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Été 2025 : quelques concerts de Jazz entre Nice et Toulon en 8 étapes

Dans le Midi, chaque été fleurissent les festivals de Jazz. Certains sont vivaces, d’autres apparaissent ou disparaissent au grès des décisions des sponsors ou des municipalités. Face à la pénurie de grandes stars du Jazz et à la hausse des coûts, les organisateurs des festivals ont choisi diverses recettes : augmenter le prix des billets, accroître les sources de revenus en développant les activités connexes (restauration, animations, etc.), utiliser les musiciens présents dans plusieurs configurations et mettre au programme des artistes populaires appréciés par les jeunes mais n’ayant rien à voir avec le jazz…

Accompagné du souvenir des riches plateaux d’antan, nous avons effectué un tour des principaux concerts de jazz de Nice à Toulon en essayant de décrire le plaisir

que nous ont procuré ces différentes étapes.

Étape 1. Jazz à Juan : Sylvain Rifflet trio le vendredi 11 juillet

À coté de la pinède Gould où se succèdent des artistes très célèbres, les organisateurs de Jazz à Juan ont réservé un espace où se produisent, en fin d’après midi, des musiciens moins connus du grand public mais appréciés des connaisseurs.

Parmi eux Sylvain Rifflet, un des saxophonistes les plus créatifs de la scène actuelle. Sans renier le Jazz main stream (il a enregistré un disque en hommage à Stan Getz), il aime tenter toutes sortes d’expériences dans les domaines musicaux, théâtraux, cinématographiques, de danse, etc

A Antibes, le programme annoncé est son dernier opus « We Want Star » pour lequel il est accompagné de Bettina Kee (clavier et effets) et Vincent Teager (batterie et percussion). La première est aussi connue comme chanteuse et actrice. Le second a un long parcours dans le Jazz pop notamment auprès de Thomas de Pourquery, Laurent Bardaine et Fred Pallem. Il est également chanteur à l’occasion,

Du répertoire de ce trio, nous avons particulièrement aimé le morceau d’ouverture, « First dance », d’un style plutôt solennel permettant d’apprécier la beauté du son de son ténor. Lors du morceau suivant, « Mama huhu », (en chinois « Comme-ci, comme-ça »), tandis Bettina Kee crée une ambiance d’étrangeté, Sylvain Rifflet, à la clarinette basse, contribue au caractère labyrinthique de l’oeuvre qui s’enroule sur elle même comme un serpentin.

Dans le morceau suivant, « Molodic », il joue avec les répétitions d’un thème très simple développé grâce sa pédale à effets renforcée par les interventions de la claviériste. Dans « Riffology », le batteur prend l’initiative avec son « tambour parlant » et transporte les spectateurs en Afrique. Le saxophoniste enchaîne avec un thème incantatoire dans ce climat pouvant également rappeler les danses celtiques.

« Sharky Yuppies » sur une pulsation métallique et répétitive évoque-t-il le monde impitoyable des requins de la finance ? Entre son introduction et sa conclusion, toutes deux assez sèches, le saxophone devient plus doux voire sentimental.

De même pour « We Want Stars…Not Satellites », en référence aux activités humaines et notamment à Elon Musk saturant notre ciel de leurs satellites. Une introduction rêveuse évoquant les espaces interstellaires est cassée par une séquence précipitée puis terminée par un solo. Celui ci s’apparentant à un propos revendicatif entremêlé d’interventions sèches de Bettina Kee ponctuées par une batterie devenue très présente.

Pour évoquer dans « For John Surman » ce multi instrumentiste, figure des années soixante dix et quatre vingt, le saxo soprano est de rigueur pour créer un climat planant enrichi de volutes et autres motifs produits par les deux accompagnateurs particulièrement en verve.

Au milieu du concert, Sylvain Rifflet éprouve le besoin de célébrer l’un de ses maîtres : Moon Dog.

Nos eûmes dont droit à « Bird Lament » écrit en hommage à Charlie Parker.

Enfin, en rappel le trio interpréta un thème du disque, « Bach and Boom », parodie d’un prélude du Jean-Sébastien Bach dont il se plaît à souligner le coté mécanique.

Étape 2. Nice Jazz Fest : Sulivan Fortner trio, jeudi 24 et vendredi 25 juillet

Sulivan Fortner n’est pas un inconnu pour les amateurs de Jazz de la région puisqu’il a été l’accompagnateur de Cécile McLorin Salvant en 2019, 2021 et 2024 dans les diverses prestations de la chanteuse, à l’Opéra de Nice et aux festivals de Jazz de Nice, Antibes et Toulon.

Cette année, le pianiste vient en trio avec Tyrone Allen (contrebasse) et Kayvon Gordon (batterie) Dans sa première prestation du jeudi 24 juillet, le répertoire qu’il néglige d’annoncer est, pour sa plus grande partie, composé de standards que le trio triture dans un styles funky ou classique. Seront ainsi passés à la moulinette du trio, « L’amour est un oiseau rebelle » de Bizet, « African Flower » de Duke Ellington, « Just a Gigolo », « The Beautiful Ones » de Prince et « Timeless Place » de Jimmy Rowles. S’il a su démontrer au public sa virtuosité et ses qualité d’improvisateur, on ne peut que regretter qu’il n’ait pas fendu l’armure et laissé d’avantage de place à ses compositions, celles de son dernier opus, « Southern Nights » (2025).

Il sera d’avantage à l’aise le lendemain, le vendredi 25 juillet dans l’hommage à Oscar Peterson pour le centième anniversaire de sa naissance. Il s’est joint au batteur Jeff Hamilton et au contrebassiste John Clayton pour interpréter dans la bonne humeur quelques thèmes éternels chers au maître montréalais : « Cakewal », « C Jam Blues », « Satin Doll » et, en final, l’émouvante ballade « Hymn for Freedom » qu’il composa en 1962 pour le Mouvement des Droits Civiques.

Étape 3. Nice Jazz Fest : John Scofield quartet, jeudi 24 juillet

La venue de John Scofield et son nouveau quartet a été un des événements du Festival de Jazz de Nice. Le guitariste était accompagné de John Medeski (piano, orgue), Vicente Archer, (basse) et Ted Poor (batterie). Cette formation inédite baptisée « Long Days Quartet » ne durera, semble-t-il, que le temps de l’été, celui des festivals.

Le public a assisté à une sorte de joute ou d’amicale confrontation entre le claviériste et le guitariste dans un style résolument funky traversé ponctuellement de quelques digressions rock. Les complices ont alignés nouvelles compositions et standards sans prendre la peine d’annoncer les morceaux interprétés. Au passage nous avons cru reconnaître « My Funny Valentine», « Blue in Green », « Goodbye Pork Pie Hat », « Wichita Lineman » et « Not Fade Away ».

Importe-il de reconnaître tel ou tel thème dans ce flot sonore continu quand le plaisir égoïste de deux virtuoses est partagé avec un public retrouvant près de 40 ans après le son de Miles Davis sous les oliviers de Cimiez ?

Étape 4. Nice Jazz Fest : Édouard Pennes et « Bird Live », vendredi 25 juillet

Décidément le Festival de Jazz de Nice aime les remakes. Quant il eût rejoint le centre de la ville en 2011, firent partie du programme Winton Marsalis à la tête du Lincoln Center Jazz Orchestra (LCJO) et un quartet de musiciens français, « Kind Of Blue Revisited » (1). Tandis que les premiers interprétaient, à la note près quelques thèmes de Duke Ellington tels qu’ils étaient joués en 1930, les seconds faisaient de même avec les six morceaux de « Kind Of Blues » de Miles Davis.

Cette année, Sébastien Vidal, directeur du Nice Jazz Fest, a déniché un groupe (2) mené par le contrebassiste Édouard Pennes qui se produisait pour la première fois en concert à la Bellevilloise (Paris), le 9 et 10 octobre 2024 pour interpréter à l’identique quelques standards issus du double album « Charlie Parker With Strings », enregistré en 1949 et 1950, un des grands succès commerciaux sinon l’un des meilleurs disques du saxophoniste.

Ce qui frappe dans le concert du groupe c’est la qualité de leur prestation. Sachant à quel point jouer correctement du Parker n’est accessible qu’aux meilleurs, on ne peut que saluer leur performance. Si tous les musiciens sont au niveau requis par ce défi, celui qui captiva l’attention du public et obtint un succès mérité, c’est évidemment le saxophoniste alto et clarinettiste, Giacomo Smith. Porté par les spectateurs, il est Charlie Parker par le son, la vélocité dans l’exposé des thèmes et l’improvisation.

Italo américain de naissance et vivant à Londres, il joue ponctuellement dans des clubs parisiens dans un contexte manouche ou traditionnel.

(1) Composé de Alex Tassel (trompette), Sylvain Bœuf (sax ténor), Pierrick Pédron (sax alto), Baptiste Trotignon (piano), Jérôme Regard (contrebasse), Julien Charlet (batterie).

(2) Composé de Giacomo Smith – clarinette et saxophone, Édouard Pennes – contrebasse, Bastien Brison – piano, David Paycha – batterie, Jules Dussap – violon, Anton Hanson – violon, Khoa-Nam Nguyen – violon, Suichi Okada – violon, Gabrielle Lafait – alto, Marcel Cara – harpe, Simon Dechambre – violoncelle et Lou Nygren – hautbois.

Étape 5 .Nice Jazz Fest : Tyreek McDole, samedi 26 juillet

La prestation du vocaliste Tyreek McDole a été un des événements attendus du Festival. Pourtant, à 25 ans il n’a, à son actif qu’un disque, « Open Up Your Senses », sorti en juin dernier. Il ne s’est produit que dans un club parisien avant d’entamer une tournée en France en juillet qui l’a conduit de Chantilly à Marciac, d’Andernos à Toulon en passant par Nice le 26 juillet. On le reverra dans l’hexagone à partir de la fin septembre pour une trentaine de dates jusqu’au printemps 2026.

De la quinzaine de musiciens qui ont participé à son disque, deux l’accompagnent dans sa tournée : le pianiste Caelan Cardello et le saxophoniste, Dylan Band. Ils sont complétés par le batteur Gary Jones III et le contrebassiste Daniel Finn. Tous sont de la même génération et certains sont encore étudiants.

Le concert dans un style incantatoire où le chanteur montre ses qualités vocales : Il est baryton. Il désannonce ce premier morceau, comme il annoncera les suivants. Il s’agit de « Wisdom Eye » d’Alice Coltrane d’un style spiritual Jazz. Il poursuit avec « Open Up Your Senses » morceau teinté de blues d’Horace Silver où le sax est mis en valeur tandis que le bassiste et le pianiste donnent à la pièce une couleur hard bop. Suit « Lush Life » de Billy Strayhorn, faux standard et vrai ballade triste dans laquelle le compositeur exprime sa douleur d’homosexuel caché et d’alcoolique. Pour cette pièce sensible et délicate, le chanteur est accompagné du seul pianiste. Puis, Tyreek Mc Dole montre que le Blues classique fait partie de ses cordes avec « Lonely Afternoon », rendu populaire par Ray Charles, interprété avec sensibilité et énergie. Sur une première composition de Nicolas Payton, « The Backward Step », sa voix se fait souple et douce et il laisse au saxophoniste et au batteur toute latitude pour s’exprimer. Sur une seconde composition du même musicien, « Love Is a Four-Letter Word », il se contente de déclamer le texte.

La prestation de Tyreek Mc Dole a comblé le public avec lequel il a su créer un climat chaleureux. Manifestement, il est doué dans tous les registres. Pour prendre sa place avec les grands vocalistes qui l’ont influencé, Johnny Hartman, Leon Thomas ou Andy Bey, il lui reste à trouver un style qui lui soit propre et, dès lors, sacrifier une partie de son répertoire.

Étape 6. Nice Jazz Fest :Monsieur Mâlâ, dimanche 27 juillet

Ce quintet (1) est représentatif sociologiquement et musicalement d’une nouvelle génération de musiciens français, Ils ont dépassé la trentaine, sont originaires de divers lieux ( la Sicile, le Cameroun, le Portugal, la Guadeloupe et Paris ), ont une solide formation (le Conservatoire de Paris pour la plupart d’entre eux), se connaissent depuis longtemps, sont rentrés jeunes dans le métier, sont multi-instrumentiste et ont une expérience de dix ans des clubs et autres lieux où la musique de jazz se crée. Leur groupe a été fondé en 2018. Depuis la fin de la Covid ils ont beaucoup tourné dans les festivals petits et grands ainsi que dans les clubs de la capitale et de province. En même temps, ils composaient les morceaux de leur premier et unique album « Monsieur Mâlâ », publié en 2024 et récompensé, la même année, aux Victoires du Jazz dans la catégorie « Révélation ». Ce dernier constitue l’essentiel de leur répertoire sur scène.

Ils apparaissent comme une bande de copains sans leader désigné, établissant avec le public un rapport décontracté. Leur concert est très varié. La gaîté côtoie la douleur. Les changements de tempos ou de climat sont fréquents et les compositions sont celles des membres du groupe. Ces dernières attestent leurs valeurs communes comme l’amour filial ou paternel, le goût de la découverte d’autres musiques, et la cohésion du groupe.

Le premier morceau, « Al Fayhaa », a été écrit par Robin Antunes en souvenir des mélodies du Moyen Orient, au temps où y triomphaient Oum Kalthoum et Fairouz.

Avec « Fly Fly » de Balthazar Naturel, le spectateur est transporté au Brésil grâce un thème très dansant joué sur un rythme rapide et coupé de courts passages paisibles.

Dans « Little Ones », composition collective au tempo lent, il est question de la paternité que les membres de Monsieur Mâlâ ont connu en même temps. On peut également y entendre un hommage à Weather Report.

Le morceau qui suit, « Senza Paura » (Sans peur), de Nicholas Vella est une berceuse dédiée à sa fille. Elle offre au saxophoniste l’occasion d’un beau solo très sentimental.

« Carnaval », écrit par Robin Antunes est un morceau très syncopé où revient une phrase musicale entêtante terminée par une psalmodie chantée. Il évoque l’esclavage.

« Jose », de Yoann Danier est une délicate mélodie en l’honneur de sa grand-mère, Josette, dans laquelle le Fender et le sax sont très présents.

Les deux derniers morceaux sont l’œuvre de Swaéli Mbappé. Le premier, « Nguinya Mulema » (La force du cœur), sans doute le plus brillant du concert, dans un style afro-beat, une ritournelle reprise gaiement une dizaine de fois, devient grave à la fin. Plus tendre est le second, « Ma Nyoue », surnom de sa mère. Chaque musicien s’y exprime avec délicatesse.

(1) Nicholas Vella (piano, Fender Rhodes, claviers), Swaéli Mbappé (basse, guitares), Yoann Danier

(batterie), Robin Antunes (violon, mandoline) et Balthazar Naturel (saxophone, cor anglais, clarinettes, flûtes).

Étape 7. Nice Jazz Fest : Jazz Célébration, le dimanche27 juillet

Cette année, le Festival Jazz de Nice était placé sous le signe de la nostalgie et de l’hommage aux anciens : Charlie Parker, Charlie Chaplin, Ray Brown, le Jazz de papa, la Fusion et Oscar Peterson. Pour n’oublier personne dans le dernier set est advenue une sorte de Jam session organisée en 2024 par la radio TSF, « Jazz Celebration ». Pour ce final a été convoquée la fine fleur des jazz mens (and womens français qui ont interprété divers standards connus de tous. Il s’agit de « Birdland », « My Baby Just Cares », « Take Five », « Petite Fleur », « So What », « Georgia On My Mind », « Fever », « What A Wonderful World », « The Girl From Ipanema », « Desafinado », « Naïma », « My Favourite Thing ». Pour interpréter ces saucissons, nous avons reconnus au piano Pablo Campos, au chant Hugh Coltman, Robin McKelle et China Moses (déjà présente au set d’ouverture) et aux saxos Géraldine Laurent et Jowee Omicil.

Étape 8. Festival de Jazz de Toulon : Joshua Redman, le 7 août.

Deux jours après Marciac et deux jours avant Varsovie, Joshua Redman se produisait sur la plage du Mourillon à Toulon, accompagné d’un trio de jeunes gens en début de carrière mais tout aussi rompus au métier que de vieux professionnels : Nazir Ebo (batterie), Philip Norris (contrebasse) et Paul Cornish (piano). Le saxophoniste est en tournée avec ce quartet après la publication de son dernier opus, « Word Fall Short ». Les compositions du leader enregistrées dans ce disque ont constitué le répertoire proposé aux spectateurs de Toulon.

Le titre du disque est particulièrement funèbre. Il s’agit d’une phrase extraite de « Where Reasons End », récit de l’écrivaine Yiyun Li dans laquelle elle imagine son dialogue avec son fils qui s’est suicidé. La phrase complète est « Words fall short, yes, but sometimes their shadows can reach the unspeakable » ( Les mots sont insuffisants, oui, mais parfois leur ombre peut atteindre l’indicible ). D’autres plages du disque sont inspirées d’auteurs appréciés par Joshua Redman : Cormac McCarthy (« Borrowed Eyes »), W.G. Sebald (« Over the Jelly-Green Sea ») et Kurt Vonnegut

(« So It Goes »). Si l’ambiance de l’œuvre enregistrée est assez sombre, il en va différemment du concert. Loin de toute mélancolie, Joshua Redman crée un climat de bonne humeur et de décontraction, ne manquant jamais d’annoncer les titres des morceaux joués sans préciser leur origine ni d’oublier de mettre en valeur ses jeunes musiciens. Le public retrouve et apprécie les qualités que l’on reconnaît généralement à ce saxophoniste : la beauté du son de son saxo, la subtilité de ses compositions, la qualité de ses improvisations et sa capacité à établir une relation d’empathie avec les spectateurs. Le lien qu’il a créé dès le début aura du mal à se briser à la fin du concert. Il dût revenir sur scène pour un bis. Pour le compte, nous eûmes droit à un morceau aussi beau que triste finissant par créer un climat de mélancolie auprès du public se dirigeant silencieusement vers le parking ou l’arrêt de bus. Étions-nous tristes parce que la fête était finie ou bien parce que l’ombre des notes avait réussi à nous toucher ?

par Bernard Boyer