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Retour du Festival de Cannes, dix films à ne pas manquer

À coté de la Compétition, le Festival de Cannes offre l’opportunité de découvrir ou redécouvrir dans les sections in ou off de nouveaux talents ou des cinéastes confirmés. Nous avons choisi de glaner dans celles ci dix films ayant, selon nous, marqué le 78eme Festival de Cannes.

1 « Nouvelle Vague »

« Nouvelle vague » de l’américain Richard Linklater, présenté en Compétition, a été un oublié du Palmarès. Il avait pourtant tout pour plaire au Jury. Sa description du tournage de «  À bout de souffle » est un hommage respectueux et intelligent à la nouvelle vague et à Jean Luc Godard. Apprécié à la fois par le public et par la critique, il aurait pu être gratifié d’un prix du scénario ou d’un prix spécial.

« Nouvelle vague » se situe à mi chemin entre un « making of »et une fiction historique. Pour mener à bien son projet, le réalisateur a tourné en noir et blanc, à Paris en faisant appel à des acteurs en général peu connus incarnant les différents protagonistes (Godard, Belmondo, Jean Seberg, Raoul Coutard, Truffaut, Chabrol, Rivette, etc.).

« Nouvelle vague » montre un Godard énigmatique, peu soucieux d’expliquer ses choix, déterminé et autoritaire. Si l’on est souvent amusé et quelquefois intrigué par ce récit on est surtout captivé par l’originalité de la démarche de Godard, et la manière dont il improvise, trouve des solutions pour transformer un petit polar en chef d’œuvre.

2 « Enzo »

Une amitié de quarante ans entre deux cinéastes est à l’origine de « Enzo » : Laurent Cantet et Robin Campillo se sont connus sur les bancs de l’IDHEC et ont souvent travaillé ensemble. Laurent Cantet a terminé la préparation de son film en 2024 alors qu’il se savait très malade. Peu de temps avant sa mort, il confie à son ami le soin d’en assurer le tournage.

Comme « L’Atelier », l’avant dernier long-métrage de Laurent Cantet, « Enzo » se situe à La Ciotat et traite des relations entre la bourgeoisie de gauche et le prolétariat. La bourgeoisie de gauche c’est une famille vivant dans une villa hollywoodienne toute en verre avec une piscine. Le père est professeur d’université et la mère ingénieure. Leur fils aîné vise son admission à une « prépa » dans un lycée de la capitale. Le fils cadet, Enzo, âgé de quatorze ans, est apprenti maçon et affiche un rejet total des siens. Comme maçon, il n’est pas très doué et n’a pas d’affinité avec ses camarades. L’arrivée de Vlad ouvrier d’origine ukrainienne, provoque chez Enzo un trouble affectif. Il pense trouver en lui un modèle et un père de substitution. Cette rencontre lui permettra-t-elle de rompre avec sa famille et d’accéder au statut, prestigieux à ses yeux de prolétaire fier de l’être?

Le film de Cantet-Campillo est une fable sociale que l’on suit avec intérêt parce que tous les personnages sont attachants. La lumière méditerranéenne nimbe ce récit et nous rappelle les grandes œuvres de Pagnol. « Enzo » comme « La fille du puisatier », traite de la difficulté d’être un transfuge de classe.

3 « The President Cake »

« The President Cake » du réalisateur, Hasan Hadi est le premier film en provenance d’Irak présenté au Festival de Cannes. Il a obtenu la Caméra d’Or, récompense attribuée au meilleur premier film toutes sections confondues.

« The President Cake » de Hasan Hadi

L’héroïne de ce récit est Lamia, âgée de 9 ans. Elle vit avec sa grand-mère, « Bibi », et son coq « Hindi » sur un radeau au confluant du Tigre et de l’Euphrate à proximité de Bassora. Elle a pour camarade de classe Ahmed, habitant avec sa mère sur un radeau voisin. Les hommes sont absents, ils sont morts lors de la guerre Iran-Irak. Le film se situe au début des années 90. L’Irak est sous un régime de sanctions internationales et plonge dans la pauvreté et la pénurie tandis que la dictature de Sadam Hussein continue d’exiger de ses sujets soumission et culte de la personnalité. La date d’anniversaire du tyran approchant, l’instituteur ordonne aux deux enfants de fournir une offrande au président : un gâteau pour Lamia et une corbeille de fruits pour Ahmed. Le tout devant être remis après le week-end.

Lamia, Bibi, Ahmed et le coq partent pour la ville proche en quête des ingrédients nécessaires à la confection du gâteau. L’essentiel du film décrit les pérégrinations de ces personnages dans la grande cité. Leurs aventures tragi-comiques sont pour le réalisateur l’occasion de décrire l’absurdité de ce régime. Si le thème général du film évoque « Où est la maison de mon ami ? » d’Abbas Kiarostami, on pense également à « Amarcord » de Federico Fellini dans la peinture des parades grotesques de la dictature.

4 « Homebound »

La section Un certain regard semble nourrir un intérêt particulier pour le cinéma social indien. En 2015, elle programmait « Masaan », premier film de Neeraj Ghaywan, en 2024 « Santosh » de Sandhya Suri. Si ces deux films critiquaient certains aspects de la société, « Homebound », deuxième film de Neeraj Ghaywan est plus radical. Il dénonce le racisme anti dalit (intouchable) et anti musulman ainsi que l’attitude des entreprises et des autorités face au Covid. L’histoire est celle de Chandan et Shoaib, jeunes diplômés du même village, à la recherche du premier emploi. L’un est dalit, l’autre musulman. Tous deux rêvent d’être policiers, sans succès. Ils finissent par travailler dans une filature à 1200 Km de leur village quand survient l’épidémie du Covid…

« Homebound » de Neeraj Ghaywan Copyright Dharma Productions PVT Ltd

Si « Homebound » est un film noir par sa vision de la société indienne, il n’en reste pas moins humaniste. Malgré tous les déboires qu’ils subissent, les héros sont liés par une amitié inextinguible et une solidarité sans faille à leurs familles.

5  « Lucky Lu »

« Lucky Lu » présenté à la Quinzaine des cinéastes est le premier long métrage de Lloyd Lee Choi, scénariste et réalisateur coréano-canadien vivant à Brooklyn. Il décrit la dure vie de Lucky Lu (Lu le veinard), Chinois du continent exerçant l’activité de livreur de repas à vélo à New-York, de nos jours. Son héros est interprété par Chang Chen, comédien bien connu des familiers du cinéma asiatique.

« Lucky Lu » de Lloyd Lee Choi

Lucky Lu n’a pas beaucoup de chance. Le vélo qui est son outil de travail a été volé et il connaît des problèmes de logement. Sa femme et sa fille qu’il n’a pas vus depuis des années ont enfin obtenu leur visa et viennent vivre avec lui. Tout laisse imaginer que la situation va devenir de plus en plus dramatique pourtant cela finit par s’arranger d’une certaine manière, comme dans les films de Frank Capra.

On a comparé ce film à « L’histoire de Souleymane » de Boris Lojkine présenté à Un certain Regard en 2024. Si tous deux s’intéressent aux livreurs à vélo, les différences entre les deux films sont manifestes. Souleymane à Paris est traqué par les autorités, escroqué par ses compatriotes et son sort dépend du bon vouloir d’une fonctionnaire. Lucky Lu n’est pas l’objet de persécutions de l’administration. Il est simplement victime de la règle ordinaire selon laquelle il n’y a pas de pitié pour le perdant mais ce dernier a droit à une deuxième chance.

6 « Sorry Baby »

« Sorry Baby », présenté en clôture de la Quinzaine des cinéastes est le premier film de la réalisatrice américaine, Eva Victor. À première vue, il est assez représentatif du cinéma indépendant américain. Il se déroule dans une petite ville universitaire du Massachusetts où vit l’héroïne, Agnès (interprétée par la réalisatrice), seule avec son chat dans une maison isolée. Elle est enseignante en littérature anglaise dans l’université où elle a fait ses études. Jadis, quand elle était étudiante, elle cohabitait dans cette maison avec sa meilleure amie, Lydie, aujourd’hui installée à New-York. Les autres personnages principaux du récit sont Preston Decker, son directeur de thèse et Natasha, sa rivale à l’Université. Si l’on retrouve bien les répliques percutantes, l’autodérision et les joutes verbales, apanages des comédies new-yorkaises d’aujourd’hui, l’important est ailleurs. Il est est dans ce qui est tu. « Sorry Baby » n’est pas une chronique de la vie universitaire mais la description du lent processus de guérison du viol subi par Agnès. Le film insiste sur le rôle de Lydie dans la convalescence suivant l’agression sans montrer l’acte lui même. L’enchaînement des scènes n’est pas chronologique. La première est celle de la révélation du viol à Lydie, enceinte, en visite chez son amie. La deuxième est la période pendant laquelle le viol a été commis. La troisième est celle de la deuxième visite de Lydie venue présenter son bébé.

« Sorry Baby » de Eva Victor

Film subtil et sensible, il serait dommage que « Sorry Baby » avec une sortie en plein été disparaisse des salles sans trouver son public.

7 « L’Inconnu de la Grande Arche »

Aprés « Borgo » (2023), le réalisateur Stéphane Demoustier a changé complètement de registre dans « L’Inconnu de la Grande Arche », présenté à Un Certain regard. Il s’agit d’une affaire d’État qui fit couler beaucoup d’encre, il y a quarante ans.

Cette Grande Arche est l’étrange bâtiment en forme de « u » abritant des bureaux dans un recoin du quartier de la Défense. En 1983, sous la présidence de Mitterrand, la vocation initiale de cette construction était plus ambitieuse. Il s’agissait de bâtir une arche qui serait dans le prolongement de l’axe allant du Louvre à l’Arc de Triomphe devant être achevée avant 1989. Au terme d’un concours international, le gagnant a été un obscur architecte danois, Johan Otto von Spreckelsen (1929-1987), enseignant à Copenhague et auteur à cette date de quatre projets réalisés : trois églises et sa maison.

La modestie de son CV ne l’empêche pas d’avoir des idées grandioses et d’être exigeant pour le choix des matériaux devant être utilisés pour la construction de ce qu’il nomme son cube. Le film décrit les péripéties du combat entre l’architecte et les différents haut-fonctionnaires chargés de superviser le projet. Cette confrontation prend fin en 1986 avec la cohabitation. Soutenu uniquement par la président, Otto von Spreckelsen démissionne et ne tarde pas à mourir. Le projet rapetissé est terminé par une nouvelle équipe conduite par Paul Andreu, le concepteur du terminal 1 de l’aéroport de Roissy.

À l’inverse de Brady Corbet dans « The Brutalist », Stéphane Demoustier n’est pas fasciné par le personnage de l’architecte, démiurge incompris. Il s’intéresse d’avantage à la comédie du pouvoir où des jeunes gens en costume trois pièces complotent sous le regard amusé du vieux monarque.

8 « L’engloutie »

« L’engloutie », deLouise Hémon Copyright Take Shelter

« L’engloutie », premier film de la réalisatrice Louise Hémon présenté à la Quinzaine des cinéastes plaira aux amateurs de randonnées alpines se demandant comment les gens vivaient dans ces hameaux abandonnés qu’ils traversent lors de leurs balades. Cette même question devait également préoccuper l’arrière grand-mère de la cinéaste, institutrice et autrice d’un journal intime ayant servi de base au scénario. Nous sommes en 1899, Aimée Lazare est une jeune institutrice envoyée par la République dans les contrées les plus reculées pour apporter la bonne parole de l’école publique à des enfants parlant le patois. Elle débarque un jour de neige dans un hameau de montagne des Alpes du Sud où demeurent des hommes jeunes et vieux, quelques enfants et des femmes âgées (les femmes en âge de travailler sont parties louer leurs services pour l’hiver en ville). Tandis que les enfants viennent spontanément vers Aimée, les vieilles sont partagées entre une attitude maternelle et de la méfiance. Quant aux hommes, ils ont adopté une prudente réserve. Le film ne se borne pas à être un documentaire sur la vie difficile dans ce hameau. En jouant sur l’opposition entre le blanc (l’étouffement) et noir (le réconfort du gîte), Louise Hémon sait saisir la part de poésie, de mystère et même de spiritualité présente dans ce petit espace arraché par l’homme à la montagne et toujours menacé d’engloutissement.

9 « Un poète »

Le cinéaste colombien Simón Mesa Soto dans « Un poète » renoue avec un genre illustré par le cinéma néoréaliste italien des années 50 et 60 : la chronique des aventures d’un anti héros. Son personnage, Oscar Restrepo a connu un début de gloire dans sa ville en publiant deux livres quand il était jeune. Aujourd’hui, à cinquante ans passés, il se proclame poète mais n’a plus rien produit depuis deux décennies. Il vit chez sa mère et boit jusqu’à rouler dans le caniveau. Poussé par la nécessité et surtout par sa famille, il accepte un poste de remplaçant dans le collège d’un quartier populaire. Il y remarque Yurlady, une collégienne douée pour l’écriture, devient pour elle une sorte de coach et la pousse à se présenter à un concours local de poésie. Cette initiative désintéressée tourne à la catastrophe.

« Un poète » de Simón Mesa Soto

Malgré tout ce qui rend le personnage insupportable, Oscar finit par devenir émouvant face à l’adversité. Simon Mesa Soto donne alors à sa comédie un tour plus grave. Il oriente le spectateur vers des sujets de réflexion importants à ses yeux : qu’est-ce qu’une vie réussie ? Peut-on choisir sa fille ? Est-ce que l’école peut abattre les frontières de classe ? Quel rôle peut jouer la poésie dans les rapports sociaux ?

10 Merlusse

Une section du Festival de Cannes, « Cannes Classics », est réservée aux films du patrimoine récemment restaurés. Parmi la trentaine de films proposés cette année, nous avons choisi Merlusse de Marcel Pagnol. Ce moyen métrage date de 1935, au début de sa grande période de réalisateur (1933-1940). Il s’agit d’un conte de Noël se déroulant pendant les deux ou trois jours précédents la Nativité au lycée de Marseille. Les élèves ont presque tous déserté l’établissement pour les vacances. Il ne reste qu’une poignée de pensionnaires « oubliés » par leurs parents ou originaires de contrées lointaines. Ils sont regroupés dans un salle d’étude et surveillés par Monsieur Blanchard dit Merlusse, pion redouté par les élèves et peu apprécié par ses collèges. En réalité, sa sévérité masque sa vulnérabilité et sa timidité. C’est un homme solitaire et sensible, handicapé de la grande guerre. Pendant la nuit de Noël par sa seule action, il changera le climat morose du lycée.

Merlusse de Marcel Pagnol

Malgré la distance que l’on peut avoir aujourd’hui avec la vie d’une pension pendant l’entre deux guerres, il est difficile ne pas avoir les yeux embués au final de ce récit.

Date de sortie des films cités

« Nouvelle vague » : 8 octobre 2025

« Enzo » : depuis le 18 juin 2015

« The President Cake » : le 4 février 2026

« Homebound » : inconnue

« Lucky Lu » : inconnue

« Sorry Baby » : 23 juillet 2025

« L’Inconnu de la Grande Arche » : 5 novembre 2025

« L’engloutie » : 25 décembre 2025

« Un Poète » : 29 octobre 2025

« Merlusse : 30 juillet 2025

par Bernard Boyer