Entretiens

Entretien avec Lisa Houben par Serge Alexandre

Lisa Houben, soprano lyrique d’origine néerlandaise et américaine est l’une des grandes interprètes et artistes de notre temps au même titre que Sandra Radzanovsky, Lise Davidsen ou Asmik Grigorian… Elle a ce –je-ne-sais-quoi-ou-presque-rien qui subjugue à chaque incarnation. Je vous invite à la découvrir au détour de quelques questions. On espère la retrouver sur les plus grandes scènes nationales et internationales très prochainement !

S.A : Quelle est votre première rencontre avec la musique ?

J’avais 7 ans. Ma mère m’a amenée au Kennedy Center à Washington DC, pour voir Les Noces de Figaro. Magie instantanée! 

S.A : Quelle est votre formation musicale ?

J’ai commencé le piano à 9 ans et le chant à 13 ans. Puis j’ai étudié au conservatoire de McGill à Montréal. Ensuite, le conservatoire Royal à La Haye, avec Cristina Deutekom. Puis, j’ai tout quitté et suis allée vivre à Milan. Pouvoir écouter les grands chanteurs à La Scala! Et  étudier avec Rodolfo Celletti, Magda Olivero et  Carlo Bergonzi. C’est là où j’ai tout appris ! Le pianissimo, le legato, bocca chiusa, le « recitare cantando »… Le bonheur. Chanter et vivre dans le pays de Verdi, de Puccini, de Mascagni… L’étude du chant, « a never ending story ! » Le plus Grand Maestro de chant, c’est « le palcoscenico » !

S.A : Quel regard portez-vous sur l’évolution de votre voix ?

Ma voix n’a pas changé depuis le début de ma carrière. Par contre, après plus de 35 rôles, je la connais mieux. J’ai tout de suite commencé avec le Grand répertoire. Mes premiers rôles: Tosca, Fidelio, Cavalleria, … J’ai une voix assez centrale. J’ai aussi abordé une tessiture plus basse, avec les rôles d’Amneris et d’Eboli, mais je me sens mieux dans mes rôles de soprano. En travaillant, j’ai petit à petit réussi à chanter des rôles qui demandent plus d’agilité comme Lady Macbeth ou Abigaïlle. Mes aigus sont venus plus tard. Comme Magda Olivero me l’a dit un jour : la voix, c’est comme du bon vin, ça se bonifie avec le temps. La voix est le miroir de la santé et de l’âme.José Van me disait lors de notre première rencontre : «  Ne jamais en faire trop » Quelques mois, je me retrouvais avec lui dans La forza del destino à La monnaie. Si on est en bonne santé (le mental, le spirituel et le physique), la voix rayonne!

S.A : Pour vous, c’est quoi la musique ?

C’est ma passion! C’est vital, c’est infini, c’est immense. Parfois, c’est tout simplement, insupportable tellement ça me touche. J’ai un besoin spirituel et physique de chanter, de sentir les ondes de la musique. La musique “sometimes feels like the unbearable lightness of… singing! » C’est comme une drogue envoûtante que j’ai envie de vivre, et de partager. À travers elle, on peut se connecter avec le public, et j’adore ça. C’est un langage universel qui fait vibrer l’âme. C’est comme la foi, il n’y a pas de mots justes, rien qu’un sentiment puissant. 

S.A :  Quels sont vos rôles que vous préférez incarner à la scène ?

J’aime profondément tous les rôles que j’ai incarnés, un peu plus de 35 dans mon voyage musical. L’héroïne de Fidelio, un de mes tout premiers rôles. Une femme passionnée et forte, qui a du courage et de la détermination. Son amour est inébranlable. Elle incarne la lutte pour la justice, quelque chose qui résonne très fort encore aujourd’hui. L’écriture est très centrale, avec des aigus puissants et des passages graves très tendus émotionnellement, tout ce que j’adore! La comtesse dans les Noces de Figaro et Donna Anna de Mozart qui m’ont conduit à la Mareschale dans Der Rosenkavier de Richard Strauss, rôle que j’adore…

Magdalena di Coigny aussi. Un rôle très riche psychologiquement : on passe de la légèreté aristocratique à la profondeur tragique. Un rôle vériste par excellence ! « La mamma morta », c’est le désespoir qui s’élève vers une extase lumineuse d’amour : « Fu in quel dolore che a me venne l’amor ! » Un rôle avec des nuances infinies : douleur, passion, courage. 

Leonora dans La forza del destino. Encore un rôle bouleversant. L’amour impossible, la culpabilité, la solitude, la foi, le pardon… avec des mélodies qui viennent tout droit du ciel, comme « La Vergine di angeli ».

S.A : Quel sentiment vous anime lorsque vous rencontrez un metteur en scène ou un chef d’orchestre ou un pianiste pour un récital ?

La passion et l’enthousiasme! La spontanéité et l’amour pour les artistes et notre métier. L’envie de répéter, de travailler et de créer ensemble de la magie qui transmet les frissons de la musique au public. J’adore les metteurs en scène qui aiment travailler avec des acteurs, qui me laissent libre de suivre mon instinct et improviser pour que les scènes donnent quelque chose de nouveau et d’imprévisible pour le public (et des fois pour moi-même !). J’adore les chefs d’orchestre qui respirent avec les chanteurs, qui rayonnent le bonheur de la fusion avec ce qui se passe sur la scène et avec l’orchestre. J’aime aussi le côté intimiste de récitals avec des grands pianistes. J’ai beaucoup travaillé avec des pianistes, comme Daniel Blumenthal, Maceij Pikulski, Anna Maria Cali, etc. qui donnent toute leur âme dans le partage de leurs émotions.  

S.A : Quels sont vos plus beaux souvenirs musicaux ?

Adriana Lecouvreur au Theatro Massimo de Palermo : un sublime spectacle avec Maestro Donato Renzetti. 

Macbeth Monnaie avec le metteur en scène Warlikovski, c’est l’improvisation à l’extrême jusqu’à la veille de la Première. C’est comme Hitchcock avec ses acteurs. Et le plus dingue, c’est que ça fonctionne !

Force du destin à La Monnaie : le bonheur de chanter avec José Van Dam, une célébrité légendaire, et pourtant tellement généreuse.

Cavalleria Rusticana à la Philharmonie de Berlin, quelle émotion et honneur de chanter dans un tel endroit ! 

Même sentiment pour le Te Deum de Dvorak à Carnegie Hall : une œuvre immense sur une scène mythique !

Concert au Vatican en direct à la télévision avec José Carreras, Daniela Dessi , Andrea Bocelli : ma première expérience scénique quand j’étudiais à Milan où j’ai chanté le duo de Chenier avec Bocelli et Carreras !

Concert à St Petersburg à la Philharmonie avec Ramon Vargas

Chausson Poème de l’amour et de la mer avec Plasson à Palerme au Teatro Politeama

Shéhérazade avec Alain Lombard, aussi à Palerme.

Rosenkavalier à Rome avec Gelmetti…

Tellement de frissons, d’excitations, de trac et de bonheur..

J’ ai tellement de chance… quand je repense à tout ça. 

S.A : Votre actualité musicale ?

Quelques engagements :

Gala Concert à Théâtre Margravial à Bayreuth 

Concert Gala à l’ Alte Opern à Frankfort

La Fanciulla del West à Los Angeles

S.A : Quels rôles préparez vous pour l’avenir ?

Elektra Strauss

Fliegende hollander Wagner

Wesendonk lieder Wagner

S .A : Vous avez une discographie riche et qui permet de découvrir des joyaux musicaux injustement oubliés. Quels enregistrement recommanderiez vous à nos lecteurs pour vous découvrir ?

J’ ai particulièrement aimé l’enregistrement très théâtral de Zaza de Leoncavallo.

S .A : Je vous recommande très vivement ces enregistrements. Des joyaux à découvrir sans hésitation possible !

Enregistrements

  • Catalani – Mélodies complètes (Opera Discovery)
  • Zazà de Leoncavallo (Bongiovanni)
  • Ines de Castro de Persiani (Bongiovanni)
  • Cavalleria Rusticana de Monleone (Myto Records)
  • Il Mistero de Monleone ( Myto Records)

. Ave Maria (Radio France)

  • Vieni amor mio! (Pavane)
  • Anima Mia di neve (Kicco Music)
  • La Falce (Kicco Music)
  • Infinity IMR Classics

Pour découvrir cette immense artiste: