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Kader Attia

Peut-être aurez-vous entendu parler il y a déjà quelques temps de ce jeune algérien qui ouvrait boutique dans le 6e arrondissement de Paris, et présentait une toute nouvelle ligne de vêtements baptisée Hallal ? Tandis que les voisins s’inquiétaient de voir débarquer la banlieue et signaient des pétitions pour que le (faux) magasin soit fermé, quelques grands noms du streetwear se proposaient de racheter la (fausse) marque et la presse s’interloquait devant ce (faux/vrai) phénomène de société. Dans le même ton déjà en 2003 l’artiste présentait à la Biennale de Venise sa Machine à rêves, un distributeur proposant toutes sortes de produits Hallal : gin, whisky ou passeport américain…

Peut-être, errant dans les rues de Paris, aurez-vous croisé cette enseigne lumineuse, commune à deux établissements situés côte à côte, qui affiche en alternance Mosquée et Night Club ? Oui Kader Attia est aussi passé par là. Les visiteurs de la Biennale de Lyon 2005, en tout cas, n’auront pas oublié sa grande volière où des mannequins d’enfants grandeur nature en céréales se faisaient dévorer par les pigeons (The Flying Rats, 2005). Chaque œuvre d’Attia est un choc, qui se révèle avec la violence d’un flash mental. C’est dans un deuxième temps seulement qu’elle s’enrichit de significations parasites ou contradictoires. En témoigne celle qu’il présentait récemment au Palais de Tokyo. De loin, elle évoquait à certains un Mondrian des années 10 et, à d’autres des écritures coufiques. Vue de près, c’était clair pour tout le monde : il s’agissait d’un poétique assemblage de matraques de police dont certaines avaient été récupérées dans la rue après les émeutes, dans la banlieue même où Kader a grandi.

D’origine juive et musulmane, entre culture orientale et culture occidentale, l’artiste a « mis en œuvre » son regard propre, chargé de toutes les contradictions et de toutes les richesses qu’implique le brassage culturel qui l’a forgé. Dans ses œuvres teintées d’humanisme, la question du déracinement, celle de l’identité, transparaissent à travers l’association improbable d’idées divergentes voire carrément antinomiques. Alors on se retrouve hébété comme face à un constat foudroyant qui serait tout droit sorti de la bouche d’un enfant. Avec cette (fausse) candeur, Kader Attia pointe le doigt sur des questions sociales, cruciales…

A Lyon (1), l’exposition Kader Attia se visitait un peu comme le Palais des horreurs d’une fête foraine, d’installation en installation, un parcours dans l’inconscient qui sollicite le vécu du spectateur, ses rêves, ses fantasmes et ses phobies, titillant ses convictions, ses acquis, ses prises de positions. Vous entamez un voyage insolite dans un monde surréaliste où les danseurs de « break dance » côtoient les derviches tourneurs dans des night -clubs avec DJ jet boule à facettes (The Loop, 2005). Vous avez la sensation d’être géant alors que vous traversez une ville miniature dont les immeubles ont une allure étrangement « domestique » (Fridges, 2006). Vous manquez de vous faire dévorer par une porte automatique aux dents bien aiguisées (Sans titre, 2006) avant de prendre de simples structures de parapluie pour des araignées géantes. Seule échappée vers le monde réel, deux fenêtres grillagées par des menottes assemblées, vous ramènent un instant sur terre (Moucharabieh, 2006), juste avant que vous ne quittiez ce monde renversé et bien mélangé, où même la violence peut se figer en de séduisants éclats scintillants (Sans titre, 2006). Tant de clins d’œil et de références risquent de faire mouliner vos esprits pendant quelques semaines encore, mais vous aurez sûrement tout compris lorsque vous visiterez l’exposition du Magasin à Grenoble où il a créé une œuvre Tsunami .

Sophie Alacoque