Spectacles

ANTHEA – LE MISANTHROPE – De Molière – Mise en scène de Peter Stein

Dans le décor sobre d’une antichambre en bois clair, Alceste semble rébarbatif, tout de noir vêtu et longue tignasse brune, face à des comparses habillés de fanfreluches aux joyeuses couleurs acidulées, rose, bleu, jaune, vert. Elles seront les seules notes de gaieté dans ce spectacle austère. En effet, le metteur en scène allemand de 82 ans, Peter Stein, a choisi une telle sobriété pour monter « Le Misanthrope » de Molière, que la comédie en est devenue tragédie. Le sujet s’y prête.

L’intègre Alceste croit à la loyauté et refuse les manières onctueuses des vaniteux de la Cour de l’époque. Cependant épris de la séduisante Célimène, il lui faudrait faire des compromis s’il veut conquérir cette coquette entourée de galants gagnés par l’hypocrisie mondaine pour laquelle il n’a aucune indulgence. « C’est estimer personne que d’estimer tout le monde » dit-il en poussant la franchise jusqu’à la brutalité.

Photo SvendAndersen

Tandis que conversent les autres, assis et vêtus des costumes colorés, Alceste, toujours tout en noir, s’installe dans un coin en leur tournant le dos. « Je vais me retirer du commerce des hommes » déclare-t-il se refusant à jouer le jeu des flatteurs et parasites sans loyauté.

La critique de son époque, Molière n’a cessé de la faire, alors que c’était dangereux : les Grands et le pouvoir royal veillaient. Il y a environ trois cent cinquante ans qu’il écrivit « Le Misanthrope », cette comédie où sont violemment dénoncées les rigidités et les méchancetés d’une société française, bloquée, verrouillée par la monarchie absolue, et le texte n’a rien perdu de son opportunité, sans doute encore de règle aujourd’hui. Ne réprime-t-on pas celui (ou celle) qui critique le pouvoir en place ?

Photo SvendAndersen

A la fois amère et romanesque, comique et surtout pathétique, cette satire féroce, Peter Stein l’a montée comme un mauvais rêve, accentuant le tragique de la jalousie et de la misanthropie. Le public ne ri pas, ou si peu ! Rien ne passe de l’humour et de l’ironie de Molière.

Mettant en valeur les vers de Molière qui coulent comme une langue naturelle, chaque comédien articule parfaitement le texte, comme s’il sculptait la chair des mots. Avec sa raideur physique naturelle, Lambert Wilson incarne à la perfection l’intransigeance du Misanthrope qui déclare « Je hais tous les hommes… L’amitié demande un peu de mystère ». Face à lui, Pauline Cheviller est une Célimène réussie, quoiqu’on l’aurait aimée un peu plus rouée et malicieuse. Tous les comédiens sont excellents, mais… sans humour. Molière, c’est la farce, non ?

Caroline Boudet-Lefort