux d’avoir abusé de plusieurs fillettes dont sa propre fille, ici montrées en danse par une très jeune danseuse. S’il n’y a aucune présence féminine dans le film, le chorégraphe a donc réussi à en introduire dans le ballet.

Il est rare d’aborder un problème de société en danse qui se cantonne plutôt au duo amoureux et à la rencontre, même si la folie a souvent été source d’inspiration (Giselle). Pour traduire en danse les visages et les corps, montrés en gros plans dans le film, James Sewell a dû transposer l’espace en temps, en accélérant les mouvements de certains danseurs dans un style ultra dynamique de néo-classique. Avec une témérité et un mordant extraordinaires, il aboutit à une totale transposition du cinéma en danse. Jouant d’une mise à nu absolue, il sait parfaitement créer en gestes l’univers du film où la brutalité et la bêtise sont au premier plan à cause du sadisme du personnel de l’administration, qu’il soit soignant et/ou gardien.

Outre d’étranges costumes et parfois des masques à la limite du fantastique pour ces internés pénalement irresponsables, Steven Rydberg a réalisé des décors très mobiles qui soulignent les diverses étapes du film, passant de la scène du spectacle de « Titicut Follies » représenté une fois l’an aux détenus, à des cellules ou à d’austères portes à barreaux.

Quant à la musique signée Lenny Pickett, elle a été conçue en parallèle à la chorégraphie, les deux artistes, compositeur et danseur, communiquant leurs avancées au fur et à mesure l’un à l’autre, stimulant ainsi mutuellement leur inspiration. Musique traditionnelle et comédie musicale se mélangent les pinceaux et c’est magique !

Le James Sewell Ballet a offert au public un captivant moment avec cette étrange et passionnante chorégraphie dont le projet est totalement réussi.

Caroline Boudet-Lefort